Désormais, les fatwas avancent masquées

Après une période d’intense prolifération, les fatwas semblent en perte de vitesse. Mais en réalité, à présent édictées par des instances officielles, elles prennent des allures de simples décisions juridiques ou administratives.

Après Les Fatwas de Charb – Petit traité d’intolérance, du défunt journaliste de Charlie Hebdo Charb, voici que d’autres intellectuels occidentaux recourent au mot.

Après Les Fatwas de Charb – Petit traité d’intolérance, du défunt journaliste de Charlie Hebdo Charb, voici que d’autres intellectuels occidentaux recourent au mot.

Fawzia Zouria

Publié le 25 février 2024 Lecture : 3 minutes.

J’avais pris l’habitude, chaque début d’année, de vous donner à savourer un « bêtisier des fatwas » des mois précédents. Las ! Rien à se mettre sous la dent pour ce début 2024. Aucune fatwa intéressante, fût-elle d’origine incontrôlée, c’est-à-dire non labellisée. Mais que font donc nos vénérables cheikhs protecteurs de vertus ? Où sont-ils, puisqu’ils ne s’occupent plus ni de nos mœurs, ni de nos corps, ni de nos travers laïcs ? Plus aucun détail sur la façon de tuer les fourmis, de boycotter Mickey Mouse, de faire cohabiter un mâle et une femelle sans la présence du diable, d’autoriser l’acte sexuel sur un cadavre, d’expliquer comment les minijupes produisent des tremblements de terre. Pourtant, qu’est-ce qu’on se marrait !

Fatwas officielles contre fatwas sauvages…

Se peut-il que les temps soient devenus plus sages, trop sérieux, ou simplement que nos censeurs soient plus laxistes ? Il est vrai que le Covid est passé par là et que le plus fameux des auteurs de fatwas, l’imam Youssef Al-Qaradawi, a passé l’arme à gauche. Le Printemps arabe a pour sa part ramené un rude hiver pour les barbus. Les partis islamistes ont été laminés dans les urnes et Daesh semble avoir plié bagage, en tout cas pour le moment. Les Iraniens s’affairent dans le nucléaire, les Pakistanais tentent de dévier leurs missiles. Et Al-Azhar, alors ? Son inspiration a-t-elle tari, ou l’institution a-t-elle perdu de son prestige auprès des musulmans ?

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Il faut dire aussi que les gouvernements ont jugé bon d’instaurer des centres de promulgation de fatwas «officielles», pour contrer les fatwas sauvages. La Conférence islamique internationale, qui s’est tenue à La Mecque en août 2023 à l’initiative de l’Organisation de coopération islamique, s’est achevée sur treize recommandations, dont la mise sous contrôle des fatwas. Même Bruxelles a lancé son Conseil européen de la fatwa et de la recherche (CEFR), tout comme l’Australie, son Dâr Al-Fatwâ – « maison de la fatwa » – pour faire le tri entre le licite et l’illicite chez le musulman.

Autre chose : les fatwas ont changé de forme. Édictées par des instances officielles et des organismes d’État, elles ont des allures de simples décisions juridiques ou administratives. Et s’orientent de plus en plus vers le domaine politique. Ainsi, le Conseil de la fatwa des Émirats arabes unis, le Conseil des grands savants d’Arabie saoudite et, plus récemment, le Conseil de la fatwa de la ville de Nadjaf, en Irak, ont édicté un décret religieux désignant le mouvement Hamas comme organisation terroriste. La belle affaire !

… Et « fatwas démocratiques »

Les Blancs s’y mettent aussi à titre individuel. Après Les Fatwas de Charb. Petit traité d’intolérance, du défunt journaliste de Charlie Hebdo Charb, voici que d’autres intellectuels occidentaux recourent au mot. Un exemple : cet article intitulé « Les fatwas du grand juge blanc », écrit par Alain Brossat (et paru sur le site de l’association Ici et ailleurs le 14 octobre 2023), qui considère comme une « fatwa démocratique » « l’affinité coloniale entre la France blanche et l’Israël suprémaciste », « le parti pris des élites politiques, médiatiques et intellectuelles en faveur de l’État d’Israël, au détriment des Palestiniens », « l’indignation à sens unique, la compassion sélective pour les victimes, l’interdiction des manifestations en faveur de la cause palestinienne, la fraternisation avec les appendices de l’État d’Israël en France ». Bon, on aura compris…

Enfin, il existe désormais une façon insidieuse d’édicter des fatwas sans en avoir l’air, notamment en matière de culture, en faisant passer les avis de prohibition religieuse pour des mesures d’interdiction administrative. Ainsi a-t-on vu l’Égypte retirer du salon du livre du Caire de cette année Le Harem politique, de Fatima Mernissi. Pourquoi donc ? Il n’ y a rien dans cet écrit qui offense l’islam ou le prophète. Bien au contraire. Sans doute la plus ridicule des fatwas d’une race d’enturbannés sur le déclin.

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