Quand les « paras » français intervenaient à Kolwezi

Ce 19 mai 1978, la Légion française, appuyée par des troupes belges, sautait sur cette ville du Zaïre (actuelle RDC), où 2 000 Européens étaient menacés par des séparatistes katangais. Voici le récit qu’en faisait alors Jean-Louis Buchet dans JA.

Militaires du régiment des parachutistes français, à Kolwezi, au Zaïre (actuelle RDC), le 20 mai 1978. © Michel Artault/GAMMA-RAPHO

Militaires du régiment des parachutistes français, à Kolwezi, au Zaïre (actuelle RDC), le 20 mai 1978. © Michel Artault/GAMMA-RAPHO

Publié le 19 mai 2024 Lecture : 4 minutes.

19[Nous republions ce texte paru dans Jeune Afrique n°908 du 31 mai 1978.]

Le mercredi 17 mai [1978], 44 personnes que l’armée zaïroise avait regroupées dans une villa, près du château d’eau, sont tuées quand les « Katangais » donnent l’assaut. Parmi les Européens, c’est la panique. Les occupants aussi ont peur : les informations qu’ils reçoivent ne laissent plus de doute quant à l’imminence d’une intervention étrangère. Le lendemain, le président Mobutu lui-même, en tenue de para commando, souriant et détendu, donne une conférence de presse à l’aéroport de Kolwezi, reconquis par ses hommes. N’est-ce pas le signe qu’un renversement de la situation est proche et qu’il a reçu des assurances de Paris ou d’ailleurs ?

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Dégâts à la Gécamines

Pour beaucoup, dans Kolwezi, la fête est finie. On s’attend à une opération franco-belge avec appui américain. Dans la matinée du jeudi 18, les premiers paras belges quittent Bruxelles pour Kinshasa. Les installations industrielles et minières de la Gécamines, qui n’ont pas tourné depuis six jours, sont endommagées, des cuves et des machines auraient été détruites, des puits de mines inondés.

En fait, Paris et Bruxelles ne sont pas d’accord sur le type d’opération à mener : les Belges préfèrent une intervention prudente, laissant la porte ouverte à une évacuation négociée avec le FNLC [Front national de libération du Congo]. Ils répugnent à vouloir apparaître comme le dernier recours d’un Mobutu qui « ne fait plus l’affaire ». Pour les Français, seule une opération plus rapide et directe, offensive, peut être payante : il s’agit de reprendre Kolwezi.

Les Français largués sur Kolwezi

Dans la nuit du jeudi 18 au vendredi 19 mai, puis dans la matinée du vendredi, 1 750 paras belges arrivent à Kinshasa pour être dirigés ensuite vers Kamina. Partis plus tard de la base de Solenzara (Corse), un millier de paras français du 2e REP arrivent aussi dans la capitale zaïroise : ils ont des ordres tout différents.

La querelle franco-belge aura des conséquences désastreuses sur la situation des Européens de Kolwezi : vendredi midi, les Belges annoncent que des parachutistes français descendent sur Kolwezi et qu’eux-mêmes se désolidarisent de l’opération. Les Français seront largués sur Kolwezi en début d’après-midi, quelques heures après avoir été annoncés : un laps de temps qui a suffi pour que le gros des troupes rebelles se replie et pour que des Européens soient effectivement fusillés (une quarantaine), d’autres massacrés. Des éléments incontrôlés, ivres comme ils le sont souvent depuis plusieurs jours ? Ou bien les soldats du FNLC ? Difficile de répondre. Mais, quels que soient les auteurs de ces barbaries, grande est la responsabilité des autorités de Paris et de Bruxelles, qui ont agi comme si elles voulaient créer le motif de leur intervention.

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Les 600 hommes du 2e REP contrôlent rapidement la situation, après des échanges avec des groupes isolés, civils armés ou éléments rebelles d’arrière-garde. Pour les Européens, c’est la « libération » : les Blancs qui étaient regroupés dans divers points de la ville (le collège Jean XXIII notamment), ceux qui se terraient dans leurs maisons peuvent enfin sortir.

Les Belges, les plus nombreux (1 700 environ avant la bataille, contre 400 Français, 75 Américains et des contingents de diverses autres nationalités), estiment que « leurs » paras auraient dû agir en premier. Samedi 20 au matin, les soldats belges sont à l’aéroport : certains se font insulter par leurs concitoyens en pénétrant dans la cité.

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Sommet franco-africain

La ville européenne est déserte, on se terre maintenant dans les faubourgs africains (Kolwezi abrite 80 000 âmes). Les habitants qui ont participé aux pillages préfèrent se faire oublier et, de toute façon, les légionnaires français n’ont pas une réputation d’enfants de chœur.

Des charniers sont découverts et tandis que les Français, qui ont reçu leurs moyens de transport dimanche 21, ratissent la ville et « nettoient » les environs jusqu’à une vingtaine de kilomètres de Kolwezi, l’heure est au bilan. Cent soixante-dix Européens ne répondent pas à l’appel, mardi 23 ; leur nombre ne devrait pas augmenter, selon les paras français qui ont inspecté l’ensemble de la ville et ses abords.

À l’heure où se tient à Paris le cinquième sommet franco-africain – coïncidence ? –, on évoque pour la première fois les victimes africaines : 300, dit-on, peut-être plus. Ce bilan provisoire comprendrait les civils et les « desesperados » du FNLC tués par les légionnaires français. En Europe, on les présente volontiers comme des morts au combat face aux hommes du 2e REP. Ce qui serait fort étonnant. D’abord, parce qu’il semble que les hommes du FNLC, comme en 1977 face aux Marocains, ont refusé le combat, préférant se perdre dans la brousse. Et la facilité avec laquelle les Français ont repris la ville incline à douter que l’opération ait pu faire un aussi grand nombre de victimes. D’ailleurs, les paras du 2e REP n’ont eu que 2 morts et 12 blessés. On veut bien croire qu’ils sont efficaces, mais tout de même ! Il ne faut pas oublier non plus que les morts africains augmentaient parallèlement à la découverte des cadavres européens par les Français : trente, puis une centaine, 300 enfin. Comme une sinistre compensation. Qui sont ces morts ? La question ne semble pas intéresser grand monde aujourd’hui.

Les inquiétudes de Mobutu

Le bilan ne s’arrête pas là. Selon les premières observations, l’activité minière ne pourrait pas reprendre avant plusieurs semaines. Les installations réparées, comment les faire fonctionner alors que tous les cadres et techniciens européens sont partis ? C’est plus que grave pour un pays comme le Zaïre, qui tire du cuivre 70% de ses maigres ressources et dont la situation économique, à la veille de l’invasion, était considérée comme « catastrophique » par ses alliés et bailleurs de fonds occidentaux. Pour les « Katangais », disparus dans la nature, c’est un coup de Zouerate multiplié par dix. Ils ne reviendront pas tant que les paras français seront là, et on comprend que Mobutu demande que ces derniers restent encore quelque temps. Mais après ?

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