À la Biennale de Venise, le « soft power » béninois en majesté

Pour sa participation inaugurale à l’évènement avec un pavillon national, le Bénin veut révéler son art contemporain au monde et mettre la lumière sur les grands chantiers culturels en cours dans le pays.

Everything Precious is Fragile, Moufouli Bello, détails Egbe Modjisola, 2024, exposé au pavillon du Bénin lors de la Biennale de Venise. © Jacopo La Forgia.

Everything Precious is Fragile, Moufouli Bello, détails Egbe Modjisola, 2024, exposé au pavillon du Bénin lors de la Biennale de Venise. © Jacopo La Forgia.

Publié le 25 avril 2024 Lecture : 5 minutes.

C’est une première pour le Bénin. À la 60ème édition de la Biennale internationale des arts de Venise qui s’est officiellement ouverte ce 20 avril, le visiteur pourra déambuler au cœur du pavillon national du pays. Modeste par sa taille, mais grand par la richesse de son patrimoine, le Bénin a entrepris depuis 2016, sous la houlette de Patrice Talon, président de la République, de faire du tourisme, en attelage avec la culture et les arts, une filière de développement économique créatrice de richesse et d’emplois mais aussi un outil de rayonnement du Bénin à l’international.

La démarche consiste à révéler l’exception culturelle béninoise à travers le génie créatif de ses artistes d’hier et d’aujourd’hui. Ainsi, un peu plus de deux ans après la restitution de 26 trésors royaux spoliés lors de la conquête coloniale du royaume du Dahomey par la France et l’exposition triptyque qui s’en est suivie, le Bénin se saisit de la Biennale de Venise pour s’installer davantage dans le paysage mondial de l’art.

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« Le pavillon ambitionne d’être l’une des attractions de cette Biennale 2024. Il ne s’agit pas seulement pour le Bénin de manifester sa présence, il s’agit de rendre compte aussi de la dynamique en cours dans le développement des arts, et des ambitions affichées par l’État béninois », explique Jean-Michel Abimbola, ministre du Tourisme, de la Culture et des Arts. En exposant ses créateurs à Venise, le Bénin veut surtout montrer à la face du monde la fièvre inspiratrice qui caractérise ses traditions et mettre en lumière les politiques publiques volontaristes mises en œuvre dans le secteur, plaçant la Biennale de Venise comme une étape dans le grand projet de révélation de l’art béninois. « Venise et sa Biennale, vitrine internationale de l’art contemporain, est cette étape désirée, préparée pour révéler un peu plus le Bénin artistique au monde, avant que le monde ne vienne à nous », souligne José Pliya, délégué général du pavillon béninois.

Mémoire, spiritualité et féminisme

Construite autour du thème « everything precious is fragile » (« tout ce qui est précieux est fragile », en français), l’exposition du pavillon béninois se veut être une combinaison de la mémoire collective du territoire béninois ainsi qu’une réflexion sur les fragilités du monde contemporain globalisé. D’une part, elle explore la riche histoire du Bénin à travers les thèmes de la traite négrière, de la figure de l’Amazone, de la spiritualité et de la religion vaudou. D’autre part, elle aborde le monde contemporain avec la philosophie Gèlèdè (société secrète de masques dirigée par les femmes des communautés Yoruba et Nago) et met spécifiquement en valeur la notion de « rematriation » – traduction féministe de l’idée de la restitution de connaissances.

Everything Precious is Fragile, Romuald Hazoumè, détails Ase, 2024 © Jacopo La Forgia

Everything Precious is Fragile, Romuald Hazoumè, détails Ase, 2024 © Jacopo La Forgia

Pour concevoir son exposition, c’est le chef de l’État en personne qui a fait appel au curateur nigérian Azu Nwagbogu. Figure influente de la scène artistique contemporaine, le directeur fondateur et directeur de l’African Artists Foundation (Lagos, Nigeria) et du Lagos Photo Festival a multiplié les déplacements au Bénin pour élaborer le concept curatorial du pavillon béninois. Assisté par des experts locaux tels que Yassine Lassissi, directrice des arts visuels à l’Agence pour le développement des arts et de la culture (Adac) et Franck Houndégla, scénographe et designer de musées et d’exposition, le curateur nigérian a identifié « le féminisme africain et singulièrement béninois » comme fil d’Ariane de sa proposition.

« Cette proposition curatoriale répond à la fragilité du monde, marqué non seulement par des défis écologiques, les conflits et les inégalités sociales et économiques croissantes, mais aussi par la marginalisation systémique des modes de transmission des savoirs des peuples autochtones et issus de la diversité (…) L’exposition célèbre la résurgence de la sagesse des peuples autochtones, en mettant en lumière les voix historiquement marginalisées, en particulier celles des femmes, dans la production du savoir », explique Azu Nwagbogu.

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C’est la même démarche qui a sous-tendu le choix des artistes tant dans leur expression artistique que dans leur identité et répartition géographique. Romuald Hazoumè, Chloé Quenum, Ishola Akpo et Moufouli Bello « ont été choisis non seulement pour leurs prouesses artistiques, mais aussi pour la complémentarité de leurs œuvres, faisant de l’exposition une performance unique, construite autour du thème « everything precious is fragile » », détaille-t-il.

Quatre artistes, un fil conducteur

Au-delà du fil rouge artistique qui raccorde ces artistes autour du thème du pavillon béninois, leur choix répond aussi à la nécessité de rendre compte de la diversité et de la vitalité de l’écosystème artistique béninois. Sans échapper à une recherche d’équilibre dont le défaut pourrait contrarier la démarche philosophique de l’exposition. Ils sont donc deux femmes et deux hommes, utilisant diverses formes d’expression artistiques et partageant leurs vies entre le Bénin et sa diaspora.

Everything Precious is Fragile, Ishola Akpo, Iyalode, 2024 © Jacopo La Forgia.

Everything Precious is Fragile, Ishola Akpo, Iyalode, 2024 © Jacopo La Forgia.

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Jouissant d’une notoriété mondiale à travers ses installations, sculptures et photographies explorant souvent des thèmes tels que la mondialisation, la migration, la pollution et l’identité culturelle, Romuald Hazoumé est le plus célèbre des quatre. Né en 1962 à Porto-Novo, il est particulièrement connu pour ses masques en bidons recyclés. Ces œuvres exposées dans les plus prestigieux lieux d’art contemporain évoquent à la fois la beauté artistique et la réalité crue de la pollution et de la dépendance aux combustibles fossiles en Afrique.

Chloé Quénum, quant à elle, est la touche diaspora de cette sélection. Cette franco-béninoise, diplômée de l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris, explore depuis 2011 les thèmes de l’identité, de la culture et de la mémoire. À l’aise avec divers médiums, elle s’illustre aussi bien dans la sculpture que dans l’installation et la performance.

Pour le Bénin, le choix de cette artiste émergente pour exposer à la Biennale de Venise répond à plusieurs enjeux. Non seulement elle constitue l’une des figures émergentes d’une scène culturelle et artistique en pleine ébullition, mais elle représente aussi la diaspora. Née à Paris en 1983, celle qui sera en résidence à la Villa Médicis à partir de mai, dans le cadre du programme « Résidence Médicis », vit et travaille toujours dans la capitale française.

À Venise, Chloé Quénum exposera aux côtés d’Ishola Akpo, un autre Béninois venu d’ailleurs. Né en Côte d’Ivoire de parents béninois, l’artiste vit et travaille à Cotonou en expérimentant différents médiums, mélangeant modernités et traditions, pour créer des métaphores plurielles. Ces dernières années, Ishola Akpo a concentré son travail sur les femmes, notamment celles de pouvoir. Ainsi, en 2021, pour sa série « Agbara Women » que les Béninois ont pu découvrir en partie lors de l’exposition « Art du Bénin d’hier et d’aujourd’hui : de la restitution à la révélation », Ishola Akpo a conçu des portraits de reines et de femmes de pouvoir du continent africain en travaillant avec des modèles choisis dans son entourage. Le résultat est saisissant de beauté et de puissance.

Everything Precious is Fragile, Chloé Quenum, L'heure bleue, 2024. © Jacopo La Forgia

Everything Precious is Fragile, Chloé Quenum, L'heure bleue, 2024. © Jacopo La Forgia

Enfin, Moufouli Bello est une jeune artiste plasticienne connue pour ses peintures figuratives aux tonalités bleues qui explorent les constructions sociales de l’identité. Juriste de formation, Moufouli Bello est diplômée de l’École nationale d’administration (ENA) de l’Université d’Abomey Calavi. Malgré une douzaine d’années de carrière derrière elle, Moufouli Bello est toujours une artiste en construction. Après avoir étudié au Fresnoy – Studio National des arts contemporains, elle poursuit actuellement un doctorat en arts visuels.

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