Centrafrique : pourquoi je n’aime pas le scooter de François Hollande !

La récente mise aux enchères du scooter présidentiel rappelle aux Centrafricains les ratés de la transition de 2013, plombée par une crise politique profonde et le peu d’intérêt de l’ancien chef d’État français pour le sujet.

Vente aux enchères du scooter de l’ancien président français, François Hollande, à Montbazon, près de Tours (France), le 26 mai 2024. © Anna Bonnemasou-carrère/Radio France/Maxppp

Vente aux enchères du scooter de l’ancien président français, François Hollande, à Montbazon, près de Tours (France), le 26 mai 2024. © Anna Bonnemasou-carrère/Radio France/Maxppp

Adrien Possou
  • Adrien Poussou

    Ancien ministre centrafricain de la Communication et expert en géopolitique.

Publié le 8 juin 2024 Lecture : 6 minutes.

On le sait, le Piaggio MP3 125 cm³ de François Hollande, surnommé le « scooter de l’amour », a été vendu aux enchères, dimanche 26 mai, pour un montant de 25 420 euros. Nous en parlons aujourd’hui non parce que cet engin possède trois roues ni, encore moins, parce qu’il va désormais finir ses jours dans un musée automobile du Maine-et-Loire ou parce que l’ancien président français, alors compagnon de Valérie Trierweiler, s’en servait pour rejoindre en secret l’actrice Julie Gayet qu’il a depuis épousée.

Nous l’évoquons parce que ce moyen de locomotion est loin d’être uniquement une « partie de l’histoire de la France », comme l’a déclaré l’acheteur. Autrement formulé, autant l’inauguration d’une statue du général Marcel Bigeard dans sa ville natal de Toul a réveillé les blessures du passé en Algérie, autant la mise en vente du scooter présidentiel a replongé les Centrafricains dans le souvenir d’un passé récent encore perceptible dans le vécu quotidien de nos compatriotes.

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Imbroglio autour d’une succession

Un retour en arrière est nécessaire. En Centrafrique, l’année 2013 est marquée par une rébellion calamiteuse dont les hommes réussissent à s’emparer du pouvoir, le 24 mars, après une chevauchée meurtrière. Les pillages d’ontologie, les exactions imputables aux rebelles et l’incapacité de Michel Djotodia, le tombeur de François Bozizé, à gouverner, illustrent une situation de chaos généralisé.

Le gouvernement de transition mis en place au lendemain du putsch – auquel j’ai appartenu vers la fin en tant que ministre de la Communication et de la Réconciliation nationale – perd le contrôle d’une bonne partie du territoire souverain. Des bandes armées sans foi ni loi y règnent en maîtres incontestés, dictant leurs désidératas et se nourrissant en toute impunité sur le dos de la bête, le peuple centrafricain. Résultat, le 24 janvier 2014, le chef de l’État de transition ainsi que son Premier ministre sont contraints à la démission par les dirigeants de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC) réunis à N’Djamena, à l’initiative du défunt président tchadien Idriss Déby Itno.

Mais la charte constitutionnelle de transition n’avait pas prévu les critères d’éligibilité du nouveau chef de l’État, même si son article 23 disposait qu’en « cas de décès, ou d’incapacité définitive médicalement constatée du chef de l’État de transition, le président du Conseil national de transition assure l’intérim ». Tout au plus, le second alinéa de cet article stipulait-il que le « Conseil national de transition procède à l’élection du nouveau chef de l’État de transition dans les quinze jours qui suivent le constat de la vacance par la Cour constitutionnelle ». Le champ des possibles restait donc ouvert.

Autre souci : les militaires français de l’opération Sangaris, qui étaient intervenus pour éviter un carnage en s’interposant entre les belligérants, et les diplomates chargés de porter la question centrafricaine dans les instances internationales, n’étaient pas sur la même longueur d’onde s’agissant de l’identité du nouveau chef de l’exécutif centrafricain. Les premiers estimaient être plus légitimes pour proposer le nom du nouveau chef de l’État de transition, tandis que les seconds leur reprochaient une ignorance abyssale en matière de relations internationales. Souvent, trop souvent, les diplomates réussissent à faire prospérer leur point de vue à cause de la prééminence de l’autorité civile sur le chef militaire.

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En l’espèce, le dernier mot revenait au chef de mission diplomatique, qui représentait le président français localement. Dans l’intervalle, pendant que le ministre de la Défense d’alors, Jean-Yves Le Drian et son collègue des Affaires étrangères, Laurent Fabius, s’étripaient en coulisses pour prendre le leadership sur le dossier centrafricain, on assistait, à Bangui, à une surenchère des critères d’éligibilité pour la fonction de chef d’État de transition, lesquels critères se rallongeaient au gré des profils de probables candidats.

Hollande aux abonnés absents

Pour tout dire, les membres du Conseil national de transition (CNT), parlement provisoire, cornaqués par l’ambassadeur de France de l’époque, Charles Malinas, s’échinaient à élaborer des critères sur mesure pour le candidat, en l’occurrence une candidate, qui avait leur faveur. Inutile de préciser que l’objectif recherché était l’exclusion de potentiels concurrents de la course. C’est ainsi que de nombreux candidats compétents avaient été écartés pour des motifs aussi risibles que peu raisonnables.

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Preuve de cette supercherie, à la veille du scrutin – un dimanche – et en l’absence d’une décision judiciaire mais simplement sur la base des critères exclusifs, certaines candidatures avaient été rejetées. Motif invoqué : « soutien à la rébellion de François Bozizé. » Cela aurait pu arracher un sourire narquois si, dans leur immense majorité, les membres du Conseil national de transition n’avaient pas été cooptés par Michel Djotodia. Pour des individus dont la seule légitimité était une proximité avec l’ancien chef rebelle, et qui accusaient d’autres de complicité avec François Bozizé afin de les empêcher de briguer la magistrature suprême, ça ne manquait pas de sel. Il fallait se pincer pour ne pas rire.

Donc, François Hollande restait l’unique recours ; il était le seul qui pouvait arbitrer entre ses ministres et changer le cours de l’Histoire à Bangui. Seulement voilà : lorsque l’ancien président enfourchait son célèbre « scooter de l’amour » pour aller vivre le bonheur en compagnie de Julie Gayet, il n’aimait pas être dérangé et ne décrochait que rarement son téléphone. Ainsi, de notre poste d’observation privilégié, nous avons été témoin d’infructueuses tentatives pour joindre François Hollande en vue de solliciter son intervention. Et quand il avait enfin été joignable, c’était trop tard : il n’était plus possible de changer les règles du jeu. C’est ainsi que la candidate qui avait la faveur du Quai d’Orsay a fini par être élue à la tête de la transition, au détriment de celui que les militaires français jugeaient plus compétent.

Erreur de casting à la tête de l’État

La crise centrafricaine étant essentiellement politique, il aurait fallu confier la gestion du pays à un fin connaisseur du marigot politique. Ce dernier, avec l’expérience, qui est une sagesse concrète selon les mots du professeur Théophile Obenga, aurait pu éviter nombres d’écueils et se préserver, par exemple, du défaut d’arrogance qu’on a observé par la suite.

Au-delà des questions que soulevait le corps électoral, composé de 135 conseillers nationaux, qui ne pouvaient se prévaloir d’une quelconque onction du suffrage universel, et comme nous avions eu l’occasion de le dire à l’ex-ambassadeur de France, l’élection de Catherine Samba Panza à la tête de la transition n’était pas la meilleure chose qui puisse arriver à la Centrafrique, bien au contraire. Membre de la société civile, l’ancienne présidente de la délégation spéciale de la ville de Bangui partait avec quelques handicapes. Le plus rédhibitoire étant sa méconnaissance des principaux chefs rebelles.

Nous le disons avec la tranquille assurance de quelqu’un qui a été au cœur de la transition dirigée par cette dernière en tant que ministre-conseiller spécial du Premier ministre, et qui a assisté à toutes sortes de dérives, dont la plus emblématique reste l’affaire de la gestion opaque du don de 10 millions de dollars accordé par l’Angola. À l’évidence, un quart de cette somme octroyée à Bangui par Luanda, en mars 2014, a pris une autre direction que les caisses de l’État. Autrement dit, la crainte de devoir s’expliquer devant la justice à l’issue de la transition n’a pas été étrangère à la décision de ceux qui ont tout fait pour mettre à la tête du pays Faustin-Archange Touadera, un homme accommodant et réputé faible.

En clair : même s’il est toujours possible de céder à la tentation d’exagération, si François Hollande ne possédait pas son scooter, l’histoire de la Centrafrique aurait pu s’écrire autrement, certainement sans la présence des mercenaires russes de Wagner. Mais c’est connu, avec des « si », on peut refaire le monde.

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