Edorh, Metsoko, Oukpedjo… Paris s’ouvre aux artistes du Togo

Sous l’impulsion de la journaliste Armelle Malvoisin, plusieurs galeries de la capitale française accueillent des plasticiens togolais en février.

Sokey Edorh, La Promenade du dictateur, 2000. Acrylique, latérite, acrylique et indigo sur toile, 130 x 195 cm. © Francois Mallet/Courtesy Galerie Christophe Person.

Sokey Edorh, La Promenade du dictateur, 2000. Acrylique, latérite, acrylique et indigo sur toile, 130 x 195 cm. © Francois Mallet/Courtesy Galerie Christophe Person.

NICOLAS-MICHEL_2024

Publié le 3 février 2024 Lecture : 4 minutes.

Des toiles sans cadre, des nuances de terre crue, des touches d’indigo, des silhouettes animales et de vastes à-plats géométriques remplis d’une écriture serrée, mystérieuse, réservée aux initiés. Rue des Blancs-Manteaux, dans le centre de Paris, la galerie Christophe Person accueille jusqu’au 10 février l’exposition La Terre aux hommes bienveillants du plasticien togolais Sokey Edorh, dans le cadre d’un parcours consacré à la scène artistique togolaise pensé par la journaliste et commissaire d’exposition Armelle Malvoisin.

« On parle beaucoup du Bénin, qui promeut sa culture en fer de lance, et nombre d’artistes du Ghana, autre pays frontalier, ont une notoriété internationale, à commencer par El Anatsui », expose la commissaire, qui déplore que « le Togo, dont l’histoire et les traditions sont pourtant communes, reste une terre inconnue culturellement ».

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« Même le Burkina Faso a sa biennale d’art contemporain [Biso] depuis 2019, et il existe à Ouagadougou une énergie que l’on ne trouve pas à Lomé, constate-t-elle. Pourtant, au tournant des années 2000, les plasticiens de ce que l’on a appelé “l’école de Lomé” avaient une réputation que jalousaient les artistes béninois. Aujourd’hui, c’est l’inverse. »

Latérite et peintures rupestres

Les œuvres de Sokey Edorh, né en 1955 à Tsévié, au Togo, font immanquablement penser aux peintures rupestres qu’il a pu observer, notamment en Dordogne, à Lascaux (France). Les lignes, les signes abstraits comme les pigments utilisés évoquent la recherche d’une forme de primitivisme, au sens noble du terme, celui qui renvoie aux œuvres pariétales réalisées par les hommes, il y a plus de 40 000 ans. « La latérite, cette terre rouge d’Afrique à la fois matériau de construction et de fabrication d’objets artisanaux et sacrés va lui donner la possibilité de se renouveler et de se distinguer, écrit Armelle Malvoisin. Il va la chercher à profusion au mont Agou [100 km au nord de Lomé], dont les villages environnants avec leurs maisons aux murs rouges ont influencé sa créativité. »

L’artiste, lui, précise volontiers qu’il collecte de la latérite dans différents pays, lors de ses voyages, pour obtenir des teintes différentes. « La poussière est plutôt orange en Côte d’Ivoire, plutôt rose au Burkina Faso », dit-il. Ainsi les terres d’Afrique se mélangent-elles sur ses toiles sans frontières. Peintre du quotidien, Edorh n’hésite pas à afficher un discours politique. Si celui-ci est parfois évident, comme avec sa toile de 2006 intitulée Les Vautours, représentant huit charognards penchés sur une représentation abstraite de l’Afrique, c’est surtout dans ses textes qu’il affiche ses revendications.

Sokey Edorh, Les Vautours, 2006. Acrylique, latérite, acrylique et indigo sur toile de coton bogolan, 217 x 160 cm. © Francois Mallet/Courtesy Galerie Christophe Person.

Sokey Edorh, Les Vautours, 2006. Acrylique, latérite, acrylique et indigo sur toile de coton bogolan, 217 x 160 cm. © Francois Mallet/Courtesy Galerie Christophe Person.

Le commun des mortels et les autorités ne peuvent décrypter l’écriture dite « alphabet dogon » que Sokey Edorh appose en pattes de mouches symboliques bien ordonnées sur ses toiles. Le plasticien prétend que ces textes renferment sa pensée poétique et ses critiques des sociétés contemporaines. Un manuel, qu’il soutient avoir rédigé, permettrait de la décrypter. Mais pour l’heure, il faut se contenter d’imaginer ce que disent ces longs discours silencieux qui confèrent aux toiles d’Edorh des allures de parchemins.

C’est ma façon de me libérer des systèmes dictatoriaux qui interdisent la liberté d’expression

Sokey Edorhartiste
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« Par le mystère de sa signification, mon alphabet vise à exprimer le mystère de l’incompréhension des choses non dites, affirme l’artiste, cité par Malvoisin. C’est un moyen de libération et d’indépendance par rapport à l’alphabet romain, importé en Afrique par la colonisation, qui limite l’expression et le génie de certains peuples vivant sous domination. […] C’est ma façon de me libérer des systèmes dictatoriaux qui interdisent la liberté d’expression. »

Profusion d’artistes

En ce début de 2024, Sokey Edorh n’est pas le seul Togolais à présenter son travail dans la capitale française. Au sein de la 193 Gallery (24 rue Béranger), Armelle Malvoisin a réuni autour de lui quatre de ses contemporains sous le titre Magies ordinaires – en référence au récent roman de Kossi Efoui. Ainsi peut-on y voir jusqu’au 24 février les œuvres de Yao Metsoko (né en 1965), les sculptures de Kossi Assou (né en 1958), les photos de Tessilim Adjayi (né en 1988), les objets dessinés par Estelle Yomeda (née en 1975). Et chez Cécile Fakhoury (29 avenue Matigon), c’est le peintre Sadikou Oukpedjo (né en 1970) qui présente avec Méditations solitaires ses personnages massifs, sculpturaux, mi-hommes mi animaux, comme façonnés dans la glaise et rehaussés de couleurs primaires à la riche texture minérale.

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Auparavant, deux autres galeries avaient offert leurs cimaises à des artistes togolais. La galerie Carole Kvasnevski (39 rue Dautencourt) avec les photographies habitées de fantômes d’Hélène Amouzou (née en 1969) qui « fige l’invisible, la solitude, l’exil » et dont le « double moi, spectral, fusionne avec les objets et le décor, évanescents, en mouvement, flous ». Et la galerie Vallois (35 rue de Seine) avec les bâches noires découpées au cutter ou au fer à souder de Koffi Mens (né en 1982).

Manque de visibilité

« À côté d’artistes de la diaspora qui ont réussi à percer comme Sadikou Oukpejo et Atsoupé en s’expatriant respectivement à Abidjan et à Paris, j’avais envie de donner plus de visibilité à des artistes talentueux, explique Armelle Malvoisin, comme le doyen Sokey Edorh et Kossi Assou (classé “Trésor humain vivant du Togo”) dans un pays où il n’y a ni galeries, ni collectionneurs pour soutenir cette scène. L’Institut français du Togo n’a même pas de salle pour exposer les plasticiens et le prestigieux Palais de Lomé, ouvert en grandes pompes en 2019 et qui devait être un centre d’art dynamique, reste une coquille vide sans programmation artistique. »

Sur le fond, ce coup de projecteur sur la scène artistique togolaise montre que le pays n’a rien à envier à son voisin béninois. Si ce n’est, sans doute, un ministère de la Culture, et des entreprises et institutions plus déterminées à promouvoir la création contemporaine.

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