En zone franc CFA, des banques plus fortes mais à quel prix ?

En décidant de doubler le capital social minimum des établissements, à 20 milliards de F CFA, les autorités monétaires ouest-africaines cherchent à pérenniser leur business model. Mais pour préserver sa solidité, le secteur devra sans doute passer par des fusions-acquisitions.

Devant le siège de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO). © Vincent Fournier/JA.

Devant le siège de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO). © Vincent Fournier/JA.

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Publié le 27 février 2024 Lecture : 9 minutes.

L’industrie bancaire en Afrique connaît de profonds changements. © ADOBESTOCK.
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Les habits neufs de la banque en Afrique

Dans ce dossier exclusif, JA se fait l’écho de la mutation du secteur bancaire sur le continent et explore, notamment au moyen de classements régionaux, les dynamiques spécifiques aux régions francophone et anglophone. L’interconnexion entre acteurs financiers ouvre un chapitre inédit, avec plus d’inclusion, une industrie résolument autonome et ancrée dans la réalité continentale.

Sommaire

C’est un cadeau de début d’année aux saveurs de facture salée. En décidant de relever le capital social minimum des banques de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa) de 10 milliards à 20 milliards de F CFA (30,5 millions d’euros), les autorités monétaires et règlementaires invitent les actionnaires de près de la moitié des établissements bancaires, à remettre la main à la poche.

L’objectif ? Renforcer la résilience du secteur bancaire et répondre aux besoins croissants de financement auxquels font face les pays de l’Union.

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Quoique inédite, cette mesure était attendue par le secteur. « L’environnement bancaire est singulier dans la mesure où, dominé pendant longtemps par des groupes internationaux (BNP Paribas, Société générale, Standard Chartered…) qui contrôlaient le marché, le secteur voit l’émergence d’acteurs locaux et régionaux qui grapillent des parts grâce à leur modèle souple et adapté », explique le dirigeant d’une société de gestion d’actifs installée à Abidjan.

67 banques concernées

Le secteur, guidé jusqu’ici par la réglementation Bâle I (en référence à  l’ensemble de recommandations formulées par le G10 en 1988 par le Comité de Bâle,visant à garantir un niveau minimum de capitaux propres, afin d’assurer la solidité financière), a révisé son corpus réglementaire pour adapter les banques aux nouvelles exigences. L’entrée en vigueur des normes internationales Bâle III, après la crise financière de 2007-2009,  impulse un nouveau dispositif assis sur trois piliers : le renforcement des capitaux, l’adressage spécifique des problématiques de liquidités, et la transparence et communication financière.

« Les banques doivent donc justifier d’un capital réglementaire suffisamment solide pour assurer la pérennité de leur modèle d’affaires et, in fine, pour faire face à d’éventuels chocs exogènes et endogènes », poursuit notre banquier. De fait, les évolutions règlementaires intègrent les nouveaux risques de l’environnement financier comme l’alliance avec les fintechs, le mobile money ou encore la protection des données à caractère personnel des clients.

Dans la pratique, les actionnaires disposent d’un délai maximum de trois ans pour mettre leur établissement en accord avec la nouvelle norme. L’augmentation de capital doit, en outre, se réaliser par un apport en numéraire ou l’incorporation de réserves de la banque. Tout établissement bancaire qui dispose d’un capital inférieur à 20 milliards de F CFA est tenue de transmettre un plan de mise en conformité aux autorités monétaires et règlementaires au plus tard le 1er juillet.

Les établissements bancaires de l’Union monétaire ouest-africaine totalisaient 64 305 milliards de F CFA de total au bilan en 2022

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D’après les informations compilées par Jeune Afrique, sur les 132 établissements bancaires de l’Union monétaire ouest-africaine (Umoa) – dont le total au bilan était de 64 305 milliards de F CFA en 2022 selon le gendarme du secteur –, 67 enseignes sont concernées par cette mesure, notamment celles avec des capitaux publics (Banque agricole du Faso, Banque postale du Burkina, Banque de l’habitat du Sénégal, UTB au Togo ou encore Bagri au Niger).

Coût d’entrée trop important

« Cette décision freinera l’entrée de nouveaux acteurs dans le secteur bancaire. Avec 10 milliards de F CFA, c’était encore faisable, mais là nous passons au double ce qui réduit le nombre de candidats potentiels », dénonce un autre dirigeant de banque établi à Abidjan.

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Dans un secteur bancaire en pleine ébullition avec l’arrivée massive de nouveaux acteurs, certains ressentent déjà l’impact de cette mesure du régulateur. C’est le cas notamment du leader burkinabè du leasing et de l’affacturage, Fidelis Finance, qui préparait sa mue en banque traditionnelle et a dû retarder son projet pour lui permettre de se conformer aux nouvelles exigences.

En transformant Fidelis en banque, ses dirigeants aspirent à « rester concentrés sur le financement des PME », explique une source au sein de l’entreprise, qui souligne que « grâce à l’expérience acquise, et forts des nouvelles capacités, nous pourrons davantage financer les besoins des entreprises, des États et participer au développement de nos pays de présence ».

En attendant, l’établissement dirigé par l’homme d’affaires Abdoulaye Kouafilann Sory a déjà porté son capital de 6 milliards à 14 milliards de F CFA. Cette opération permet à AfriCapital Partners – également fondé par Abdoulaye Kouafilann Sory – de demeurer l’actionnaire de référence de Fidelis, tout en signant l’entrée d’institutionnels dans le capital, comme certaines caisses de retraite de la région et, surtout, d’un fonds d’investissement et d’investisseurs privés locaux et régionaux.

Jusque-là, le tour de table de Fidelis Finance était constitué d’AfriCapital Partners (29,14 %), de la Banque ouest-africaine de développement (BOAD, 15 %), du Fonds de solidarité africaine (FSA, 15 %), du Fonds burkinabè de développement économique et social (FBDES, 15 %), du groupe Sunu Assurances (10 %) et de la BIDC, la Banque d’investissement et de développement de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao).

Vers une vague de fusions-acquisitions ?

Au Burkina Faso, troisième économie de l’Uemoa par son PIB, le secteur bancaire est très disparate et on dénombre près d’une vingtaine d’établissements. Même chose en Côte d’Ivoire ou au Sénégal par exemple, qui comptent respectivement une trentaine et une vingtaine d’établissements, bien au-delà des dix banques enregistrées au Maroc dont l’économie plus forte.

« Champions de l’intégration économique », les entrepreneurs burkinabè s’imposent dans la finance à l’image d’Idrissa Nassa, dirigeant-fondateur de Coris Bank, ou encore du tycoon Mahamadou Bonkoungou qui, en plus d’être à la tête du poids lourd de la construction Ebomaf, est aussi propriétaire d’IB Bank . Quant à Simon Tiemtoré, révélé au monde financier ouest-africain par l’accélération de ses opérations de rachat de banques depuis 2021, il est en train de boucler la reprise du réseau Orabank.

Au total, l’Uemoa, forte de huit pays ayant en commun le franc CFA, compte ainsi une centaine d’établissements financiers. Trop ou trop peu ? La réponse varie d’un interlocuteur à l’autre.

Dans une logique de rationalisation du secteur, « nous pouvons nous attendre à des fusions-acquisitions, des absorptions ou des dilutions, notamment des plus petits établissements, estime un financier ivoirien et ancien cadre de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), pour qui « cette probable recomposition renforcera la stabilité financière au sein de l’Union ».

« Cette décision aura un impact certain sur le paysage bancaire de l’Umoa, avec moins d’acteurs sur le marché, à l’instar de ce que nous avons observé au Nigeria », acquise Franck Fanou, directeur Afrique francophone subsaharienne de la pratique bancaire chez KPMG.

En d’autres termes, les petites banques ou celles qui sont sous-capitalisées, incapables de répondre aux nouvelles exigences, devront se restructurer ou se regrouper pour survivre. Ces restructurations devront ainsi donner naissance à de nouvelles entités solides, à même de répondre aux besoins de financement des économies des pays de la région.

Dépendances aux titres publics

« Je ne crois pas à une reconfiguration profonde du système bancaire de l’Umoa », tranche Dramane Sanou, ancien haut-fonctionnaire de la BCEAO et de la Commission bancaire (CB-Umoa). L’avocat d’affaires burkinabè relativise l’ampleur des fusions-regroupements à venir, arguant que la décision du relèvement du capital vise avant tout à renforcer la résilience du secteur bancaire à travers des banques compétitives.

« Beaucoup de banques respectent déjà le niveau de capital des 20 milliards de F CFA ou n’en sont pas aussi éloignées, souligne-t-il. D’autre part, le délai de trois ans pour régulariser la situation permettra aux banques dotées d’un solide réseau et d’une bonne réputation de se préparer ou de rechercher de nouveaux actionnaires pour intégrer leur tour de table. L’effet sera donc assez marginal. »

Un autre défi pour les banques de la zone concerne leur dépendance aux opérations de refinancement de la Banque centrale. Leur portefeuille est en effet dominé par les titres publics, tels que ceux de Côte d’Ivoire, du Mali ou du Bénin. « Les banques doivent réduire cette dépendance et utiliser une partie de ces titres pour lever des ressources sur le marché international sur la base d’une structuration adaptée à leurs portefeuilles – Repo, certificat de dépôts etc. », plaide pour sa part Franck Fanou, de KPMG.

Crise de liquidités

Mieux, ces entités doivent déployer une politique de collecte de ressources sur l’ensemble des segments commerciaux de la clientèle des banques. Mobiliser l’épargne constitue « un réel défi pour faire face à la crise de liquidité » que traverse le secteur financier régional, sollicité à outrance par les États pour leurs besoins de financement du développement, pointe encore Franck Fanou.

« Les autorités veulent assurer la solidité du système bancaire et la résilience à supporter les chocs actuels et futurs. Mais l’augmentation actuelle du capital ne saurait, à elle seule, résoudre la crise de liquidité », appuie un financier de la région. L’appétit des investisseurs régionaux pour la dette souveraine a fini par assécher en partie la trésorerie des banques de l’Union. Le retour de la Côte d’Ivoire (avec 2,6 milliards de dollars levés) et du Bénin (750 millions) sur le marché de la dette apporte un bol d’air.

« Il y aura une embellie sur la situation de la liquidité dans l’Union, car ces ressources permettront aux États de financer leur déficit ainsi que les grands chantiers », juge un banquier, qui insiste néanmoins sur les facteurs de risques politiques et sécuritaires en lien avec le retrait annoncé du Mali, du Burkina Faso et du Niger de la Cedeao. Une embellie, donc, mais avec encore beaucoup d’incertitude.

Les établissements publics, un cas particulier

Alors que la prise de contrôle de banques par des capitaux publics doit encore prouver sa pertinence dans l’architecture financière nationale et régionale, Dramane Sanou pointe la cohérence du retour des États dans la finance. D’après l’ancien fonctionnaire de la Commission bancaire, ce sont les banques sectorielles à capitaux publics, telles que les banques agricoles, de l’habitat, ou encore des banques postales, qui pourrait davantage ressentir l’effet du relèvement du capital social.

« Cette nouvelle mesure, estime-t-il, donne l’occasion aux États et aux personnes publiques actionnaires de réfléchir à la création de pôles bancaires publics – sans nécessairement fusionner les banques à capitaux publics entre elles –, en les dotant d’une stratégie de développement et de financement des économies nationales définie par le politique, y compris la mise en place d’outils de pilotage centralisés et homogènes. »

L’expérience de la Banque agricole du Burkina, par exemple, se révèle aujourd’hui chaotique, bien que sa création fut une bonne idée, aux dires d’un financier ouest-africain, L’établissement accuse aujourd’hui 17 milliards de F CFA de pertes et un montant colossal de près de 50 milliards de F CFA [76,2 millions d’euros] de créances compromises.

« Dès leur création, les banques sectorielles à capitaux publics naissent handicapées par le biais réglementaire, explique Dramane Sanou, car la réglementation bancaire de l’UMOA s’adresse exclusivement aux banques universelles, sans prévoir de réglementation spécifique tenant compte d’un objet social particulier tourné vers l’agriculture, l’habitat, l’élevage, etc. »

Ainsi, pour survivre, « ces banques sont obligées d’exercer comme banques universelles à l’instar des autres, poursuit-il. Ce d’autant plus qu’elles n’appartiennent pas à un groupe bancaire permettant de faire des économies d’échelle en profitant de l’apport d’autres filiales du groupe ou de holding bancaire ».

La Bicici un cas d’école

En la matière, Abidjan semble un bon élève. Pour soutenir leur projet d’État investisseur contrôlant près d’une centaine d’entreprises publiques, dont la loterie nationale (Lonaci) ou encore la société nationale  pétrolière (Petroci), les autorités ivoiriennes ont bâti un écosystème financier propre à leurs ambitions. C’est dans cette veine qu’en septembre 2022, un consortium d’acteurs publics a acquis auprès de BNP Paribas le contrôle de la Banque internationale pour le commerce et l’industrie de la Côte d’Ivoire (Bicici).

« Les États doivent impulser la direction des économies, comme en Côte d’Ivoire ou au Sénégal, en se dotant de bras financiers pour des domaines comme l’agriculture, les PME… qui parlent peu aux grands groupes bancaires dont les intérêts des actionnaires ne coïncident pas avec ceux de nos pays. Il faut des institutions relais pour financer ces secteurs prioritaires », explique à JA Cheick Travaly, ancien banquier et administrateur du groupe de bancassurance Sunu. Cette opinion, de plus en plus partagée au sein du monde financier ouest-africain, interpelle également les décideurs politiques.

Mais, au Burkina Faso, la multiplication des établissements publics soulève la question de la cohérence de la stratégie publique en la matière. On y trouve ainsi la Banque agricole du Faso, la Banque postale ou encore la Banque commerciale du Burkina, détenue à parts égales par l’État burkinabè, via son Fonds de développement économique et social, et par la Libye, à travers la Libyan Foreign Bank.

« La loi bancaire entrée en vigueur en janvier et la décision de relèvement du capital obligeront les États à penser une stratégie d’ensemble », souligne Cheick Travaly. Faut-il regrouper ces entités ou en redéfinir l’objet social ? La réponse semble incertaine, tant l’avenir de l’union monétaire apparaît désormais compromis par le spectre d’une sortie « brutale » des pays de l’Alliance des États du Sahel (AES).

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