De l’instrumentalisation de la question homosexuelle en Afrique  

La note du pape François vient s’ajouter à une longue liste d’actions bienveillantes renforçant malgré elles des campagnes luttant contre les droits des personnes LGBTQI+.

Le pape François à Juba, au Soudan du Sud, le 5 février 2023. © AP Photo/Gregorio Borgia

Le pape François à Juba, au Soudan du Sud, le 5 février 2023. © AP Photo/Gregorio Borgia

Patrick Awondo. © DR
  • Patrick Awondo

    Anthropologue, enseigne à l’université de Yaoundé 1, au Cameroun ; Directeur exécutif du Centre sur le genre et les discriminations ; Auteur de « Le Sexe et ses doubles. (Homo)sexualités en postcolonie » (ENS-Lyon éditions, 2019) et coauteur avec E. Bouilly et M. Ndiaye de « Penser l’anti-genre en Afrique » (éditions Karthala, 2022)

Publié le 28 janvier 2024 Lecture : 3 minutes.

Depuis le début de 2024, une polémique secoue le continent. Il s’agit des réactions à la note du pape intitulée  »Fiducia supplicans » (« La confiance suppliante »), qui autorise la bénédiction des couples  »irréguliers » aux yeux de l’Église, incluant les couples remariés et les couples de même sexe, à condition qu’elle soit effectuée en dehors des rituels liturgiques.

Le Symposium des conférences épiscopales d’Afrique et de Madagascar (Sceam) a publié une déclaration qui s’oppose à cette note du pape François pour dénoncer le « risque de confusion » et des « contradictions directes avec l’ethos culturel des communautés africaines ». Mais à quoi sert cette énième polémique sur l’homosexualité et que nous dit-elle de la façon dont la question homosexuelle est instrumentalisée dans certains contextes africains ?

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Un effet contre-productif

Il y aurait beaucoup à dire sur cet événement qui en rappelle d’autres, je me contenterai de soulever ici trois enjeux qui me paraissent essentiels. Tout d’abord, il existe une tension entre la demande de tolérance vis-à-vis des personnes LGBTQI+ et les actions portées par les leaders moraux mondiaux comme le pape ou même certaines institutions. Concrètement, le fait de vouloir aider ne doit pas faire perdre de vue les problèmes de géopolitique sexuelle et les résistances locales aux changements, en premier lieu au sein de l’Église.

Ensuite, l’expérience récente en matière de soutien aux mobilisations LGBTQI+ a montré que si l’on veut être efficace dans l’appui à ces communautés largement marginalisées dans les pays africains, il faut que la demande et les modalités d’action, autant que les termes du débat, viennent de l’intérieur, c’est-à-dire des populations les plus concernées. Aujourd’hui, la demande d’union de couples de même sexe n’est pas vraiment portée par les LGBTQI+ africains – en tout cas, pas vraiment par ceux et celles qui vivent dans la trentaine de pays qui pénalisent les relations entre personnes de même sexe. Ces dernières en sont majoritairement à demander le droit à la vie, la non-stigmatisation dans l’accès aux soins, tout au plus, et la dépénalisation des actes homoérotiques.

Par conséquent, une note sur les unions, même si elle ne leur est pas spécifiquement adressée, a un effet contre-productif. Elle crédibilise les critiques d’injonctions internationales émanant des apôtres de la « culture africaine » , lorsque ce vocable creux les arrange. Cette note vient s’ajouter à une longue liste d’actions bienveillantes renforçant malgré elles des campagnes anti-homosexuelles.

Bouc émissaire facile

Enfin, la note du pape repose la question des usages du positionnement anti-homosexuel dans des pays en proie à une pluralité chaotique. Depuis quelques décennies, l’Église catholique africaine subit une concurrence forte des Églises évangéliques. Petit à petit, elle perd du terrain et de la crédibilité, car elle est incapable de se renouveler et d’apporter une réponse à la question essentielle du devenir des peuples.

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Là où il faut répondre à l’injustice sociale et aux défis économiques, l’Église catholique ne pèse plus de son poids d’antan. À quelques exceptions près, on n’entend pas les évêques africains sur les « présidents à vie », par exemple, en Afrique centrale. Pas de grandes déclarations sur les freins à la démocratie et la prise du pouvoir par les armes en Afrique de l’Ouest. Même silence sur le chômage des jeunes et les autres grandes questions sociales telles que le logement.

Dans ces conditions, l’homosexualité est encore et toujours un bouc émissaire facile pour s’affirmer dans l’espace public et se reconstruire une virginité morale auprès de populations qui n’ont pour ainsi dire pas besoin d’être éduquées à la violence et au rejet, mais plutôt à l’inclusion et à la tolérance. La question est donc encore et toujours la même : comment doit-on faire pour moraliser l’Église lorsqu’elle échoue à faire bon usage de la morale et de la tolérance qui sont des piliers de son action ?

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