Ce que l’afrikaans nous dit de l’Afrique du Sud
La meilleure façon de connaître un peuple, c’est de maîtriser sa langue, explique notre chroniqueur, par ailleurs romancier et polyglotte.
Un jour d’hiver, à propos de rien, je pris cette résolution idiote : apprendre l’afrikaans. C’était il y a une dizaine d’années. Je me souviens qu’il faisait froid dehors – dehors, c’était Amsterdam – et qu’on était mieux dedans, par conséquent. Autant faire quelque chose de cette réclusion volontaire. On ne peut pas se gratter le ventre toute la journée en regardant à la télé une telenovela brésilienne ou une mexicânerie.
Le caractère national des Boers
Mais pourquoi cette langue en particulier, pourquoi pas le finnois ou le tagalog ? Eh bien, je ne sais pas trop… Puisque j’avais pris la peine d’apprendre la langue de Vondel et de Hugo Claus – le néerlandais –, autant étudier le rude idiome des Boers, qui en dérive directement. Finalement, ce n’était pas idiot. C’était même assez logique. De plus, connaître des langues d’Afrique du Nord et d’autres d’Afrique du Sud avait quelque chose de satisfaisant sur un plan, comment dire, esthétique ou géographique
Bref, je fis l’emplette d’un dictionnaire et d’une méthode Assimil et en avant ! Au rythme d’une ou deux heures par jour, je fis assez de progrès pour pouvoir lire des poèmes d’Antjie Krog. Or cette entreprise linguistique assez insolite a débouché sur une constatation qui n’étonnera pas les ethno-linguistes : la meilleure façon de connaître un peuple, c’est de maîtriser sa langue. Plusieurs mots ou expressions de l’afrikaans m’ont fait sourire et m’ont éclairé sur le caractère national des Boers. En voici un échantillon.
Yuppiegriep, autrement dit « la grippe des yuppies », c’est ainsi qu’on désigne là-bas le burn-out. Autant dire qu’on ne prend pas très au sérieux cette affection pourtant bien réelle… Le tabasco se dit brandbeksous, soit « la sauce qui te brûle la gueule ». Difficile de faire plus direct… Amusant est bababroeikas, fait de deux mots : baba (bébé) et broeikas (serre). Et c’est quoi, une serre à bébés ? Mais oui, c’est une couveuse…
L’hôtesse de South African Airways
Un robot, dans le Transvaal, c’est un feu tricolore, qu’il soit vintage ou hypermoderne. On n’ose imaginer tous les malentendus que cela peut créer pour des touristes. « Tournez à droite après le robot… » Quant au « p’tit gars qui change de couleur », vous aurez reconnu le caméléon. « La-vache-de-mer » (seekoei), c’est l’hippopotame.
« La-caisse-qu’on-hisse », hijsbak, c’est l’ascenseur, même si l’on habite dans un bel immeuble du quartier le plus chic de Pretoria. Vous me permettrez de ne pas révéler ce que signifie holrol, littéralement « le-rouleau-pour-le-trou ». À propos, comment nomme-t-on un string dans ces contrées conservatrices ? Eh bien on dit amperbroekkie, soit « à-peine-une-culotte »…
Gageons que vous regarderez d’un autre œil l’accorte hôtesse de South African Airways quand vous saurez qu’elle se nomme lugwaardin en afrikaans, soit « matonne de l’air » – eh oui, on ne rigole pas, gare au cachot. Et puisqu’on est dans les noms de métier, qu’est-ce qu’un snydokter, un « docteur-qui-coupe » ? Tout juste : un chirurgien…
Bref, plus on avance dans l’étude de la langue des Afrikaners, plus on se rend compte qu’elle est faite à leur image. Pas de chichis, pas d’ornements inutiles : on parle vrai, on dit les choses le plus directement possible. Après tout, ce sont des calvinistes ; ou du moins leurs ancêtres l’étaient. On n’est pas sur Terre pour s’amuser.
Sans doute faudrait-il offrir une formation linguistique de quelques semaines à toute personne (diplomate, homme d’affaires…) qui serait amenée à traiter avec les Boers. Ce n’est qu’à ce prix que tout ira eksieperfeksie.
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