Lina El Arabi : « J’étais trop typée pour certains castings, pas assez pour d’autres »

À l’affiche de « Que sur toi se lamente le Tigre » – l’histoire d’une femme victime d’un crime d’honneur –, la comédienne revient sur sa carrière et sur ses choix.

Lina El Arabi à la soirée des Révélations des César, au Trianon, à Paris, le 16 janvier 2023. © David Niviere/ABACAPRESS

Lina El Arabi à la soirée des Révélations des César, au Trianon, à Paris, le 16 janvier 2023. © David Niviere/ABACAPRESS

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Publié le 2 février 2024 Lecture : 7 minutes.

Dès le début de Que sur toi se lamente le Tigre, mis en scène par Alexandre Zeff, le sort de la jeune femme qui se présente aux spectateurs est dévoilé. Elle va mourir. Victime d’un crime d’honneur, en Irak, parce qu’elle a eu une relation sexuelle hors mariage. L’assassin : son frère cadet. Mais aussi tous ceux qui ont laissé faire : sa famille, la société, les traditions.

Cette autopsie d’un féminicide a une dimension universelle. La pièce de théâtre parle de la condition féminine en général. Elle reprend les codes de la tragédie grecque, que l’on trouvait déjà dans le roman éponyme d’Émilienne Malfatto, publié aux éditions Elyzad et récompensé, en 2021, par le Goncourt du premier roman.

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Casting époustouflant

L’adaptation théâtrale, portée par une mise en scène impressionnante et par un casting époustouflant, est très réussie. Dans le premier rôle, la comédienne Franco-Marocaine Lina El Arabi s’illustre aussi par son talent de danseuse, de chanteuse et de violoniste. Une performance digne de Broadway pour cette actrice de 28 ans, qui a déjà quinze ans de carrière derrière elle.

Jeune Afrique : Votre rôle comporte du jeu en français et en arabe, du chant, de la danse, de la musique. Comment vous êtes-vous préparée ?

De l’âge de 6 ans jusqu’à mes 18 ans j’ai fait de la danse classique et du violon au conservatoire, grâce à mes parents. Même si cela n’avait rien à voir avec l’interprétation, cela m’a permis d’acquérir des bases utiles pour ma future carrière de comédienne. Pour le rôle, j’ai dû m’exercer à nouveau au violon et au chant. J’ai aussi travaillé sur mon corps, avec Mahmoud Vito, le chorégraphe de la pièce – dans laquelle il joue également.

Qu’est-ce qui vous a attirée, dans ce rôle et dans cette pièce ?

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J’ai été séduite par le côté non-manichéen de ses personnages et par l’universalité de son thème. L’action de Que sur toi se lamente le Tigre se situe en Irak, mais il est question de la place des femmes dans toutes les sociétés. Mon personnage se rapproche d’Antigone et d’autres grandes héroïnes de la tragédie antique.

Est-ce une allégorie de la condition des femmes dans le monde ?

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Oui, la pièce fait réfléchir sur leur condition. Dans nos sociétés occidentales, les femmes se battent pour avoir les mêmes droits que les hommes depuis toujours, et on n’y est toujours pas parvenues.

Je me fiche que l’on porte une abaya ou un mini-short. Ce qui me pose un problème, c’est quand on impose le port d’un vêtement

Il est question de tradition. Les femmes sont, par exemple, obligées de porter l’abaya à partir de leur puberté. Cela participe-t-il au poids qui repose sur leurs épaules ? Qu’avez-vous pensé de la polémique sur l’interdiction de ce vêtement dans les écoles, en France ?

Je me fiche que l’on porte une abaya, un jean ou un mini-short. Ce qui me pose un problème, c’est quand on impose un vêtement. Je ne vois pas en quoi ce serait un problème que des jeunes femmes veuillent aller à l’école en abaya, tant que c’est un choix personnel et qu’elles se sentent bien en la portant. Je ne vois pas pourquoi elles auraient moins de droits qu’une jeune fille qui va en cours avec un slim ultra-moulant.

En France, certains esprits limités ont tendance à penser que toutes les femmes voilées qui portent une abaya, ou, plus généralement, les musulmanes sont contraintes de le faire sous la pression de leur entourage. Je ne suis entourée que de femmes qui ont choisi leurs vêtements, parfois envers et contre tous, c’est-à-dire contre la volonté même de leurs parents. Dans la pièce, on impose tout à la jeune femme, elle ne décide pas de sa vie, c’est ça le problème.

Parmi les personnages, il y a le frère « cool », celui qui condamne moralement le patriarcat mais qui ne se « mouille » pas quand il s’agit de défendre sa sœur…

Le frère lâche se définit comme celui qui condamne les règles mais qui ne les défie pas. Il n’y a aucun jugement là-dedans, c’est humain. Le frère lâche est proche de nous tous. C’est peut-être le personnage qui représente le mieux les sociétés occidentales, qui savent tout – surtout par le biais des réseaux sociaux –, mais qui ne font rien.

Quand j’ai commencé les castings, il n’y avait aucune actrice issue de la diversité en dehors de Rachida Brakni

Au cours de votre carrière, vous avez joué Chama dans Ne m’abandonne pas, qui traite de la radicalisation ; Zahira, dans Noces, où il est question de combat contre la tradition ; Nedjma, dans Les meilleures, où il s’agit de briser les barrières du clan ou de l’orientation sexuelle. Est-ce lié au hasard, ou bien est-ce la façon dont vous voit le cinéma français ?

Ce qui m’intéresse, c’est d’interpréter des beaux rôles, au théâtre, au cinéma ou à la télévision. Or les rôles puissants, on les trouve surtout dans la tragédie, dont le moteur est la lutte contre le déterminisme. C’est un personnage qui se dresse contre la société, ou inversement. Pour un acteur, le meilleur moyen de faire passer des messages, c’est l’art. Nous ne sommes ni des politiciens ni des porte-étendards, mais on peut choisir des projets pour parler de certains sujets que l’on veut faire entendre.

Quel a été votre parcours de comédienne ?

J’ai passé mes premiers castings à l’âge de 10 ans, puis j’ai commencé à tourner à 14 ans. À mes débuts il n’y avait aucune actrice issue de la diversité en dehors de Rachida Brakni. Personne ne me ressemblait. Dans les annonces, je lisais : « Cherche jeune Caucasienne ». J’ai dû demander à mes parents ce que cela signifiait ! J’étais trop typée pour certains castings, pas assez pour d’autres. À aucun moment on ne parlait de jeu ou de talent. Il était en revanche question de la case dans laquelle on allait me mettre en fonction de ce à quoi je ressemblais. C’était violent.

C’est en voyant jouer Isabelle Adjani que j’ai voulu devenir actrice

Je suis fière de mes origines, de mon nom de famille, mais, quand je me réveille le matin, je ne me dis pas : « Tiens, aujourd’hui, je vais être une jeune Française d’origine maghrébine ». Le cinéma est un métier d’image, où les gens se permettent plus qu’ailleurs de nous rappeler qui on est censé être et à quelle place on doit rester. Par rapport à l’époque de mes débuts, la situation s’est améliorée, même s’il reste des efforts à faire en terme de représentation [des minorités].

Vous avez commencé les castings très jeune, qu’est-ce qui vous donné envie de tourner ?

Avec ma mère et ma tante nous regardions tous les soirs des vieux films. Je n’arrive pas à savoir quand, exactement, je me suis dit pour la première fois que je voulais faire ce métier, parce que j’ai l’impression que j’ai toujours voulu le faire. Je crois que c’est en voyant jouer Isabelle Adjani.

Avez-vous été soutenue par votre entourage ?

C’est mignon, une enfant qui dit qu’elle va être actrice, aussi mignon qu’une enfant qui dit qu’elle rêve d’être chanteuse. Pour mes parents, c’était un hobby. Ils voulaient que je sois heureuse, mais c’était un milieu qu’ils ne connaissaient pas, donc ils avaient peur. Ils m’ont soutenue autant que possible, sans me mettre de pression ni me décourager. Il y avait peu de chances que je perce dans ce métier, parce qu’il y a tellement d’appelés et si peu d’élus…

Être actrice est un drôle de métier, on est tributaire du désir artistique de l’autre. À partir de mes 12 ans, mon frère m’a accompagnée aux castings. J’étais très protégée, ma famille gardait un œil sur tout ce que je faisais.

Lina El Arabi dans "Que sur toi se lamente le tigre", au Théâtre de La Tempête, à Paris. © Victor Tonelli

Lina El Arabi dans "Que sur toi se lamente le tigre", au Théâtre de La Tempête, à Paris. © Victor Tonelli

Pourquoi avez-vous poursuivi un cursus universitaire en Deug Mathématiques appliquées aux sciences sociales (MAAS) et fait une école de journalisme ?

J’ai toujours aimé l’école, parce que j’y apprenais plein de choses. C’est un privilège de pouvoir aller dans un lieu dont le but est de nous « gonfler le cerveau ». Mes parents ont fait de longues études, c’était important pour eux. Mais le Deug n’a pas été un filet de sécurité pour moi, j’étais sûre que j’allais devenir actrice.

Quant au journalisme, c’est différent, c’est ma deuxième passion, et je pense que j’y reviendrai d’une façon ou d’une autre. On voit bien que, quand un pays va mal, le journalisme va mal, et inversement. Aujourd’hui, on a encore plus besoin des journalistes pour combattre les fake news qui circulent sur les réseaux sociaux. Pour moi, c’est le plus beau et le plus important métier du monde.

Que sur toi se lamente le Tigre (1h20), mise en scène d’Alexandre Zeff, avec Lina El Arabi

Représentations au Théâtre de la Tempête, Route du Champ de manœuvre, 75012, Paris :

du 12 janvier au 11 février 2024, du mardi au samedi à 20h et le dimanche à 16h

Puis en tournée :

8 mars 2024 : Théâtre Antoine-Watteau, Nogent-sur-Marne

14 mars 2024 : La Faïencerie, Creil

22 mars 2024 : Théâtre Romain-Rolland, Villejuif

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