En Algérie, un nouveau code pénal plus sévère contre les « dérives » des réseaux sociaux

Peut-on tout dire et tout publier sur les réseaux sociaux ? Assurément non si l’on se réfère aux mesures consignées dans le nouveau code pénal entré en application le 6 mai dernier, qui inquiète déjà journalistes, avocats et militants.

Un vendeur de journaux accroche le dernier numéro du quotidien algérien francophone « Liberté » dans un kiosque à Alger, le 14 avril 2022. © RYAD KRAMDI / AFP

Un vendeur de journaux accroche le dernier numéro du quotidien algérien francophone « Liberté » dans un kiosque à Alger, le 14 avril 2022. © RYAD KRAMDI / AFP

Publié le 13 mai 2024 Lecture : 3 minutes.

Présenté comme une réponse aux « dérives des sites internet, applications mobiles et plateformes permettant de créer un lien social », le nouveau code pénal promulgué en Algérie le 6 mai opère, dans les faits, un nouveau tour de vis répressif à quatre mois du scrutin présidentiel prévu en septembre. Ce texte accentue l’inquiétude dans les milieux des journalistes, avocats, militants politiques et même chez le citoyen lambda. Chacun se demande comment vont être appliquées ces mesures sur le terrain, et quelle interprétation en feront les magistrats.

De cinq ans de détention à la perpétuité

Parmi les mesures les plus controversées se trouve l’amendement complétant l’ordonnance N66-156 portant code pénal, adoptée le 24 février 2023 par les députés de l’Assemblée nationale (à l’exception des élus du parti islamiste MSP qui se sont abstenus), puis début avril par le Conseil de la Nation. Ce texte prévoit des peines allant de cinq ans de détention à la perpétuité à l’encontre de ceux qui « divulguent des informations et des documents confidentiels relatifs à la sécurité nationale, et/ou à l’économie nationale, à travers les réseaux sociaux ou à destination de pays étrangers ou l’un de leur agents ».

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Le nouveau texte pénal prémunit par ailleurs les services de sécurité, tous corps confondus, de toute critique puisqu’il précise que « quiconque porte atteinte à l’image des services de sécurité ou de leurs affiliés par écrit, dessin, ou par tout autre moyen » risque une peine d’incarcération d’1 à 3 ans et une amende de 100 000 à 300 000 dinars (l’équivalent au taux officiel de change de 700 à 2 000 euros).

Tandis que, au chapitre des atteintes aux fonctions et symboles, de nouveaux articles criminalisent l’outrage, l’injure ou la diffamation dirigés, par quelque moyen que ce soit, contre les symboles du Mouvement de libération nationale ainsi que l’hymne et le drapeau national.

Les activistes des réseaux sociaux peuvent aussi tomber sous le coup d’une peine allant jusqu’à dix ans d’emprisonnement assortie d’une amende d’1 million de dinars s’ils se rendent coupables, en temps de paix, « d’entreprise de démoralisation de l’Armée nationale populaire ou des autres corps de sécurité ayant pour objectif de nuire à la défense ou la sécurité nationale ».

Parmi les nouveautés figurent encore des peines de deux à cinq ans de prison à l’encontre de ceux qui tentent de faciliter la fuite du territoire national, assortis d’une amende de 200 000 à 500 000 dinars, et la criminalisation des actes « entravant l’investissement ». Ce qui comprend par exemple les obstacles bureaucratiques susceptibles de bloquer ou de retarder un projet d’investissement, punis dorénavant de cinq, voire de sept ans de prison si l’auteur occupe une haute fonction.

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Entrave à l’investissement

En mars dernier, le ministre de la justice Abderrachid Tabi avait déjà expliqué devant la Commission des affaires juridiques et administratives du Sénat que cette criminalisation de toute démarche entravant l’investissement est en accord avec le code de l’investissement de 2022. Le ministre avait également précisé que les nouveaux amendements s’inscrivent dans le cadre de la protection des Algériens et de leurs biens.

Déjà, certains s’interrogent sur la portée de ces mesures et sur l’étendue du champ couvert. Est-ce que rendre publique une simple note adressée par une entreprise à ses salariés sera considéré comme divulgation d’un document officiel confidentiel, s’interroge notamment un syndicaliste du secteur des télécommunications qui rappelle que le législateur ne définit pas en termes précis les crimes punis, ce qui selon lui ouvre la voie « à de larges interprétations et à des dérives ».

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La nouvelle loi introduit toutefois, sous certaines conditions, deux mesures saluées par les militants des droits de l’homme. D’abord la notion de travail d’intérêt général, possible pour une durée de 40 à 600 heures sur la base de deux heures pour chaque jour de prison. Un travail qui sera effectué au profit d’une personne morale ou d’une association dont l’activité est d’utilité publique, ou présente un intérêt public. Une mesure applicable aux détenus de plus de 16 ans condamnés à des peines n’excédant pas cinq ans.

La deuxième disposition est le placement sous surveillance électronique des condamnés à moins de trois ans. S’il désactive ou retire le bracelet électronique, le condamné sera, toutefois, passible de la peine prévue pour le délit d’évasion. Enfin, dans le but de réduire le nombre de prisonniers dans des établissements pénitenciers surchargés, la réclusion à vie est remplacée aussi par une peine de 30 ans de prison dans certains cas de violence délibérée ou d’incendie volontaire n’ayant pas causé de blessures.

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