Algérie : le 15 avril 1999, le jour où Bouteflika débute son premier mandat

Élu président de la République après une traversée du désert de vingt ans, l’ancien ministre des Affaires étrangères va devoir composer avec l’armée et avec les islamistes, analysait à l’époque l’envoyé spécial de JA à Alger, Paul-Marie de la Gorce.

Abdelaziz Bouteflika, candidat à la présidentielle en Algérie, le 15 avril 1999.

Abdelaziz Bouteflika, candidat à la présidentielle en Algérie, le 15 avril 1999.

Publié le 15 avril 2024 Lecture : 5 minutes.

Cet article est issu de nos archives, il a été publié pour la première fois en avril 1999.

À en juger par le calme qui règne à Alger, par les conversations privées, par les soucis quotidiens des Algériens, par les informations publiées dans la presse concernant la sécurité ou l’insuffisance des services publics, il n’y a rien de changé en Algérie depuis l’élection présidentielle du 15 avril [1999]. À un détail près : ce n’est plus Liamine Zéroual qui est président de la République, mais Abdelaziz Bouteflika. Et, pour l’avenir, c’est le plus important.

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Bouteflika sera-t-il moderniste ?

Les deux hommes sont aussi différents qu’on peut l’être. Zéroual n’a pas ardemment souhaité être candidat. Une fois élu, il n’a jamais vraiment gouverné. Et quand on lui a reproché l’impuissance de son gouvernement, incapable de faire adopter des réformes par une majorité parlementaire hétéroclite, il a préféré s’effacer.

Bouteflika, lui, a voulu être candidat. Il a tout fait pour être élu et, aujourd’hui, il entend bien gouverner. Il le fera naturellement avec son tempérament combatif, impérieux, même : ce n’est pas pour rien que ses adversaires lui reprochent son autoritarisme. N’hésitant ni à bousculer ni à choquer ses interlocuteurs, ne reculant devant aucun affrontement et ne mâchant pas ses mots, il s’est révélé, au cours de sa campagne, tel qu’en lui-même… À la stupeur, parfois, de ses propres amis. Et au grand désagrément de la majeure partie de la presse algérienne, avec qui il entretient des rapports détestables…

Mais est-il vraiment resté l’homme qu’il était dans les années 1970, à l’époque où il dirigeait le ministère des Affaires étrangères ? Certainement pas. Aucun homme politique, si forte soit sa personnalité, ne peut subir une aussi longue traversée du désert – vingt ans ! – sans en être profondément marqué.

Au temps de Boumédiène

Du temps de Houari Boumédiène déjà, on le savait très réservé à l’égard de l’expérience d’économie étatisée menée en Algérie depuis l’indépendance. Il est désormais un partisan résolu de l’économie de marché et de la liberté des entreprises. Nul doute qu’il donnera un sérieux coup d’accélérateur en ce sens. On le savait aussi moderniste : il l’est, si possible davantage encore, ayant vu à quels ravages l’intégrisme traditionaliste peut conduire.

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Saura-t-il gouverner dans un cadre politique complètement différent et dans une société transformée, en profondeur, par les dramatiques déchirements de ces dernières années, avec une presse libre et très critique, des partis multiples, des échéances électorales, et dans un contexte international marqué, depuis la fin de la guerre froide, par l’écrasante prépondérance des États occidentaux ? Ses partisans en sont convaincus, et ses adversaires se méfient : la suite les départagera.

Naturellement, il devra gouverner avec l’armée. On se souvient qu’il y a cinq ans celle-ci lui avait offert le pouvoir et qu’il l’avait refusé, estimant que les militaires tentaient d’imposer d’insupportables entraves à sa liberté d’action. C’est dire qu’il ne se laissera pas facilement brider. Les généraux algériens le savent, et il sait, de son côté, qu’ils n’ont pas tous voté pour lui. Il est vrai que, comme le dit l’un d’entre eux, « l’armée n’a aucune position sur la propriété de la terre, le code civil, la famille ou la réforme du système bancaire ». Et qu’il n’y a pas de fossé entre Bouteflika et les responsables militaires sur le seul terrain où ceux-ci font bloc, et qui, selon eux, doit rester intangible : la lutte contre l’islamisme armé.

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L’armée algérienne et les islamistes

Le président a aussi les moyens politiques de gouverner. Ceux, d’abord, que la Constitution lui donne. Deux solutions s’offrent à lui. Soit former un nouveau gouvernement – après le sommet de l’OUA à Alger (au mois de juillet) ; soit remanier, très vite, le gouvernement sortant, quitte, dans l’hypothèse où celui-ci n’obtiendrait pas la majorité à l’Assemblée lors d’un vote important, à devoir provoquer de nouvelles élections législatives.

Reste à savoir s’il ne sera pas prisonnier des partis qui ont pris position en sa faveur, pendant la campagne : le Rassemblement national démocratique (RND) – créé, à l’origine, pour soutenir Zéroual –, le Front de libération nationale (FLN), Ennahda (islamiste modéré) et, au dernier moment, le Mouvement de la société pour la paix (MSP), de Mahfoud Nahnah.

Il est vrai que, chaque fois, il a pris soin de préciser qu’il se félicitait, sans doute, de ces soutiens, mais qu’il ne les avait pas sollicités : façon de dire qu’il entendait bien garder les mains libres. Il n’empêche que, pour faire voter une loi ou adopter le budget de l’État, il faut une majorité à l’Assemblée. Et que les partis qui ont appelé à voter pour lui en attendent une contrepartie, tant en ce qui concerne l’attribution de postes ministériels que pour la définition des grands choix politiques, économiques et sociaux.

Or tous les partis qui l’ont soutenu sont en crise. Ce sont d’ailleurs les mêmes qui constituaient la majorité parlementaire des gouvernements précédents – avec le renfort d’Ennahda. On sait, par exemple, qu’une partie des cadres du FLN ont rejoint Mouloud Hamrouche, et qu’ils le suivront si celui-ci se décide à fonder son propre mouvement.

Au MSP, l’autorité de Mahfoud Nahnah est fortement contestée par ceux qui trouveraient naturel de rejoindre la mouvance islamiste mobilisée en faveur d’Ahmed Taleb Ibrahimi. Ennahda, ayant rompu avec son fondateur, Abdallah Djaballah, se trouve décapité. Au RND, une fraction de militants s’est ralliée à Mokdad Sifi, mais la quasi-totalité des cadres, c’est-à-dire les groupes d’autodéfense, les responsables économiques et les dirigeants professionnels vont s’efforcer de faire du mouvement le « parti du président ».

Bouteflika jugé sur ses actes

Grâce à l’autorité que ses pouvoirs lui confèrent, mais aussi à la possibilité d’user de son droit de dissolution – à laquelle les parlementaires de tous les pays sont rarement indifférents –, Bouteflika a les moyens d’agir. D’autant qu’il disposera, le cas échéant, d’une marge de manœuvre. Dans la mouvance démocrate, le Comité de coordination pour la défense de la République (CCDR), de Salah Boubnider, et l’Alliance nationale pour la République (ANR), de Redha Malek, ont fait savoir qu’ils jugeraient son action, non selon des préventions anciennes, mais sur ses actes.­

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