Récolte d’olives : la Tunisie attend les pluies du printemps

Essentielle pour l’économie tunisienne, la récolte d’olives n’a pas été satisfaisante cette année. La majorité des régions ont été touchées par la sécheresse de 2023 et les pluies tardives de décembre n’ont pas suffi à sauver la saison. Reportage.

Une oliveraie dans le sud tunisien. © (Photo by Antoine Boureau / Hans Lucas via AFP)

Une oliveraie dans le sud tunisien. © (Photo by Antoine Boureau / Hans Lucas via AFP)

Publié le 29 mars 2024 Lecture : 6 minutes.

Au milieu de ses 300 hectares de terrain à El Hencha, dans la région de Sfax (Est), Raouf Ellouze presse doucement l’olive de la variété Chemlali. Un mince filet d’huile en sort, signe que le fruit est gorgé d’eau et que son rendement sera faible. « C’est difficile de faire une bonne récolte lorsque l’arbre a été en détresse hydrique pendant tout l’automne« , explique l’agriculteur, qui a trente ans d’expérience.

Des coups durs, il en a connu plus d’un, comme lors d’une période de sécheresse dans les années 2000 qui a détruit ses 5 000 plants d’amandiers. Il s’était alors tourné vers l’olivier car l’arbre est connu pour sa résistance à la sécheresse, « mais ces dernières années, nous sommes dans l’incertitude la plus totale, car nous ne savons plus de quoi demain sera fait en matière de température et de pluie », explique-t-il.

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Dans sa région, le niveau des pluies a diminué de moitié l’année dernière. Et la production de Raouf Ellouze risque aussi d’être divisée par deux, avec un manque à gagner de 60 %, notamment à cause d’un déficit de main-d’œuvre pour la saison.

Contrairement à d’autres agriculteurs, il a néanmoins pu sauver sa récolte grâce à une autre variété, la Koronéïki, importée de Grèce et produite en Tunisie depuis des années, et dont les olives ont une maturation plus tardive. « Les pluies de décembre ont été bénéfiques pour cette variété et cela m’a permis d’équilibrer un peu avec le faible rendement du reste », ajoute Raouf Ellouze, qui a aussi pu récolter de justesse des olives de la variété tunisienne Chétoui.

2 millions d’hectares et 350 000 producteurs

À l’image de sa récolte, le bilan de cette année pour l’huile d’olive est mitigé. Le secteur de l’olive en Tunisie occupe près de 2 millions d’hectares et compte 350 000 producteurs. Certains périmètres agricoles irrigués ont pu donner une bonne récolte, tandis que les terrains dépendant des fluctuations pluviales ont été très touchés.

Les températures records de l’année dernière, avec des pics de chaleur à 50 degrés en été, ont eu raison des fruits « car pour l’olivier, c’est plus l’augmentation des températures qui affecte l’arbre que le manque d’eau », explique Faouzi Zayani, producteur d’olives dans la région de Menzel Cheker, près de Sfax.

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« Une grande partie des oliveraies est cultivée en sec [95 %] et pas en irrigué. Et pour ceux qui irriguent, il y a un vrai manque de contrôle. Beaucoup le font de façon anarchique en épuisant les ressources. Donc ce n’est pas une solution sur le long terme », argumente-t-il, tout en reconnaissant que ces agriculteurs « n’ont pas le choix, car beaucoup ont besoin de solution dans l’immédiat ».

« Sans le forage clandestin, une grande partie des oliveraies tunisiennes aurait dépéri depuis longtemps », renchérit Raouf Ellouze, qui réclame avec d’autres agriculteurs une « réelle stratégie agricole et oléicole pour faire face aux problèmes futurs du système de production de l’huile d’olive dans le pays ».

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Des techniques d’agriculture durable

L’État tunisien, qui rationne la consommation en eau depuis plusieurs années, a prévu une série de mesures pour gérer cette ressource dans le cadre d’une stratégie d’ici à 2050, mais « l’urgence est immédiate, et c’est dès maintenant que nous réclamons un plan d’action, notamment pour mieux réguler et répartir l’irrigation », martèle Slim, un autre producteur de Sfax, qui a souhaité garder l’anonymat. Sa famille est dans l’huile d’olive depuis quatre décennies et il est très insatisfait de sa récolte de 2023.

Anis, agriculteur biologique dans la région du Djebel Orbata, une chaîne montagneuse à Gafsa, dans le Sud-Ouest – région qui a connu la plus faible pluviométrie cette année – admet avoir recours à un pompage dans la nappe phréatique avec un forage non déclaré pour irriguer ses oliviers.

« Les autorisations sont très rares dans la région étant donné qu’une grande partie des ressources en eau sont exploitées par l’industrie du phosphate », explique-t-il. Il a opté depuis quatre ans pour des techniques d’économie d’eau avec le goutte-à-goutte et le compost pour seul engrais en construisant lui-même sa propre station de compostage.

Une technique d’agriculture durable et plus raisonnée pour laquelle a aussi opté Leith Ben Becher, agriculteur dans la région de Jendouba (Nord-Ouest), avec l’association qu’il a co-créée en 2006, l’Apad (L’association pour l’agriculture durable).

La variété Chetoui durement touchée

Sa récolte 2023 a été « mauvaise, et celle de l’année précédente aussi ». Il dépend de la pluviométrie et la formation de l’olive a été très affectée par la sécheresse automnale qui a touché de plein fouet la région et sa variété locale, Chetoui.

Une réduction du rendement du fruit que Kamel Gargouri, professeur à l’Institut de l’olivier à Sfax, a également observée à l’échelle nationale. « Le poids du fruit a diminué de 20 à 15 % et le rendement en huile n’a pas dépassé la moyenne des 20 % », évalue ce consultant, qui estime qu’il faudra une irrigation complémentaire en mars et en avril si les pluies ne sont pas au rendez-vous « pour assurer la bonne floraison des arbres ».

Les bienfaits du fenugrec et de la féverole

Leith Ben Becher anticipe déjà cette problématique, ce cultivateur céréalier observe de près le début du printemps et guette des pluies éventuelles. Elles seront bénéfiques pour sa récolte céréalière estivale et le bourgeonnement de ses oliviers.

Mais cela fait longtemps qu’il a remplacé les cultures fourragères par de la fumure organique et des cultures intercalaires qui restituent une couche d’azote, comme le fenugrec ou la féverole (au lieu des fourrages de type céréalier), et il évite les cultures trop gourmandes en eau qui pourraient du coup affecter celle de l’olivier.

Comme Anis, la transition vers l’agro-écologie est nécessaire pour s’adapter au changement climatique. « Il faut éviter de voir tout ce qui se passe comme une fatalité, nous avons les mêmes problèmes qu’au Maroc et qu’en Espagne. Il y a des échanges d’expériences et nous pouvons trouver des solutions mais il faudrait qu’il y ait plus de dialogue avec le gouvernement », insiste-t-il.

60 millions d’arbres et 7 millions de nouveaux plants par an

Malgré ce diagnostic, la Tunisie n’a jamais autant planté d’oliviers que ces dernières années. Le nombre d’arbres est estimé à 60 millions, avec une moyenne de 7 millions de nouveaux plants chaque année. « Si vous allez dans une pépinière actuellement, c’est simple, vous n’en trouverez pas », affirme Kamel Gargouri, qui explique que cette « course à l’olivier » est due à sa rentabilité pour l’exportation.

La Tunisie n’a pas dépassé les 180 000 tonnes d’exportation d’huile d’olive pour la saison 2022-2023 mais l’huile se vend très bien grâce à la hausse de 74 % du prix à l’international.

Une culture vulnérable au réchauffement climatique

À l’échelle mondiale, la Tunisie fait partie des cinq premiers producteurs. « Nous sommes face à un paradoxe, malgré la sécheresse qui menace notre production, l’huile reste le fleuron de l’économie, rentable à l’étranger, et cela encourage beaucoup d’agriculteurs à planter, explique Kamel Gargouri. L’olivier reste plus résilient à la sécheresse que les agrumes ou le raisin, donc il est un peu considéré comme l’arbre miracle mais il faut rester prudent face à la une culture oléicole intensive et mieux l’encadrer ».

Dans un rapport sur le réchauffement climatique en Tunisie publié par la Banque mondiale en novembre 2023, les systèmes agricoles, dont celui de l’olivier, figurent parmi les plus vulnérables au changement climatique à cause de la perturbation de la disponibilité en eau. « La baisse prévue du rendement des olives pourrait atteindre 69 % », peut-on lire dans le document, qui détaille que, d’ici à 2100, la culture de l’olivier devrait perdre environ 14 % de sa superficie actuelle.

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