Maroc-Émirats : histoire d’une amitié entre monarchies arabes

En décembre 2023, le cheikh Mohammed Ben Zayed al Nahyane et le roi Mohammed VI ont signé une série d’accords de coopération. Une nouvelle illustration de la proximité historique qui unit les deux pays… et n’est pas sans conséquences sur les relations entre Alger et Abou Dhabi.

Le roi Mohammed VI et le cheikh Mohammed Ben Zayed al Nahyane, le 4 décembre 2023 à Abou Dhabi. © Photo by UAE Presidential Court / Handout / ANADOLU / Anadolu via AFP

Le roi Mohammed VI et le cheikh Mohammed Ben Zayed al Nahyane, le 4 décembre 2023 à Abou Dhabi. © Photo by UAE Presidential Court / Handout / ANADOLU / Anadolu via AFP

Publié le 19 janvier 2024 Lecture : 5 minutes.

Exception faite du régime politique de type monarchique, rien ou presque ne rapproche les Émirats arabes unis (EAU) – et les pays du Golfe en général, dont la plupart sont de création récente – du royaume chérifien, plusieurs fois séculaire. L’histoire nous enseigne pourtant que des civilisations anciennes existent au Proche et au Moyen-Orient et, moins évident, qu’elles entretiennent des liens avec l’Afrique depuis des millénaires.

En -4 000 avant notre ère, des marins sumériens, depuis la basse Mésopotamie, ont des relations de négoce avec les anciennes civilisations de l’Indus. Mais après l’expansion de l’islam, les marins du Golfe commercent pendant des siècles avec l’Afrique orientale. C’est seulement vers le XIXe siècle qu’on trouve de réels signes annonciateurs des rapprochements qui s’opèrent aujourd’hui entre pays du Golfe et du Maghreb.

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À l’époque, bien sûr, ni les EAU ni les autres entités arabes – Koweït, Bahreïn, Qatar, sultanat d’Oman – n’existent. C’est par excellence l’ère de la colonisation occidentale. Le premier des pays impérialistes, l’Angleterre, va s’intéresser à la région. Et pour cause : celle-ci se trouve sur la route maritime qu’emprunte la Compagnie orientale des Indes. Seul inconvénient, et de taille : la piraterie sévissant sur cette « route des Indes ».

Les Anglais dans le Golfe

Face à cette menace, et là encore cela rappelle notre actualité la plus récente, la Royal Navy va bombarder divers ports du Golfe, notamment celui de Ras al-Khaimah, l’un des sept Émirats composant aujourd’hui les EAU, entièrement détruit en 1820. Une trêve s’ensuit entre les divers cheikhs de ces Émirats et les Anglais, puis des accords. Débute dès lors la Pax Britannica. La « côte des pirates » devient désormais la « côte de la trêve », formée par les sept émirats qui, en 1971, se regrouperont pour former les EAU. Mieux encore, la présence anglaise semble stimuler la croissance économique des pays arabes du Golfe, notamment avec le commerce des perles et la construction navale, avec les fameux boutres.

Mais c’est surtout avec la découverte des hydrocarbures que la donne change totalement. À partir des années 1930, des gisements sont progressivement mis au jour par des prospecteurs, anglais pour la plupart. Après le second conflit mondial, même si l’influence américaine progresse dans le Moyen et le Proche-Orient, les Émirats demeurent la chasse gardée de Londres.

Il faut attendre la deuxième moitié du XXe siècle pour que l’union se concrétise. « Du 25 au 27 février 1968, les cheikhs de neuf Émirats se réunissent à Dubaï et décident la création d’une fédération des émirats arabes […]. Le 15 août 1971, Bahreïn proclame son indépendance et conclut avec la Grande-Bretagne un traité d’amitié pour dix ans ; le 1er septembre, le Qatar suit cet exemple […] Entre-temps, le 18 juillet 1971, six des sept Émirats de la côte d’Oman ont constitué l’ “État des Émirats arabes unis” auquel se rallie, en février 1972, le septième émirat, Ras al-Khaymah », retrace l’historien Charles Zorgbibe dans son ouvrage Géopolitique et histoire du Golfe. Un simple coup d’œil à une carte de la région permet de réaliser que, géographiquement, ces petits pays font face au mastodonte iranien. Pour mieux exister, quelle meilleure tactique que le regroupement ?

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Dix ans après leur indépendance, les pays du Golfe mettent sur pied le CCG, le Conseil de Coopération du Golfe. Nous sommes en 1981. Deux événements semblent avoir accéléré cette coopération géostratégique : la Révolution des ayatollahs en Iran, en 1979, et le déclenchement de la guerre irako-iranienne, en 1980. C’est dans ce contexte que cette alliance régionale vient à exister et même, une fois n’est pas coutume, que les petits émirats décident de s’associer à la gigantesque Arabie saoudite. Tout ceci sous la supervision attentive des Américains.

Faire face à l’Iran

La mission du CCG concerne aussi bien l’économie, avec la mise en place d’une zone de libre-échange, que le militaire, avec la création, en 1984, du Bouclier de la péninsule. Un outil qui vise autant à se défendre contre l’extérieur qu’à veiller à la sécurité intérieure, comme on le verra lors des printemps arabes de 2011 lorsqu’une force rapide du CCG est déployée à Bahreïn. Pour les États de la région, il ne fait aucun doute que la main de Téhéran est derrière les mouvements de contestation lancés par les chiites.

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Toutefois, malgré l’existence du Conseil, les différentes monarchies du Golfe sont loin d’être toujours au diapason. L’une des preuves les plus éclatantes en a été apportée en 2017, lors de la rupture brutale des relations entre, d’une part, l’Arabie saoudite, les EAU et Bahreïn, et d’autre part le Qatar, accusé de soutenir tous azimuts les Frères musulmans. Il faut dire que le contentieux remonte aux années 1970, à l’époque des indépendances, lorsque l’Arabie saoudite, le Qatar et les Émirats arabes unis n’étaient pas parvenus à se mettre d’accord sur le tracé des frontières héritées de la colonisation anglaise.

Un désaccord auquel vient s’ajouter une vraie ligne de faille idéologique, que la chaîne d’information qatarie Al-Jazeera ne cesse d’alimenter. Le Qatar est en effet plus proche que ses voisins de la Turquie et de l’Iran, ce qui se traduit par des différences d’approche parfois notables, comme sur le dossier libyen. Quant aux EAU et à Bahreïn, ils ont pour habitude de faire cavalier seul en matière de politique étrangère, ce qui les a notamment amenés, en août 2020, à établir des relations diplomatiques avec l’État d’Israël dans le cadre des Accords d’Abraham. Une décision qui tend à les rapprocher de la position marocaine.

Cette proximité aide à comprendre pourquoi, en 2011, les pays de la CCG, réunis au quartier général de Riyad en Arabie saoudite, décident de convier le Maroc à rejoindre leur organisation, et ce sur les plans économique, culturel et sécuritaire. Depuis lors, le processus de rapprochement semble sur les rails, comme en témoigne le nombre de déplacements du roi Mohammed VI dans les pays du Golfe ces dix dernières années. Quant aux capitales de la région, elles soutiennent le respect l’intégrité du territoire marocain, Sahara compris, ce qui constitue l’un des principaux sujets de préoccupation de la diplomatie chérifienne.

Liens personnels

En 2023, lors d’une réunion du Comité spécial des 24 – chargé depuis 1961 à l’ONU des décolonisations dans le monde –, les États du Golfe ont réaffirmé la marocanité du Sahara, quitte à se mettre à dos l’Algérie. Il faut dire qu’au-delà des intérêts ou valeurs partagés, il existe aussi des liens personnels. Le roi Hassan II et le cheikh Zayed ben Sultan Al Nahyane ont tissé des liens personnels étroits dès les années 1970 et l’actuel président des Émirats, MBZ, a fait ses classes au Collège royal de Rabat, aux côtés du futur Mohammed VI.

Ce qui peut laisser supposer que si les relations entre Rabat et Abou Dhabi ont toutes les raisons de se maintenir au beau fixe, celles des Émirats avec Alger pourrait bien continuer à se dégrader.

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