Fabrice Sawegnon (Voodoo) : « En Côte d’Ivoire, c’est toute l’économie qui a gagné la CAN »

Le fondateur et PDG du groupe Voodoo – qui s’apprête à fêter ses 25 années d’existence en Côte d’Ivoire – est le Grand Invité de l’économie RFI-Jeune Afrique.

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Publié le 24 février 2024 Lecture : 11 minutes.

L’ACTU VUE PAR – Né en janvier 1972 à Abidjan de parents originaires du Bénin, Fabrice Sawegnon s’est imposé parmi les figures africaines de la communication, de l’événementiel, de la publicité, des médias, des divertissements, du marketing et de la production. Son carnet d’adresses, formé au fur à mesure des succès des campagnes publicitaires, mais surtout des campagnes électorales qu’il a menées (Omar et Ali Bongo, Gnassingbé Eyadema, Ibrahim Boubacar Keïta, Alassane Ouattara…), contribue également au développement de son empire médiatique, dont la tête de pont représente quelque 15 milliards de francs CFA (22 millions d’euros).

Le parti présidentiel en Côte d’Ivoire a choisi de lui faire deux fois confiance en le désignant candidat du RHDP à la mairie du Plateau, là où il a grandi. Ses sympathisants le surnomment d’ailleurs le « fils du Plateau », le « Kirikou du Plateau ».

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Pour Jeune Afrique, il revient largement sur la Coupe d’Afrique des nations 2023 – qui s’est terminée en Côte d’Ivoire le 11 février dernier par une victoire des Éléphants –, ses retombées économiques et sa communication, mais aussi sur d’autres sujets d’actualité comme les dernières élections municipales et la présidentielle à venir en Côte d’Ivoire, l’avenir des médias… Rencontre.

Jeune Afrique : Qu’attendez-vous de la CAN 2023 de football en termes de retombées financières dans le secteur de l’audiovisuel, que vous représentez ?

Fabrice Sawegnon : Ce qu’on attendait : la coupe. On l’a eue ! Donc bravo à notre équipe, bravo à notre fédération et au Cocan [le comité d’organisation de la Coupe d’Afrique des nations de football Côte d’Ivoire 2023, NDLR] qui a très bien organisé le tournoi, bravo aux supporters ivoiriens qui ont porté l’équipe très fortement. Sans oublier le président de la République, qui a mis tous les moyens pour pouvoir faire de cette fête une réussite.

En tant que chaîne de télévision, nous n’avons pas eu la chance de diffuser la compétition, donc nous n’avons pas de retombées directes d’un point de vue télévisuel et de chiffre d’affaires. Mais il est clair que l’économie de façon globale a bénéficié de cet événement majeur. L’ensemble des secteurs ont été boostés, que ce soit de la TV, du tourisme, de la restauration, même des infrastructures.

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Votre groupe a accompagné la campagne publicitaire de la CAN au niveau du Cocan et vous avez géré la communication du village de la CAN de la ville de Korhogo. Cela a-t-il été une bonne affaire ?

Nous sommes intervenus de trois façons : pour la CAN, nous étions de l’agence de conseil principale sur la partie communication. Ensuite, on a travaillé sur la communication pour le compte de la présidence. Dans ce cadre, nous avons réalisé et diffusé un film qui s’appelle « Côte d’Ivoire, venez ». Et puis, au niveau opérationnel, on a effectivement géré la fanzone de Korhogo, grâce à notre agence événementielle Soda.

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Vous évoquez le tourisme et l’image de la Côte d’Ivoire… Comment, justement, convertir cette image positive reflétée pendant la CAN en termes d’accueil des touristes, notamment dans les infrastructures ?

Il y a sans doute des choses à mettre en place, globalement, pour que la Côte d’Ivoire devienne un pays touristique. Qu’est-ce qu’on peut améliorer dans ce pays pour que les touristes soient accompagnés en nombre, et au-delà de l’expérience humaine de la CAN ?

On a eu la chance, grâce à cet événement, de voir de nombreux hôtels ouvrir. Il y a plus de lits, plus de capacités. Nous sommes sur la bonne voie, mais il faut encore travailler à faire des routes pour aller dans les régions ivoiriennes, notamment.

En tant que professionnel de la « com’ », trouvez-vous que la communication du Cocan lors des incidents de la billetterie, en début de tournoi, a été bien gérée ?

Ce n’est ni un sujet de communication ni un sujet Cocan à la base. C’est un sujet CAF, puisque la billetterie est vraiment entre les mains de la Confédération africaine de football. Cela concerne la disponibilité des billets.

Il est important que la CAF tire une expérience positive de ce qui s’est passé en Côte d’Ivoire pour améliorer la mise à disposition et le printing des billets pour les prochaines éditions.

Vous avez fondé Voodoo en 1999, une agence de publicité et de communication créée par des Africains pour les Africains. Le paysage a-t-il changé en vingt-cinq ans en Côte d’Ivoire, et de manière générale en Afrique de l’Ouest ?

Quand on s’est lancé, il n’y avait quasiment pas d’agence africaine dans le paysage. On voyait les noms des grandes agences internationales comme Ogilvy, Young & Rubicam, qui étaient fortes localement.

Donc nous avons voulu créer une agence qui soit africaine portée par les Africains, avec des idées, une stratégie fortement inspirées de notre univers africain. Nous nous sommes très rapidement retrouvés numéro un et nous l’avons toujours été depuis de nombreuses années.

Y a-t-il aujourd’hui plus d’acteurs africains dans le secteur ?

Oui, absolument. Ce qui a vraiment changé, c’est qu’aujourd’hui les agences les plus importantes sont celles portées par des Africains. Beaucoup de nos collaborateurs, ayant quitté Voodoo, ont créé des agences qui ont bien grandi.

Naturellement, le paysage est encore très partagé entre les grosses entreprises internationales et les agences locales. Mais on a réussi à proposer l’alternative, et c’est une de nos plus grandes fiertés.

Ce qui a changé en vingt-cinq ans, c’est l’arrivée d’Internet. Comment négociez-vous la course du digital, pour rester premier ?

Nous avons transcendé le secteur bien avant le digital car notre succès est venu de trois choses essentielles. La première, c’est la forte créativité. Nous voulions être une agence de rupture. Ensuite, la stratégie. Nous avons déployé une stratégie inspirée de notre univers, de nos codes. Et après, la force de travail. Nous n’avions pas d’heures et nous voulions être là pour le client. S’il fallait réaliser une prestation en trois jours, là où cela aurait dû prendre un mois, on le faisait en trois jours. Et je pense qu’on essaie de garder cet esprit là aujourd’hui.

La campagne Ouattara contre Gbagbo, en 2010, a été un tournant pour vous, n’est-ce pas ?

Je pense que c’est la campagne qui nous a fait définitivement connaître dans notre métier d’accompagnement en termes de marketing politique. Car nous avions déjà effectué dix campagnes avant celle-là mais pas grand monde le savait.

La campagne 2010, pour nous, cela a été la campagne révélatrice, parce que c’était un vrai challenge. Il fallait construire, gérer un discours, un positionnement en face d’un homme politique qui était très fort à l’époque, dans un contexte très difficile en Côte d’Ivoire. C’est une campagne qui était très scrutée, qui était très attendue.

À côté de la communication, vous avez les deux pieds aussi dans les médias avec Life TV, Life Radio, ou encore Vibe Radio au Sénégal. Être à la fois dans la pub, la communication et les médias ne constitue-t-il pas un risque de mélange des genres ou de conflits d’intérêts ?

Si vous regardez tous les grands groupes mondiaux, en France, aux États-Unis, de partout… Ils sont dans tous les métiers liés à la communication. C’est comme cela qu’on construit les groupes. Nous n’avons rien inventé.

À l’instar de tous les grands groupes mondiaux, notre stratégie repose sur deux piliers essentiels : un pilier communication et un pilier divertissement. Ce sont des métiers complémentaires finalement, puisque quand on fait des événements, on crée des plateformes. Et sur nos plateformes événementielles, on a besoin d’avoir une couverture média télévisuelle, radiodiffusée, magazine… Donc on est vraiment plus en cohérence qu’en mélange des genres.

Life TV arrive sur un marché audiovisuel qui est déjà assez encombré. Quel est votre business model ? Comment comptez-vous vous démarquer dans ce secteur ?

Les Français regardent en majorité la TV française, les Japonais regardent en majorité la TV japonaise, les Chinois, la TV chinoise, pareil pour les Américains. Il n’y a qu’en Afrique qu’on regarde les TV étrangères, et c’est ça le vrai sujet !

Un Africain peut donc se demander : à quel moment est-ce qu’on intègre sa propre culture, son propre univers du quotidien ? Avec Life TV, nous avons fait une TV pour les Africains, avec des Africains, aux normes internationales, pour pouvoir offrir aux téléspectateurs une TV moderne qui leur ressemble.

Avec des contenus locaux ?

Absolument, vous ne verrez jamais sur notre chaîne de série brésilienne, mexicaine, turque, etc. Non pas parce que c’est impossible, mais parce qu’on a envie de valoriser les talents locaux.

Et cela même si ces séries sont parfois moins chères à acquérir sur les marchés internationaux ?

C’est notre gros sujet, produire localement coûte beaucoup d’argent. C’est pour cela qu’on est tout le temps sur la corde raide au niveau financier. On a un succès d’audience, la chaîne est très appréciée, pour autant on a besoin d’aide parce qu’on est tous les jours sur la corde raide.

Sur un autre sujet, la jeunesse, lors d’un meet-up en 2022, vous avez affirmé être « à la recherche de talents et non de stagiaires » au sein de votre groupe. Cette déclaration a été mal reçue à l’époque et reprise par vos détracteurs lors des dernières élections municipales. Que vouliez-vous dire ?

Ce que je dis aux jeunes, c’est que quand vous recherchez un emploi, vous n’êtes pas seul à le faire. Il est donc important de se faire remarquer et de se différencier. Qu’est ce qui fait qu’un recruteur regarde un CV plutôt qu’un autre ? La formation, c’est la chose la plus partagée. Ce qui fait la différence, c’est qui vous êtes, quelles sont les valeurs que vous portez.

Faites un courrier qui vous différencie, écrivez un CV qui raconte une histoire, qui donne envie d’aller jusqu’au bout, de vous appeler, de vous recevoir et de vous embaucher. Commencez à démontrer votre talent dans votre courrier.

Vous avez été candidat en 2023 pour la mairie du Plateau à Abidjan, battu, comme en 2018, malgré un dispositif important avec le soutien du RHDP. Qu’est-ce qui n’a pas fonctionné ?

Je pense que l’élection au Plateau en 2023 était un simulacre d’élections. Des bureaux de vote se sont ouverts à 16 heures, alors que le vote est censé s’étirer entre 8 heures et 17 heures…

Il y a eu vraiment une volonté manifeste de déstructurer le process électoral. Mais que voulez-vous, on ne va pas se battre. On continue, on essaye et on avance.

Vous êtes passé du statut d’artisan des victoires politiques d’autres personnalités en Afrique francophone à artisan de votre propre victoire. Même si finalement vous avez échoué deux fois. Vous êtes donc prêt à recommencer ?

C’est Nelson Mandela qui disait : « Je ne perds jamais, soit je gagne soit j’apprends. » On verra si je me représente, mais mon ambition de servir les populations du Plateau avant tout est toujours très forte.

Entre le Plateau de votre enfance, dans les années 1970-1980, et maintenant, cela n’a plus rien à voir. De la vie de quartier et ses commerces à des sièges sociaux et autres bureaux. C’est pour cela que vous vous êtes engagé ? Revenir à la vie d’avant ?

C’est toujours très douloureux de dire « c’était mieux avant », parce que théoriquement on devrait avancer. Mais c’est vrai que le Plateau a quand même perdu beaucoup de sa superbe.

Il y avait des cinémas, des musées, des centres culturels, un Plateau fondamentalement, il y avait une envie de vie la nuit et de vie le jour. Aujourd’hui c’est plus difficile parce que tout le monde craint un peu les embouteillages, l’espace qui est un peu restreint, donc il y a un vrai sujet de réorganisation urbaine.

C’est le centre d’affaires, on avait envie que ce soit un centre de vie pour les familles.

Comment abordez-vous le débat politique national avant la présidentielle de l’an prochain ? Tout le monde se demande bien sûr si Alassane Ouattara sera candidat pour un nouveau mandat…

Le choix lui appartient. C’est le président de la République qui va décider de ce qu’il a envie de faire. Même si moi j’ai un souhait, c’est que le président soit candidat.

Vous savez, le président Ouattara a profondément transformé la Côte d’Ivoire, et pas seulement au niveau des infrastructures. Il a ramené la paix et la stabilité, qui sont le préalable à tout développement. Le président Ouattara a fait passer le taux de couverture en électricité sur le territoire d’un peu plus de 30 % en 2011 à plus de 85 % aujourd’hui. Pareil pour l’eau. On a envie de garder cette dynamique.

Vous avez participé aux trois campagnes d’Alassane Ouattara. Êtes-vous prêt à recommencer, voire à changer de chapelle, si l’on pense à Tidjane Thiam, le président du PDCI ?

Non, moi je crois fortement au président Ouattara. Je crois aux personnes qui ont une vision et qui la mettent en œuvre. Je ne changerai pas de chapelle, je suis un pro-Ouattara, s’il me fait confiance encore une fois, je serai le premier à faire sa campagne.

Tidjane Thiam est aussi une fierté nationale. C’est quelqu’un qui a eu un parcours scolaire et professionnel, qui donne envie à beaucoup. Après il a fait aujourd’hui le choix de la politique. Ferait-il un bon président ? Je ne sais pas, je ne le connais pas suffisamment pour le dire.

Pour finir sur un point plus personnel. Vos fils aînés marchent dans vos pas, puisqu’en marge de la CAN 2023 en Côte d’Ivoire, ils ont organisé des opérations événementielles. Qu’est-ce que cela signifie pour vous ?

Mon premier fils, Gil-Akeem, qui aura 24 ans le mois prochain, a déjà obtenu un bachelor en communication et marketing, au Canada, et s’oriente vers un master en production cinématographique ; il est vraiment dans un univers proche du mien. Mon fils Jahlen, qui aura 21 ans en septembre, étudie la finance. Je suis assez content de leurs trajectoires et surtout des personnes qu’ils sont. Talentueux, humbles et travailleurs.

Ils ont effectivement organisé des événements au Boulay Beach Resort, un mouvement de jeunes avec des artistes internationaux comme Tiakola – ou Joé Dwèt Filé Tiakola. Ils ont donc touché à l’événementiel, cela me plaît car cela prépare la relève.

Entretien à retrouver dans son intégralité en vidéo sur notre site.

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