John Peter Pham : « L’ambition de l’Afrique de s’approprier davantage la chaîne de valeur minière est légitime »

Alors que l’administration américaine est de plus en plus impliquée dans des projets de corridors en Afrique, l’ancien envoyé spécial de Washington pour les Grands Lacs et le Sahel livre son éclairage sur les perspectives de développement des infrastructures minières sur le continent.

John Peter Pham, ancien envoyé spécial des États-Unis pour la région des Grands Lacs et du Sahel, de mars 2020 jusqu’à la fin de l’administration du président Donald Trump, en janvier 2021 © DR

John Peter Pham, ancien envoyé spécial des États-Unis pour la région des Grands Lacs et du Sahel, de mars 2020 jusqu’à la fin de l’administration du président Donald Trump, en janvier 2021 © DR

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Publié le 10 mai 2024 Lecture : 4 minutes.

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En Afrique, la course aux minerais critiques est lancée. Chine, Europe, Japon, États-Unis, tous cherchent à sécuriser leur approvisionnement en ces éléments centraux pour la transition énergétique. Du côté de Washington, un appui tout particulier est donné au développement d’un corridor ferroviaire, Lobito, reliant la Copperbelt RDC-Zambie à la côte atlantique de l’Angola, voie privilégiée vers les États-Unis. Des investisseurs américains s’intéressent aussi à ce projet.

L’ambassadeur John Peter Pham, expert des enjeux miniers en Afrique, est au carrefour des secteurs privé et public américains. Président du conseil d’administration de High Power Exploration, entreprise qui ambitionne de construire un chemin de fer pour transporter les ressources minières issues du Mont Nimba jusqu’à la côte du Liberia, il est aussi administrateur de Rainbow Rare Earths (terres rares en Afrique du Sud et au Burundi). Envoyé spécial des États-Unis pour les Grands Lacs et le Sahel durant le mandat de Donald Trump, cette voix influente du Parti républicain nous livre sa vision d’un enjeu clé du secteur minier sur le continent : les infrastructures.

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Jeune Afrique : L’administration Biden est très impliquée dans le développement du corridor de Lobito. Les États-Unis le seront-ils encore si Donald Trump est élu ?

John Peter Pham : Soyons clairs, je ne parle pas au nom du gouvernement des États-Unis, même si j’échange souvent avec des hauts fonctionnaires du pays. Selon moi, le corridor de Lobito ne se limite pas à l’acheminement des métaux vers l’international. C’est un investissement dans des infrastructures stratégiques reliant Angola, RDC et Zambie entre eux, mais aussi aux marchés régionaux et mondiaux. Ces infrastructures englobent les secteurs de l’énergie, des transports, des télécoms, de l’agriculture…

Le projet est, du reste, à l’initiative des trois pays africains, avec le soutien des États-Unis et de plusieurs partenaires, dont la liste augmente. Il symbolise aussi un modèle d’approche stratégique de développement qui pourrait s’adapter ailleurs dans le monde, et en Afrique en particulier.

Mais les priorités peuvent changer selon l’administration en place, et un modèle de développement peut en chasser un autre… 

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Depuis la fin de la guerre froide, la politique américaine à l’égard de l’Afrique a connu, et continuera selon moi, à connaître une grande continuité d’une administration à l’autre, démocrate ou républicaine. Les priorités peuvent changer, mais la trajectoire globale bénéficie d’un soutien bipartisan. Une grande partie des bases des relations solides actuelles avec des pays comme l’Angola et la RDC ont été jetées par l’administration Trump.

Les entreprises américaines participent activement au projet. Par exemple, Africell [J. Peter Pham en est l’administrateur] est le principal partenaire en matière de télécommunications le long du rail, avec des activités en RDC et en Angola, où elle a été la première à proposer un service 5G – non chinois – qui utilise une technologie sécurisée et fiable.

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Quelles autres infrastructures les États-Unis comptent-ils développer pour avoir accès aux minerais critiques africains ?

Le corridor de Lobito et son extension éventuelle jusqu’à l’océan Indien couvrira l’Afrique centrale et australe. Il serait logique de disposer d’une infrastructure multi-utilisateurs similaire en Afrique de l’Ouest. Mais Rome ne s’est pas faite en un jour. Le soutien des États-Unis et du G7 au corridor de Lobito, que beaucoup considèrent comme le premier d’une série de corridors potentiels, a été annoncé il y a tout juste un an.

La Chine peut-elle être un partenaire des États-Unis dans le développement d’infrastructures en Afrique ?

Comment se fait-il qu’à chaque initiative américaine on demande si la Chine peut être un partenaire ? Personne ne semble jamais demander aux Chinois si les entreprises américaines peuvent jouer un rôle dans leurs projets en Afrique… La Banque africaine de développement (BAD) estime que le continent a besoin de 130 à 170 milliards de dollars d’investissements dans les infrastructures chaque année. Le déficit de financement annuel représente donc près de 100 milliards de dollars. Il y a suffisamment de projets pour tous ceux qui s’intéressent au continent.

Ne pensez-vous pas que la course aux minerais critiques représente une opportunité pour l’Afrique de construire ses propres usines de transformation ?

Le plus grand défi pour les États-Unis dans la quête des minerais utiles à la transition énergétique et aux technologies de pointe est de garantir des chaînes d’approvisionnement fiables et diversifiées, et non dominées par un seul pays. Il ne s’agit donc pas uniquement de pouvoir accéder aux minerais, mais aussi de remonter la chaîne de valeur.

L’accord signé fin 2022, qui engage les États-Unis à travailler avec la RDC et la Zambie sur la chaîne de valeur des véhicules électriques, en est un bon exemple. L’ambition légitime de l’Afrique de s’approprier davantage la chaîne de valeur minière et le désir américain de mettre fin à la domination chinoise sur l’exploitation et le raffinage des ressources du continent sont la base d’un résultat « gagnant-gagnant ».

Sur un autre volet, dans quelle mesure les difficultés d’accès à l’électricité représentent-t-elles un obstacle au développement du secteur minier ?

Les obstacles les plus importants pour que l’Afrique s’approprie une plus grande partie de la chaîne de valeur sont l’insuffisance d’investissements dans l’énergie et le manque de ressources humaines. Mais, récemment, j’ai pu observer des progrès significatifs. Pour ne citer qu’un exemple, les 900 millions de dollars promis par Washington pour deux projets solaires en Angola, qui auront une capacité de production de 500 mégawatts d’énergies renouvelables, montrent que la question de l’accès à l’électricité n’est pas secondaire.

Comment garantir des infrastructures minières construites de manière durable ?

La durabilité ne consiste pas seulement à minimiser l’impact environnemental des mines, mais doit porter aussi sur les avantages plus larges que les pays et les populations sont en droit d’attendre. De ce fait, je pense que l’accent mis sur les corridors intégrés et la proposition de valeur des États-Unis, leurs alliés et leurs meilleures entreprises prévaudront sur le long terme.

Il y a une synergie naturelle entre les Africains,qui cherchent à tirer meilleur parti de leurs ressources, et les Américains et leurs alliés, qui veulent s’assurer des approvisionnements diversifiés.

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