De l’incongruité des sections féminines dans les partis politiques africains

Présents dans la plupart des formations politiques du continent, à l’instar du Sénégal ou du Cameroun, les mouvements de femmes, archaïques, consacrent l’assujettissement de ces dernières aux hommes et brident leurs ambitions.

À Dakar, le 30 juillet 2017. © SEYLLOU/AFP

À Dakar, le 30 juillet 2017. © SEYLLOU/AFP

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Publié le 6 décembre 2023 Lecture : 4 minutes.

En octobre, un atelier destiné aux femmes et aux hommes des médias s’est tenu à Saint-Louis, au Sénégal. Il avait pour thème la sécurité, la prévention et la lutte contre les propos haineux. Il y était question également de prévention des violences basés sur le genre contre les journalistes rédacteurs et les journalistes reporters d’images de sexe féminin, notamment en période électorale.

Lors de manifestations à caractère politique, qui peuvent facilement dégénérer, elles sont les premières victimes des bousculades ou des agressions verbales et/ou physiques dont se rendent coupables tant les foules surexcitées que les services de maintien de l’ordre. Mais ces violences ne concernent pas les seules journalistes. Les militantes des partis politiques les subissent aussi peu ou prou.

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« Gynécée d’amazones »

Aussi, cette sorte de « gynécée d’amazones » accordée aux femmes dans le champ politique invite à la réflexion, en particulier au moment où se profile la présidentielle de 2024. Tenez : l’Alliance pour la République, le parti présidentiel, compte parmi ses instances officielles le Mouvement national des femmes républicaines. Le Parti socialiste, qui est pourtant dirigé par une femme, Aminata Mbengue Ndiaye, abrite le Mouvement des femmes socialistes ; le Parti démocratique sénégalais (PDS), d’Abdoulaye Wade, le Mouvement national des femmes libérales ; le Rewmi d’Idrissa Seck, le Mouvement des femmes rewmistes.

On pourrait multiplier les exemples à l’envi au Sénégal, voire en Afrique subsaharienne : tous les pays qui ont hérité de la Constitution gaullienne de 1958, quand ils ont accédé à l’indépendance, ont fait de même quand ils ont mis en place le parti unique ou lorsqu’il a fallu élaborer un système multipartite. Au Cameroun, la section des femmes du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC, au pouvoir) est réputée pour ses pagnes à l’effigie du président Paul Biya et pour ses sarabandes effrénées à l’adresse de ce dernier, à son arrivée ou à son départ de Yaoundé, la capitale. De fait, les femmes des partis sont dans le « culte-en-sections-serrées » du chef et de la première dame. Au Zimbabwe, Robert Mugabe eut sa femme Grace, qui était à elle seule une section féminine.

« Bétail électoral »

Il est assez cocasse, d’ailleurs, que ces sections féminines s’autodésignent « mouvements ». Dans cette société sénégalaise en mouvement – où les diverses communautés « font nation », où pas moins de quatre femmes entendent briguer la magistrature suprême, où deux autres ont déjà occupé le poste de Première ministre, où la parité hommes-femmes est obligatoire sur les listes de candidats aux élections locales et législatives –, ces sections féminines n’ont pas de raison d’être. Leur survivance témoigne d’une violence fondée sur le genre dirigée tant contre les militantes de base régulièrement chargées de l’animation folklorique que contre les femmes engagées en politique – souvent à un haut niveau de responsabilité au sein du parti.

Plusieurs femmes sont cheffes de partis ou de mouvements politiques et, pourtant, il ne leur viendrait pas l’idée de créer un  « mouvement des hommes » dans leur formation ! Ces sections féminines trahissent ainsi l’impensé d’un postulat des « entrepreneurs de la politique » : le clientélisme est la carte à jouer, même s’il faut pour cela (essayer de) transformer le groupe des femmes en « bétail électoral ». S’il est vrai que le droit de vote accordé aux citoyens des Quatre communes (Dakar, Rufisque, Gorée, Saint-Louis) en 1848, ne le sera aux femmes sénégalaises qu’en 1946, cela fait tout de même bientôt huit décennies que toutes les femmes votent au Sénégal !

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Ambition contrariée

L’universitaire sénégalaise Aminata Diaw résume assez bien la situation : « Médiatrices dans le dispositif de patronage, [les femmes] continuent de participer à la théâtralisation du politique sans en être véritablement les initiatrices. Elles ont su mobiliser les ressources de l’espace privé telles la parenté, le voisinage, la solidarité, l’amitié pour des enjeux qu’elles n’avaient point contribué à élaborer, à concevoir. Il y a là une logique d’assujettissement et de subordination qui exclue, de fait, la femme du processus de délibération, vecteur essentiel de l’espace politique et public. » Pourquoi ne se contenterait-on pas de ces autres instances des partis politiques qui, au Sénégal notamment, sont mixtes, et réunissent femmes et hommes, jeunes filles et jeunes hommes. C’est le cas du mouvement des élèves et des étudiants, du mouvement des enseignants, du mouvement des cadres, etc.

Dans les prochaines semaines, le thermomètre socio-politique devrait grimper. Si les discours de haine dans les médias et sur les réseaux sociaux contribuent de manière significative à la violence électorale, ils exacerbent la violence fondée sur le genre, en particulier envers les femmes qui ont choisi de se présenter aux élections. Ces discours haineux visent à les intimider et à les réduire au silence afin de les exclure de l’espace public et politique, et les dissuader de participer à la vie politique de leur pays en tant qu’actrices autonomes. Ce qui est fort regrettable.

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