Nigeria : Ngozi Okonjo-Iweala persiste et signe

Pour son deuxième passage au ministère des Finances du Nigeria, Ngozi Okonjo-Iweala veut relancer l’agriculture, le bâtiment, les investissements… Quitte à bousculer les intérêts particuliers.

Ngozi Okonjo-Iweala est ancienne directrice générale de la Banque mondiale. © AFP

Ngozi Okonjo-Iweala est ancienne directrice générale de la Banque mondiale. © AFP

Patrick Smith est le rédacteur en chef de The Africa Report, un magazine mensuel qui se concentre sur la politique et l’économie en Afrique. © DR

Publié le 6 novembre 2013 Lecture : 4 minutes.

Du haut du septième étage du ministère des Finances à Abuja, Ngozi Okonjo-Iweala donne l’impression de flotter sereinement au-dessus de la mêlée politique. Pourtant, à 59 ans, cette ancienne directrice générale de la Banque mondiale, qui a mené bien des batailles au sein de l’institution et dans son pays, est loin d’être une économiste enfermée dans sa tour d’ivoire. « Pour les réformateurs, faire des choix économiques revient à faire de la politique », insiste-t-elle.

Alors que l’entretien se déroule dans les derniers jours de septembre, la capitale fédérale bruisse des querelles divisant le Parti démocratique populaire (PDP), au pouvoir. Au centre des préoccupations, les répercussions de ces désaccords sur l’économie, qui connaît une croissance d’environ 7 % par an. Mais la ministre, qui soutient le président Goodluck Jonathan, semble peu perturbée par la situation : sa seconde série de réformes est déjà sur les rails, et rien ne semble pouvoir l’arrêter.

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Réformateurs

Priorité de la ministre : l’agriculture, qui emploie des dizaines de millions de Nigérians

« Nous entamons des réformes. Le président – je tiens à insister sur ce point – est très attaché aux objectifs qu’il s’est fixés dans les secteurs de l’énergie, de l’agriculture, du logement et de l’industrie. »

Sous la présidence d’Olusegun Obasanjo, la ministre avait remporté de beaux succès lors d’un premier passage au ministère des Finances, portant la croissance du PIB à une moyenne de 8 % par an entre 2003 et 2006.

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Avec son équipe de réformateurs, elle avait également réduit le déficit budgétaire, rendu les finances publiques plus transparentes, stabilisé la volatile monnaie nigériane et obtenu une réduction drastique de la dette extérieure du pays, qui s’élevait à 35 milliards de dollars (25,5 milliards d’euros) au bout de trois décennies de mauvaise gestion.

Agriculture

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Mais cette fois-ci, la mission d’Okonjo-Iweala, revenue au ministère en 2012, est plus difficile à mener. Les intérêts particuliers, qui régissent une grande partie de l’économie nationale, pèsent encore plus lourd politiquement ; le conservatisme a gagné les fonctionnaires et les entreprises.

Priorité de la ministre : l’agriculture, qui emploie des dizaines de millions de Nigérians. « Notre bureau national des statistiques a passé des mois à développer une méthodologie pour mesurer le nombre d’emplois créés dans l’économie », indique-t-elle, alors que le taux de chômage est estimé à 23 %. « Nous avons l’objectif de créer 3,5 millions d’emplois dans le secteur agricole d’ici à 2015, poursuit-elle. Nous savons à présent que, durant les deux derniers trimestres, 450 000 emplois saisonniers ont été créés. »

La ministre estime que le secteur agroalimentaire connaît un vrai démarrage et suscite des investissements privés, aussi bien dans les usines de transformation que dans la logistique.

Financement

Autre champ de bataille : le manque de financements, qui freine le développement. « Il y a des taux d’intérêt tellement élevés au Nigeria que nous ne pouvons pas nous en remettre de manière viable au secteur bancaire privé pour appuyer les particuliers, les petites entreprises et les agriculteurs. La plupart des gens empruntent à un taux qui se situe entre 15 % et 24 % », s’indigne la ministre, qui a déjà mis en place avec la Banque centrale un système de crédits aux agriculteurs.

La Nigériane s’attaque également au secteur du logement. « Nous avons entre 20 000 et 50 000 crédits immobiliers dans un pays de 170 millions d’habitants. Nous devons quadrupler voire quintupler ces chiffres. Cela pourra amener à des créations d’emplois dans la construction », annonce-t-elle.

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Le gouvernement a créé une société de refinancement des prêts hypothécaires avec des banques privées et l’appui de la Banque mondiale, qui lui a accordé 300 millions de dollars. Le secteur du bâtiment croît de plus de 10 % par an. Okonjo-Iweala espère que ce rythme va s’accélérer grâce à ces nouveaux prêteurs et investisseurs.

Énergie

Le secteur extractif, essentiel pour le premier producteur de brut du continent, est également dans la ligne de mire de la ministre. Les Nigérians sont las d’attendre une amélioration de sa gestion.

L’an dernier, Nuhu Ribadu, l’ancien « tsar » anticorruption du pays, a estimé que le Nigeria avait perdu plus de 50 milliards de dollars de chiffre d’affaires en gaz et en pétrole durant la dernière décennie. Rendant grâce à l’intégrité de Ribadu, Okonjo-Iweala estime qu’il faut approfondir son travail touchant au secteur le plus politisé du pays.

En matière de régulation, Okonjo-Iweala reconnaît que le Nigeria doit mieux faire. Après une décennie de privatisations – dans l’énergie, les télécommunications et à présent les raffineries de pétrole -, le gouvernement doit assurer une meilleure justice économique. « Nous avons conçu un projet de loi sur la concurrence, que nous tentons de faire passer à l’Assemblée nationale pour éviter les monopoles et les oligopoles », explique-t-elle.

La ministre s’appuie sur les estimations de l’ONG Global Financial Integrity, selon lesquelles le Nigeria perd plusieurs milliards de dollars par an à cause d’exportations sous-évaluées, d’importations surévaluées et de l’évasion fiscale des entreprises.

Intégration régionale

Concentrée sur les problèmes intérieurs, elle avoue ne pas s’être suffisamment penchée sur les questions d’intégration économique régionale en Afrique de l’Ouest. « Il faudra du temps avant que nous aboutissions à une véritable convergence économique et à une monnaie commune. Chacun de nos États doit d’abord mettre de l’ordre dans sa maison », estime-elle.

D’ici là, cette proche du président ivoirien Alassane Ouattara affirme que les échanges d’expériences entre le Nigeria et les pays francophones voisins doivent se renforcer, balayant d’un revers de main la barrière linguistique.

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