Fatma Saïd, surnommée « la diva du Caire ». © Montage JA; James Bort.
Fatma Saïd, surnommée « la diva du Caire ». © Montage JA; James Bort.

Fatma Saïd, la soprano qui éclaire Le Caire de sa lumière

Première chanteuse lyrique égyptienne à avoir étudié et à s’être produite à La Scala de Milan, cette soprano surdouée est capable de chanter en six langues. Un métissage artistique, fruit de la musique classique arabe et européenne, qui ravive les liens entre l’Orient et l’Occident.

Publié le 30 mai 2024 Lecture : 4 minutes.

De gauche à droite : Adriana Lesca, Cyrielle Ndjiki Nya, Pretty Yende, Fatma Saïd. © Montage JA; STEPHANE DE SAKUTIN/AFP; James Bort; 2020 Cyrielle Ndjiki Nya; DR
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Avec une série de portraits, Jeune Afrique braque ses projecteurs sur quatre sublimes chanteuses lyriques qui portent haut les couleurs de l’Afrique dans un domaine où on ne les attend pas forcément.

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En France, les médias la surnomment « la diva venue du Caire » et voient en elle « la nouvelle Maria Callas ». Fatma Saïd, née en Égypte en 1991, est une chanteuse lyrique à la virtuosité vocale déconcertante, acclamée pour ses interprétations raffinées et passionnées sur les scènes les plus prestigieuses : La Scala de Milan, le Royal Albert Hall à Londres ou encore le Shangyin Opera House à Shangaï.

Cette soprano capable de chanter en six langues (arabe, italien, français, espagnol, anglais et allemand) revisite avec brio les figures historiques de l’opéra que sont Mozart, Massenet, Verdi, Schubert, Brahms ou Schumann (entre autres).

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L’Hexagone l’a découverte le 14 juillet 2020, lorsqu’elle a chanté aux pieds de la tour Eiffel Les filles de Cadix, de Léo Delibes, à l’occasion de la fête nationale et d’une cérémonie hommage aux victimes du Covid-19. « Un rêve et un grand honneur » pour cette artiste égyptienne, qui a d’ailleurs appris le français pendant le confinement.

Nevine Allouba comme professeure au Caire

Aussi loin qu’elle s’en souvienne, Fatma Saïd a toujours chanté. Touchante d’humilité, elle affirme être toujours restée la « petite fille du Caire ». Dans la famille Saïd, il n’y a pas de musiciens, mais un papa, Ahmed Hassan Saïd, ex-nageur olympique, éminent businessman dans le secteur informatique, devenu une figure majeure de la politique égyptienne à la suite des soulèvements du Printemps arabe et de l’éviction du président Hosni Moubarak.

Il est aussi l’un des fondateurs du Parti des Égyptiens libres, qui soutient un ordre politique démocratique, libéral et laïc. Ainsi qu’une maman, Nivert El Sherif, dont le grand-oncle n’est autre que le Dr. Taha Hussein, considéré comme le « doyen égyptien de la littérature arabe ». Fatma Saïd grandit donc dans une famille progressiste, où les idées, les arts et la culture sont toujours bienvenus. Elle prend ses premières leçons de chant à 14 ans, auprès de la soprano Nevine Allouba, à l’école de l’opéra du Caire. Une cantatrice lyrique de classe internationale, née en 1958, passée par de prestigieuses académies et fondations allemandes, et pionnière dans l’enseignement de l’opéra en Égypte.

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C’est par l’entremise de cette professeure d’exception que Fatma Saïd part étudier après le lycée à la Hochschule für Musik Hanns Eisler de Berlin auprès de Renate Faltin. Elle y obtiendra un bachelor en 2013, avant de recevoir par la suite une bourse pour étudier à l’académie de théâtre de La Scala à Milan, devenant ainsi la première chanteuse égyptienne à franchir la porte de cette prestigieuse institution.

« L’opéra me fait vivre plein de vies différentes »

C’est d’ailleurs à Milan, en 2016, que Fatma Saïd – maintes fois récompensée depuis 2011 – accepte son premier rôle : celui de Pamina dans une production de La Flûte enchantée dirigée par Adam Fischer et réalisée par Peter Stein. Sa carrière est lancée : elle chante et interprète les plus grandes œuvres (La Cenerentola, Le barbier de Séville, le Requiem de Mozart, Shéhérazade de Ravel, entre autres), sur les scènes internationales les plus prestigieuses, à Londres, Mascate, Istanbul, Leipzig, Naples, Paris ou encore Amsterdam.

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Alors qu’elle est interrogée dans l’émission The Arab Woman, diffusée sur Youtube en 2023, celle qui a étudié l’opéra pendant plus de neuf ans cite Giuseppe Verdi : « Pour chanter, vous avez aussi besoin de la voix […] Ce qui signifie qu’il faut d’abord étudier, apprendre, se préparer, ensuite seulement la voix jaillit sur scène », explique-t-elle.

Fatma Saïd dans La Flûte enchantée de Mozart, à La Scala. © Brescia e Amisano/Teatro alla Scala.

Fatma Saïd dans La Flûte enchantée de Mozart, à La Scala. © Brescia e Amisano/Teatro alla Scala.

Pragmatique en plus d’être rigoureuse, Fatma Saïd estime néanmoins que l’opéra « n’est pas toute sa vie, mais une partie ». Et poursuit : « Le problème quand c’est votre vie, c’est que si ça ne marche pas, vous pensez que c’est votre vie qui est ratée. Je vois ça comme un job, une passion. L’opéra me fait vivre plein de vies différentes, je suis tantôt esclave, tantôt princesse, mais j’ai aussi une vraie vie à vivre », estime celle qui réside désormais à Londres.

Printemps arabe et droits de l’homme

Après avoir rejoint en 2020 les écuries Warner Classics, l’une des plus grandes sociétés de production et de distribution au monde, l’artiste lyrique sort son premier album Nour (lumière en arabe).  Pont majestueux entre l’Orient et l’Occident (jusqu’aux arrangements), cette odyssée adoubée par la critique se classe parmi les œuvres classiques françaises et les grandes chansons populaires espagnoles et arabes. Trois cultures avec lesquelles Fatma Saïd a une « connexion spéciale » et qui arborent de nombreux liens et points communs.

Deux ans plus tard, la chanteuse sort Kaléidoscope, une explosion joyeuse et colorée, où elle navigue de Johann Strauss à Offenbach, en passant par Serge Gainsbourg (La Javanaise) et Whitney Houston (I Wanna Dance with Somebody). Sa reprise de ce tube pop interplanétaire chanté dans un tout autre style, « à la diva », donne des frissons. Quant à sa version de La Javanaise, c’est tout le charme désuet de l’Égypte – de l’âge d’or du cinéma égyptien à Dalida –, dont on se délecte avec plaisir et mélancolie. Plus qu’une consécration de son travail, ces deux albums sont une documentation de l’étendue de ses capacités techniques et vocales.

Opéra lyrique, jazz, tango argentin : Fatma Saïd sait tout faire, avec subtilité et originalité. Cette fan inconditionnelle du grand Mohamed Abdel Wahab, chanteur et compositeur égyptien connu dans l’ensemble du monde arabe, est aussi une artiste engagée, comme son père. Soutien du Printemps arabe, elle a représenté l’Égypte pour la Journée des droits de l’homme en 2014 aux Nations unies, à Genève, et milite pour la généralisation de l’enseignement musical au sein de la jeunesse dans son pays natal. Depuis la mi-mai – et jusqu’à la fin de ce mois –, « la diva venue du Caire » enchaîne les récitals en Europe.

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