De la SIR à la SMB, Marie-Joséphine Sidibé, trait d’union du pétrole ivoirien

À la tête de la Société multinationale de bitumes, la dirigeante, passée par la banque avant de faire carrière dans la Société ivoirienne de raffinage, pilote l’une des entreprises les plus prospères de Côte d’Ivoire, assise sur un monopole.

Marie-Joséphine Sidibé est directrice générale de la Société multinationale de bitumes depuis août 2021. © MONTAGE JA : DR.

Marie-Joséphine Sidibé est directrice générale de la Société multinationale de bitumes depuis août 2021. © MONTAGE JA : DR.

Salimata Kone

Publié le 10 avril 2024 Lecture : 5 minutes.

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Depuis plus de trente ans, son quotidien, c’est le pétrole. Marie-Joséphine Sidibé était loin de s’imaginer ce jour de 1991 où elle intègre la Société ivoirienne de raffinage (SIR) en tant que commerciale, qu’elle dirigerait un jour l’une des plus grandes entreprises de la Côte d’Ivoire. À la tête de la Société multinationale de bitumes (SMB) depuis août 2021, la directrice s’efforce de maintenir le cap. Cotée à la Bourse d’Abidjan, la SMB a réalisé en 2022 – les résultats annuels pour 2023 n’ont pas encore été communiqués – un chiffre d’affaires de 276,9 milliards de F CFA (422 millions d’euros) – en forte augmentation en raison de la hausse des cours du pétrole, utilisé dans la fabrication de bitume –, pour 9,4 milliards de F CFA de résultat net.

À l’aune du cinquantenaire de l’entreprise créée en 1976 sur l’initiative de Félix Houphouët-Boigny, sa patronne n’a qu’un objectif : consolider ses acquis, s’efforçant de ne pas en faire « un géant au pied d’argile », en référence aux subventions que verse l’État en contrepartie d’une baisse des prix de vente. La prochaine priorité de l’entreprise est désormais d’ouvrir un dépôt supplémentaire pour augmenter ses capacités de stockage. Pour l’heure, la SMB dispose d’une capacité de 46 400 m3 de stockage de bitume en Côte d’Ivoire et au Ghana. Le site ghanéen, ouvert en juin 2022, répond au besoin de ravitailler rapidement ce marché important pour l’entreprise.

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Pour grandir, la société veut à présent sortir d’Abidjan et s’établir à San Pedro. Les études de faisabilité sont en cours. La cité portuaire représente « un pôle incontournable, parce que le pays va y construire un second terminal pétrolier pour alimenter le Libéria et la Guinée », souligne la dirigeante. L’entreprise envisage également de construire sur son futur site une unité de bitume modifié au polymère (le PMB).

Formée en France et chez TotalEnergies

Les hydrocarbures n’ont pas toujours été le quotidien de Marie-Joséphine Sidibé, originaire de l’Indénié-Djuablin, dans l’est de la Côte d’Ivoire. Ce n’est qu’en 1991, après quatre ans passés à la Société générale, au cours desquels elle a notamment piloté la mise en place des guichets automatiques, qu’elle postule pour la SIR, informée par un camarade de promotion de la disponibilité d’un poste de commercial au sein de la raffinerie. La diplômée de l’École supérieure de commerce d’Abidjan (Esca) trouvait les banques « trop administratives » à son goût, elle saute sur l’occasion. « Elle n’a pas eu peur de quitter la banque commerciale pour le pétrole, se remémore Joël Dervain, ancien directeur général de la SIR. C’était plus un défi pour elle, mais sa formation lui a donné une parfaite polyvalence. »

Celui qui était alors directeur des ressources humaines s’était pourtant opposé dans un premier temps au recrutement de la candidate. Après avoir rencontré cinq chefs de services, Marie-Joséphine Sidibé avait montré des signes de lassitude. « Elle ne cessait de consulter sa montre, cela m’avait un peu dérangé », avoue aujourd’hui celui qu’elle appelle affectueusement « grand frère ». Face à l’insistance de ses collaborateurs, il cède, « sans regrets ».

Néophyte dans le domaine des hydrocarbures, l’ex-banquière suit des programmes intensifs de formation en interne, pour cerner le secteur et « s’imprégner de la profession », se souvient-elle. « Quand on recrute dans ce domaine, on est conscient que c’est un métier  difficile. Le monde de la raffinerie est un monde fermé », explique Charles Thiémélé, chef du département Afrique au sein du négociant BGN. La SIR envoie sa nouvelle recrue à la raffinerie pour qu’elle comprenne les rudiments du métier auprès des ingénieurs, puis en France, elle effectue des stages chez TotalEnergies, partenaire technique de l’entreprise, et suit des cours à l’Institut français du pétrole (IFP). « Ce sont les gens du métier, avec 20 ou 25 ans d’ancienneté, qui viennent former ceux qui arrivent  », se rappelle Marie-Joséphine Sidibé, qui sera nommée en 2007 directrice commerciale et économique.

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Monopole sur le bitume

Son arrivée à tête de la SMB, où elle remplace Mamadou Camara en août 2021, n’est pas une grande surprise. Dans l’aval pétrolier ivoirien, les acteurs mutualisent leurs forces. À Abidjan, la SIR et la SMB, sa filiale à 72 %, se partagent tout, des techniciens aux locaux. Ainsi, pour les habitués de l’aval pétrolier ivoirien, il n’est pas étonnant de voir les salariés de la SMB travailler à la SIR et vice-versa. Une coopération qui s’explique par le coût élevé du raffinage. L’activité de raffinerie est faite pour les gros marchés, ceux qui affichent « 6 ou 7 millions de consommateurs », défend Marie-Joséphine Sidibé.

« Il existe une passerelle tacite entre les deux. Il n’est pas surprenant que les directeurs de la SMB viennent de la SIR. C’est un petit secteur et tout le monde se connaît », commente Charles Thiémelé. D’autant que les deux entités sont liées par un contrat de partage qui leur permet de disposer des mêmes opérateurs et de travailler avec les mêmes installations techniques. Ce partenariat permet à la SMB d’avoir 62 employés au lieu d’une centaine et à la SIR d’engranger plus de profit.

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Aujourd’hui privée avec 28 % de capital flottant, la SMB, société publique entre sa création et 1995, a gardé tous les privilèges dus à son ancien statut. Seul fabricant de bitume du pays, l’entreprise est en situation de monopole avec la bénédiction de l’État. « Nous n’avons pas de concurrents. Le bitume utilisé par les entreprises de BTP en Côte d’Ivoire, comme Porteo ou encore Colas vient de la SMB », déclare fièrement Marie-Joséphine Sidibé.

Proximité avec l’État

En dépit de cette exclusivité dans l’aval pétrolier, la dirigeante rejette toutes rumeurs d’ingérence du gouvernement dans son entreprise. Sous-entendre que le gouvernement interfère dans la gestion de l’entreprise va même jusqu’à l’irriter. « Je le répète, nous ne sommes pas une entreprise publique », tempête-t-elle en rangeant son bureau, avant d’ajouter : « L’État ne nous gère pas, car il est sorti du capital. »

L’État ivoirien est pourtant actionnaire indirect de la SMB, via la SIR, dont il détient 47,28 % des parts. Si Yamoussoukro n’intervient plus dans la gestion quotidienne de la Société multinationale de bitumes, il garde la main sur les nominations au sein du conseil d’administration, ainsi que sur celle du directeur général (ou, ici, de la directrice générale). Cette proximité assumée timidement par la DG a permis aux deux institutions de mettre en place un « partenariat stratégique ». L’État s’assure ainsi du bon fonctionnement du secteur en régulant. La SMB, quant à elle, se pose en soutien de l’économie ivoirienne en prenant en compte les intérêts du pays.

« À la suite de à la flambée des prix due à la guerre en Ukraine, l’État a demandé à la SMB et à la SIR de baisser leurs prix, et il nous rembourse la différence », indique Marie-Joséphine Sidibé, selon laquelle le gouvernement ivoirien a été « visionnaire » en se lançant dans de grands chantiers, comme le port autonome d’Abidjan, la SIR et Petroci (la Société nationale d’opérations pétrolières de Côte d’Ivoire). Pour autant, l’entreprise doit être tournée vers le profit, souligne-t-elle :  « Nous ne pouvons vivre que de subventions. Nous devons générer des revenus, comme toutes les entreprises. »

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