Égypte-Soudan : Le Caire durcit sa politique d’accueil et revient dans les discussions de paix

Invités par le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi, le général al-Burhane et l’ex-Premier ministre civil Abdallah Hamdok se sont succédé au Caire. Le sort des réfugiés soudanais a figuré au menu de ces rencontres, au moment où la police égyptienne procède à des expulsions en masse au sud du pays.

Le général soudanais Abdel Fattah al-Burhane (g.) reçu par le président égyptien, Abdel Fattah al-Sissi (dr.), au Caire le 29 février 2024. © Egyptian Presidency/Anadolu via AFP

Le général soudanais Abdel Fattah al-Burhane (g.) reçu par le président égyptien, Abdel Fattah al-Sissi (dr.), au Caire le 29 février 2024. © Egyptian Presidency/Anadolu via AFP

Publié le 12 mars 2024 Lecture : 5 minutes.

À la veille du début du ramadan, la capitale égyptienne a été le théâtre d’un intrigant chassé-croisé de délégations soudanaises. Le 8 mars, l’ex-Premier ministre Abdallah Hamdok, à la tête d’une « coordination des forces civiles », y faisait le déplacement à l’invitation du chef de l’État égyptien, Abdel Fattah al-Sissi. Reçu le 29 février au palais présidentiel d’al-Ittihadiya, le général Abdel Fattah al-Burhane, le protégé du Caire, l’avait précédé de dix jours.

Ce ballet diplomatique survient au moment où les initiatives de paix s’enlisent, après près d’une année de guerre dévastatrice entre l’armée et les Forces de soutien rapide (FSR) du général Mohamed Hamdan Dagalo, dit Hemetti. Face à l’ampleur de la catastrophe humanitaire, le Conseil de sécurité des Nations unies appelait, le jour de la venue d’Abdallah Hamdok au Caire, à une trêve des hostilités durant le ramadan.

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Cette visite pourrait toutefois amorcer un pas en direction du général al-Burhane, sous le patronage du Caire. « L’Égypte fait partie de la solution à la crise », assure à Jeune Afrique Alaa El Dine Nugud, le porte-parole de Tagadum, le mouvement civil d’Abdallah Hamdok. Jusqu’à présent, l’ex-Premier ministre civil a seulement rencontré Hemetti, en janvier dans la capitale éthiopienne.

Desserrer l’étau à la frontière

Alors que l’Égypte accueille près du tiers des réfugiés ayant fui la guerre hors du Soudan, leur sort a figuré au menu de ces rencontres. Selon le ministère égyptien des Affaires étrangères, plus de 460 000 Soudanais ont franchi la frontière depuis avril 2023. Plus de quatre millions vivaient dans le pays avant la guerre.

Le 2 mars, le ministre de facto de l’Intérieur soudanais, le général Khalil Pasha Sairin, s’est lui aussi entretenu avec son homologue égyptien au sujet des conditions de résidence des Soudanais chez leur voisin du nord. Lors de cette entrevue, le général Sairin a plaidé pour faciliter l’entrée des personnes âgées, des enfants et des malades. Face à l’afflux de migrants, les autorités égyptiennes ont mis fin en juin 2023 aux exemptions de visa qui bénéficiaient jusqu’alors aux femmes, aux hommes de moins de 16 ans et à ceux âgés de plus de 50 ans.

Car côté égyptien, la crise migratoire soudanaise s’ajoute à la pire crise économique de l’histoire du pays. Quelques semaines après le début de la guerre, Amr Adib, le journaliste le plus regardé d’Égypte, se faisait l’écho des inquiétudes d’une partie de la population quant à l’arrivée massive des Soudanais. « Tout se détériore, les prix, les réserves de denrées et de médicaments », énumérait le présentateur du talk-show quotidien El Hekaya, mettant en garde contre les conséquences d’une immigration sans précédent.

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En septembre, en marge de la 78e Assemblée générale des Nations unies, à New York, le ministre égyptien des Affaires étrangères rappelait, quant à lui, la communauté internationale à son devoir de solidarité. Sameh Choukry avait notamment souligné le poids des centaines de milliers réfugiés sur les services publics des pays voisins du Soudan.

Expulsions massives

Mais loin de sceller une frontière poreuse, longue de plus de 1 000 kilomètres en plein désert, les restrictions de visas ont poussé des dizaines de milliers de personnes vers les passeurs. « En juin, les autorités égyptiennes fermaient encore les yeux », commente une source onusienne.

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Puis, dès décembre, une campagne d’arrestations et d’expulsions des réfugiés soudanais entrés illégalement s’est mise en place, orchestrée par le ministère de l’Intérieur. Au Soudan, la prise de contrôle par les Forces de soutien rapide de la province d’Al-Jazira, où nombre d’habitants de Khartoum avaient fui les combats, vient alors de créer un nouvel afflux de réfugiés vers l’Égypte.

Entre fin octobre et fin décembre 2023, près de 80 000 personnes sont arrivées légalement en Égypte depuis le Soudan. Si aucune donnée sur les entrées clandestines n’est disponible, une seconde source onusienne indique que plus de 1 500 personnes ont été reconduites sur le sol soudanais durant le seul mois de décembre.

Trois mois plus tard, ces expulsions contraires au droit international semblent avoir augmenté. Le 5 mars, une vidéo diffusée sur le réseau social TikTok montre une large foule renvoyée au Soudan au poste de frontière d’Ashkit, au nord de Wadi Halfa, où s’entassent des milliers de réfugiés. D’après un témoin à la frontière, près de 500 personnes ont été expulsées ce jour-là.

Le périlleux trajet Assouan-Le Caire

Pour les Soudanais entrés illégalement, l’unique assurance d’échapper à ces refoulements se trouve à quelque 800 km au nord de la frontière. Il leur faut atteindre le bureau du Caire du Haut Commissariat pour les réfugiés des Nations unies (HCR), le plus proche, pour obtenir une carte qui les protège en théorie des expulsions.

Mais sur la route Assouan-Le Caire, la police égyptienne filtre les véhicules. Rashid B. a été arrêté à bord d’un bus à un poste de contrôle situé à une vingtaine de kilomètres d’Assouan, aux côtés d’une quinzaine de réfugiés soudanais. Il a ensuite été emprisonné au camp d’entraînement des forces de sécurité de Shallal, à proximité d’Assouan. « Ceux qui avaient des papiers d’identité, comme moi, ont été expulsés au bout d’une semaine, mais d’autres étaient emprisonnés depuis plus d’un mois », explique-t-il par téléphone depuis Port-Soudan.

L’avocat Mohamed Lotfy a constaté une nette augmentation des arrestations de réfugiés soudanais sans visa, ni carte du HCR. À la tête d’une organisation qui leur apporte une assistance juridique en détention, il dénonce des interpellations au faciès qui font régner « un climat de peur dans les quartiers soudanais » de la capitale égyptienne.

À l’instar de Rashid B., la majorité des Soudanais arrêtés sont détenus au camp de Shallal avant leur expulsion. Tarek M. y est entré pour rendre visite à ses deux frères emprisonnés. « Il y avait plus de 500 personnes, des familles avec des enfants, des femmes et des vieillards », se remémore le trentenaire originaire de Nyala, au Darfour.

Selon nos informations, le HCR a demandé en mai 2023, dès les premières semaines du conflit au Soudan, l’autorisation d’ouvrir une antenne d’enregistrement des réfugiés à Assouan, afin de protéger les nouveaux arrivants au plus proche de leur entrée sur le territoire. Le ministère égyptien des Affaires étrangères n’a toujours pas répondu à cette requête.

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