Cacao : la Côte d’Ivoire face à la flambée des cours

Récolte en baisse, grogne des producteurs… La filière cacaoyère ivoirienne est sous pression, alors que les cours de la fève atteignent des sommets historiques. Une situation qui déstabilise le pays, pourtant premier producteur mondial d’or brun.

Au sein de la coopérative Coopbel, à Toumodi (centre de la Côte d’Ivoire), épluchage des fèves de cacao torréfiées, qui seront ensuite emballées pour être transformées. © ANDREW CABALLERO-REYNOLDS/The New York Times-REDUX-REA.

Au sein de la coopérative Coopbel, à Toumodi (centre de la Côte d’Ivoire), épluchage des fèves de cacao torréfiées, qui seront ensuite emballées pour être transformées. © ANDREW CABALLERO-REYNOLDS/The New York Times-REDUX-REA.

ESTELLE-MAUSSION_2024

Publié le 8 avril 2024 Lecture : 6 minutes.

Le pont Alassane-Ouattara reliant les communes du Plateau et de Cocody à Abidjan, en Côte d’Ivoire, photographié le 18 février 2024. © Gwenn Dubourthoumieu pour JA.
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Côte d’Ivoire : une nouvelle donne

Six mois après la nomination du gouvernement Beugré Mambé et à dix-huit mois de la présidentielle, pour tous les partis, c’est l’heure des comptes et de la pré-campagne. Ont-ils tiré les leçons des élections locales de septembre 2023 ? Alassane Ouattara va-t-il se présenter ou va-t-il désigner un dauphin ? La candidature de Tidjane Thiam peut-elle rebattre les cartes ? Le parti de Laurent Gbagbo, qui reste inéligible, peut-il remobiliser ses militants et les électeurs ? De l’hypothèse d’un quatrième mandat d’ADO à l’éventuel retour de Guillaume Soro, voyage à travers un paysage politique et un pays en pleine mutation.

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Des broyeurs qui manquent de fèves, des producteurs qui veulent être mieux payés, des acheteurs de brousse accusés de surenchère… et des cours du cacao toujours aussi hauts. En Côte d’Ivoire, premier producteur mondial d’or brun, le secteur cacaoyer est sur le gril.

Habitué à produire environ 2 millions de tonnes chaque année, le pays doit faire face à une baisse de 25 % de sa récolte, ce qui complique l’approvisionnement en fèves sur un marché mondial déjà marqué, depuis le début de 2023, par une flambée historique des cours du cacao. Si la situation est inédite, elle risque de durer et, malgré le discours rassurant du Conseil café-cacao (CCC), le régulateur du secteur, elle est lourde de conséquences, car révélatrice des faiblesses du modèle ivoirien.

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Plus de 10 000 dollars la tonne

Plus que l’âpre recherche de fèves, c’est le prix payé aux cacaoculteurs qui nourrit le malaise. Avec une question : alors que les cours atteignent des sommets, avec, à la mi-mars, plus de 7 000 livres (environ 8 160 euros) la tonne à la Bourse de Londres et plus de 8 000 dollars (7 400 euros) à celle de New York – le cours a même un temps dépassé les 10 000 dollars – pour des contrats à exécuter en mai, pourquoi le prix d’achat ivoirien reste-t-il inchangé, à 1 000 F CFA (environ 1,52 euro) le kilo, soit 1 520 euros la tonne ?

Cette situation est d’autant plus gênante que, depuis 2018, la Côte d’Ivoire a engagé un bras de fer avec les industriels du cacao afin d’obtenir une meilleure rémunération des planteurs, et que le Cameroun, autre producteur africain (262 000 tonnes sur la campagne 2022-2023), ne cesse de communiquer sur des ventes réalisées à 3 000, 4 000 et même 5 000 F CFA/kg. D’où les appels du Syndicat national agricole pour le progrès en Côte d’Ivoire (Synapci), de l’Association nationale des producteurs de Côte d’Ivoire (Anaproci) et de la Plateforme ivoirienne pour le cacao durable (PICD) à revoir le système de fixation des prix. Le CCC oppose une fin de non-recevoir, même si les autorités ivoiriennes ont finalement acté, au début d’avril, une hausse du prix d’achat du cacao (à 1 500 F CFA/kg) pour la campagne intermédiaire.

Pour comprendre la crispation, il faut revenir à la genèse du modèle ivoirien. Gérée par l’État jusqu’à la fin des années 1980 puis libéralisée, la commercialisation du cacao a fait l’objet d’une nouvelle réforme en 2012. C’est celle-ci qui a fixé le système actuellement en vigueur : un modèle semi privé, fondé sur la vente anticipée des récoltes et conçu pour protéger l’État et les producteurs de la volatilité des cours.

Un mécanisme protecteur à double tranchant

Chaque année, à partir d’octobre, le CCC vend par anticipation 80 % de la campagne à venir, qui sera récoltée entre octobre de l’année suivante (N+1) et mars de l’année N+2. Avant le début de la récolte, il fait une moyenne des prix obtenus sur les contrats d’exportation, utilisant cette référence, appelée le prix « CAF » (coût, fret, assurance) Europe, pour fixer le tarif d’achat du cacao aux planteurs (a minima 60 % de ce prix).

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Résultat, si les cours s’effondrent sur la période, les producteurs sont épargnés, puisqu’ils bénéficient d’un prix fixé en amont, à un niveau supérieur aux cours baissiers. Ce mécanisme protecteur a en partie joué lors de la crise de 2017, au cours de laquelle il a permis un certain maintien du prix du cacao ivoirien, quand celui du cacao camerounais plongeait.

Mais, revers de la médaille, en cas de marché haussier, les cacaoculteurs ivoiriens ne profitent pas de l’envolée des prix et continuent à encaisser un tarif toujours fixé en amont mais alors devenu inférieur aux cours. C’est exactement ce à quoi l’on assiste avec l’actuelle envolée boursière. « Les conditions extrêmes du marché mettent en avant le côté négatif du système de vente anticipée, ce qui est frustrant pour les producteurs, car synonyme de manque à gagner », résume un négociant de la place.

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Appel à la réforme

Alors que faire ? Plusieurs voix, pas uniquement chez les producteurs, appellent à une révision du système. « Il faut que le modèle bénéficie aux planteurs en cas de cours baissiers, mais aussi en cas de cours haussiers, d’où la nécessité d’une régulation plus dynamique avec un prix d’achat non pas fixé une fois par an, mais qui évolue plus fréquemment », avance un observateur européen.

« Le contexte de prix internationaux élevés est une opportunité pour mieux répartir la valeur ajoutée entre tout le monde », reprend-il, conscient de la difficulté à faire passer ce message dans un secteur où chaque acteur, privé comme public, a intérêt à cultiver le secret pour préserver son pouvoir de négociation. Illustration : si certains broyeurs et négociants déplorent également l’impasse du système et demandent sa réforme, c’est avant tout pour améliorer la transparence sur les ventes réalisées par le CCC, la question de la rémunération des producteurs passant au second plan.

Mais les réformateurs sont loin de faire l’unanimité. Nombre d’acteurs défendent le statu quo. « Le système a plutôt bien fonctionné ces dernières années, en permettant d’augmenter continuellement le prix d’achat aux planteurs. On ne peut le jeter à la poubelle à cause d’un contexte inédit », argumente notre interlocuteur négociant.

Des avancées pour les cacaoculteurs saluées dans un rapport

Un rapport publié en 2018 par KPMG sur les leçons de la crise de 2017 avait rappelé les avancées obtenues : hausse de 38 % du prix minimum garanti aux cacaoculteurs entre 2012 et 2016, combinée à l’augmentation de 37 % de la production nationale en cinq ans. « La mise en place du nouveau système de gestion et de commercialisation en 2012 a été un succès et est considérée comme tel par la majorité de la communauté internationale », commentait le rapport.

Sans surprise, le régulateur du secteur défend aussi cette ligne. « Nous ne pouvons pas avoir les avantages d’un système sans ses inconvénients, explique Yves Brahima Koné, directeur général du CCC depuis 2017. Notre modèle permet d’assurer un prix conséquent aux producteurs sur le long terme. Au regard de l’importance de la récolte ivoirienne, il n’est pas réaliste de vouloir en changer pour copier le système de vente des producteurs africains plus modestes. »

Un argument également entendu au sein du secteur privé. « Nous ne pouvons pas comparer un prix spot obtenu au Cameroun au terme d’une vente aux enchères de 25 000 tonnes, au prix bord champ garanti en Côte d’Ivoire issu de transactions portant sur près de 2 millions de tonnes », avance un broyeur local.

Vers une hausse de la production ?

Malgré l’absence de consensus sur le prix payé aux planteurs, un autre point fait, lui, l’unanimité : la nécessité de revoir la politique ivoirienne de production de cacao. Alors que celle-ci a consisté ces dernières années à plafonner la récolte à 2 millions de tonnes pour éviter une surproduction synonyme de chute des cours, il faut désormais, après trois années consécutives de déficit de fèves au niveau mondial, revoir la copie.

« Nous suivons la situation de près, sachant que les aléas climatiques ont beaucoup joué dans la baisse de la production. Dès l’obtention des prévisions de récolte pour 2024-2025, nous déciderons de la marche à suivre, notamment s’il faut, ou non, envisager de replanter des arbres », indique Yves Brahima Koné. Et de formuler la même invitation à patienter concernant le prochain prix d’achat aux planteurs, rendu public chaque année en septembre. Alors que tous les acteurs anticipent un tarif à la hausse – au-delà du niveau de 1 500 F CFA le kg fixé pour la campagne intermédiaire ? –, il ne fait nul doute que la décision du CCC sera très attendue.

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