Visite de Tebboune en France : ces objets de l’émir Abdelkader dont la restitution pose problème

Alors que le président algérien a confirmé le principe d’une visite d’État à Paris et à Amboise à l’automne 2024, la question de la restitution des objets ayant appartenu à l’émir et détenus par la France, point de crispation entre les deux capitales, bute encore sur plusieurs obstacles.

Sculpture en hommage au héros national algérien Abdelkader, intitulée « Passage Abdelkader », créée par l’artiste Michel Audiard, à Amboise, dans le centre de la France, le 5 février 2022. © Guillaume SOUVANT/AFP

Sculpture en hommage au héros national algérien Abdelkader, intitulée « Passage Abdelkader », créée par l’artiste Michel Audiard, à Amboise, dans le centre de la France, le 5 février 2022. © Guillaume SOUVANT/AFP

FARID-ALILAT_2024

Publié le 5 avril 2024 Lecture : 6 minutes.

Cela devrait être l’un des moments forts de la future visite d’État – si celle-ci a bien lieu – du président Abdelmadjid Tebboune en France fin septembre ou début octobre 2024 : une escapade avec son homologue français au château d’Amboise, où furent détenus l’émir Abdelkader et sa suite de 1848 à 1852, et la restitution par la France de certains objets de valeur ayant appartenu au même émir avant que celui-ci ne se rende au général Lamoricière, le 23 décembre 1847.

Cette reddition solennelle de l’homme qui a mené la résistance pendant presque 17 ans, l’historien Benjamin Stora la considère comme un moment historique de la colonisation française. D’où la proposition qu’il avait faite, à la remise en janvier du rapport sur la mémoire de la colonisation qu’Emmanuel Macron lui avait commandé, de restituer l’épée de l’émir en guise de geste d’apaisement et de réconciliation.

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La restitution des objets de l’émir Abdelkader est une demande qui remonte à bien avant l’arrivée au pouvoir d’Abdelmadjid Tebboune, en décembre 2019. De nombreuses voix, en Algérie comme en France, réclament que ces objets retournent dans leur pays d’origine et ces demandes se sont cristallisées avec l’annonce de la visite d’État en France, que l’on ne cesse de part et d’autre de reporter. Au point de devenir un sujet de discorde ou de mésentente, ou du moins de crispation, lorsque qu’en décembre 2023, le chef de la diplomatie algérienne, Ahmed Attaf, affirme dans un entretien accordé à la chaîne qatarie Al Jazeera que Paris a refusé la demande algérienne de restituer « le burnous et l’épée » d’Abdelkader, « arguant la nécessité d’une loi ».

Un sabre passé de main en main

De son côté, Benjamin Stora, qui copréside la commission mixte d’historiens algériens et français chargée du travail de mémoire sur la colonisation, préconise que Paris restitue l’épée, le caftan et deux manuscrits ayant appartenu à l’émir. Quels sont donc ces objets de grande valeur dont la restitution satisferait les dirigeants algériens et contribuerait à dépassionner les relations entre les deux capitales ?

L’objet qui fait le plus fantasmer est le sabre – et non l’épée – attribué à l’émir Abdelkader et actuellement exposé au musée de l’Armée, à Paris. Monture et fourreau en vermeil, lame en acier « Damas », cordon en textile : ce sabre aurait été remis au duc d’Aumale lors de la reddition du 23 décembre 1847. Celui-ci l’aurait alors ensuite offert au général Lamoricière pour le remercier du rôle qu’il a joué dans cette victoire. À la mort du général Lamoricière, en 1865, ce sabre est revenu à sa fille Isabelle, comtesse de Dampierre. Au fil des décennies, il change de mains à maintes reprises. C’est entre 1991 et 1995 que l’Association des amis du musée de l’Empéri (consacré à l’histoire militaire et situé à Salon-de-Provence) s’en porte acquéreuse, avant donc d’en faire don au musée de l’Armée.

Mais de sérieux doutes subsistent encore aujourd’hui pour déterminer si ce sabre a réellement appartenu à l’émir Abdelkader. Selon plusieurs historiens, il n’existe aucune source primaire permettant d’attester que ce sabre a bien été remis par Abdelkader au duc d’Aumale lors de sa soumission. Dans la biographie qu’il consacre en 1889 à l’émir, le capitaine Jules Pichon, du 2e régiment de tirailleurs algériens, apporte deux témoignages sur la paternité de ce sabre.

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Il cite d’abord des correspondances du général Lamoricière. Dans l’une de celles-ci, ce dernier raconte qu’une nuit de déluge du 21 décembre 1847, il reçoit des émissaires de l’émir venus lui indiquer que celui-ci, acculé par les troupes françaises, souhaite se rendre et demande une « lettre d’aman » (sauf-conduit, en arabe) garantissant sa sécurité et celle de ceux qui l’accompagnent. Ne pouvant rédiger une lettre sous une pluie torrentielle, le général Lamoricière remet alors aux émissaires son sabre ainsi que le cachet de l’un de ses lieutenants, le commandant Achille Bazaine, en guise de garantie de sa bonne foi. Après un conciliabule avec ses compagnons de lutte, l’émir annonce son intention de se soumettre en renvoyant au général Lamoricière le sabre et le cachet par le biais des mêmes émissaires, avec une lettre écrite de ses mains.

Dons ou prises de guerre ?

Jeudi 23 décembre 1847, Abdelkader se rend avec ses principaux lieutenants à Ghazaouet pour faire acte de soumission au duc d’Aumale, sur un cheval, avant d’offrir cette monture au vainqueur en signe de gratitude. Il lui remet aussi une paire de pistolets destinée au roi Louis-Philippe. Dans une des lettres qu’il adressait à l’évêque d’Alger, Antoine Adolphe Dupuch, l’émir confirme à celui-ci qu’il avait reçu le sabre et le cachet de Lamoricière comme gages de sa parole. Après la reddition de l’émir et son départ en France pour une longue période d’internement à Toulon et Amboise, ce fameux sabre a alors été offert par Lamoricière au duc d’Aumale.

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Le deuxième objet dont les Algériens réclament le retour est ce caftan blanc – et non un « burnous », terme sous lequel il est souvent désigné – qui se trouve lui aussi propriété du musée de l’Armée depuis 1897. Il en a été fait don par l’émir El Hachemi, l’un des fils d’Abdelkader, pour honorer la mémoire de ce dernier et la perpétuer au moment même où le propre fils d’El Hachemi, Khaled Ben Hachemi, venait d’intégrer le 1er régiment de spahis basé à Médéa, après une formation à Saint-Cyr. Ce don visait aussi à affirmer les liens entre l’émir et ses descendants avec la France. Ce caftan ne constitue donc pas une prise de guerre ou un acte de reddition mais une offrande d’un fils de l’émir, quatorze ans après la disparition de celui-ci.

La troisième « relique » de l’émir que Benjamin Stora préconise de restituer aux Algériens, ce sont ces deux manuscrits rhétoriques du livre saint, détenus là encore par le musée de l’Armée, que certains désignent maladroitement comme des exemplaires du Coran. Le premier a été récupéré par le commandant Legros de Marcy le 16 mai 1843, dans la tente de l’émir, lors de la prise de la smala par les troupes du duc d’Aumale. Le second a été collecté – ou volé – dans une tente d’Abdelkader le 13 mars 1846 par le général Joseph Vantini, dit Yusuf, un ancien esclave mamelouk ayant participé à toutes les campagnes de conquête de l’Algérie, de 1831 à 1852. Ces deux manuscrits sont arrivés au musée en 1974.

En vertu de la législation française, ces objets de l’émir conservés aux Invalides sont des biens culturels inaliénables et imprescriptibles relevant du domaine public. Ils ne peuvent donc pas faire l’objet d’une restitution lors de cette éventuelle visite de Tebboune, ou après ce voyage, en l’absence d’un cadre législatif. Celui-là même qu’Ahmed Attaf a évoqué sur Al Jazeera. Un projet de loi cadre devrait être soumis au Parlement pour débloquer cette situation, mais ce texte n’est pas encore parvenu sur le bureau des parlementaires.

L’insoluble question des restitutions

Sera-t-il adopté juste à temps avant que la date de cette visite d’État ne soit officiellement calée ? Rien n’est moins sûr, le sujet des restitutions faisant l’objet de discussions et de polémiques depuis le début du premier mandat d’Emmanuel Macron. Le vote d’une loi dans des délais rapides est d’autant moins probable qu’une bonne partie des députés et des sénateurs de droite et d’extrême droite ne serait pas prête à faire un tel cadeau à Abdelmadjid Tebboune.

Comment contourner cet écueil juridique ? Emmanuel Macron peut décider de restituer ces objets de l’émir via une procédure de prêt de longue durée, estime Benjamin Stora. Une restitution temporaire, en attendant l’adoption d’un texte de loi autorisant le transfert de ces biens culturels en Algérie. En novembre 2019, la France a ainsi restitué sous forme d’une convention de dépôt de cinq ans le sabre d’Oumar Saïdou Tall, dit El Hadj Oumar, chef religieux et conquérant toucouleur, déposé au musée de l’Armée. Une année plus tard, les députés français ont adopté une loi actant le transfert définitif de ce bien culturel au bénéfice du Sénégal.

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