En Zambie, même une ex-première dame n’est pas intouchable

Alors que son épouse a été arrêtée, l’ancien président Edgar Lungu accuse son successeur, Hakainde Hichilema, d’instrumentaliser la lutte contre la corruption pour tuer ses ambitions politiques.

L’ex-première dame du Kenya Esther Nyawa Lungu © DR.

L’ex-première dame du Kenya Esther Nyawa Lungu © DR.

Publié le 12 juin 2024 Lecture : 1 minute.

L’arrestation d’Esther Lungu, épouse de l’ancien président zambien Edgar Lungu, pour suspicion de blanchiment d’argent, pourrait redorer l’image de la lutte anti-corruption en Zambie. Point notable toutefois : l’affaire s’inscrit également dans le cadre d’une querelle politique avec le successeur de Lungu, le président Hakainde Hichilema. L’ex-première dame et ses deux filles ont été arrêtées le 31 mai par la Commission de lutte contre la drogue (DEC) pour possession de plusieurs véhicules et propriétés acquis durant les sept années de mandat de l’ancien président.

Alors qu’il s’agit déjà de la deuxième fois qu’Esther Lungu est inculpée pour ces biens, qui incluent un manoir et des pavillons dans la banlieue chic de Lusaka, son mari, qui prévoit de se représenter en 2026, a dénoncé l’intensification de la lutte contre la corruption par le Parti uni pour le développement national (UPND, au pouvoir). À ses yeux, tout cela ne serait qu’une tentative déguisée de réduire à néant ses ambitions politiques.

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« Ils ont décidé d’éplucher toutes les affaires de ma famille en essayant de m’atteindre au lieu de venir à moi », a déclaré Edgar Lungu lors d’une émission en direct sur la chaîne VOA le 2 juin. Un jour plus tôt, il avait affirmé sur sa page Facebook que les poursuites engagées contre sa famille étaient une manœuvre « visant à le briser et à le réduire au silence ».

Tribunal spécial

Pour renforcer la lutte contre la corruption, l’UPND a réformé des législations clés, notamment en créant un tribunal spécial, destiné à lutter contre les crimes financiers et économiques, ainsi qu’en restreignant la période de poursuite pour corruption à cinq mois – une façon d’accélérer la procédure. Le pouvoir met également l’accent sur l’obligation pour les condamnés de renoncer à leurs biens mal acquis.

>>> Retrouvez cet article en anglais sur  The Africa Report : Zambia restricts corruption trial period but pessimism persists <<<

Bien qu’il ait perdu les élections générales de 2021 d’un million de voix face à Hakainde Hichilema, Edgar Lungu a annoncé son retour à la tête du Front patriotique (PF), mettant ainsi fin à son congé sabbatique de la politique, après son humiliante défaite. Il pourra se présenter pour la troisième fois, car il a modifié la Constitution pendant sa présidence, en 2015. Il veut combler le vide dû à l’absence d’une opposition forte, mais le PF reste largement en désarroi.

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« Il y a longtemps que nous ne nous sommes retrouvés dans une telle situation, sans opposition que l’on puisse vraiment qualifier de gouvernement alternatif », a commenté l’activiste politique Laura Miti. Un retour de Lungu lors des élections générales de 2026 devrait encore aggraver les tensions entre les deux rivaux politiques, qui dominent la vie politique zambienne depuis 2015.

Edgar Lungu fait cavalier seul sans le PF

La décision de Hichilema de geler le financement du bureau de l’ancien président après son retour en politique n’a pas eu l’effet escompté : paralyser les machinations politiques du double président de la Zambie. Après la prise de contrôle du PF par l’ancien maire de Lusaka, Miles Sampa, le 24 octobre 2023, Lungu a fait des déclarations grinçantes et ambitieuses selon lesquelles il allait reprendre le contrôle de l’ancien parti au pouvoir.

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La formation par Lungu de l’alliance United Kwacha, un regroupement de partis politiques ethno-régionaux minoritaires, dont aucun n’a obtenu plus de 1 % lors des précédentes élections générales, confirme que la trajectoire politique de l’ancien président a changé. « Nous n’avons pas besoin du PF. Nous le laissons à Miles Sampa parce qu’il continue à dire à tout le monde que c’est la propriété de leur famille », a déclaré Mumbi Phiri, ancien secrétaire général du PF et fidèle de Lungu, en référence à Sampa, qui était un neveu du fondateur du PF, Michael Sata.

Selon Makebi Zulu, l’avocat de Lungu, toutes les propriétés que la famille de Lungu est accusée d’avoir obtenues grâce aux produits du crime ont été achetées par l’ancien président pour sa famille. L’ex-chef d’État a déclaré, toujours à la VOA, qu’avant de devenir législateur, il était l’un des meilleurs avocats de Zambie, ce qui a été à l’origine de sa richesse, et qu’il a fait entrer ses enfants dans le métier. Cependant, ses déclarations officielles semblent être différentes.

Une fortune multipliée par dix après son premier mandat

Après avoir été élu député du district tentaculaire de Chawama à Lusaka en 2011, Lungu a déclaré publiquement que ses biens et ses liquidités s’élevaient à un total de 3 millions de kwachas (113 000 dollars). Ce chiffre a grimpé de manière exponentielle à 27 millions de kwachas (1,025 million de dollars) lorsqu’il a cherché à se faire réélire à la présidence en 2016, après avoir remporté son premier mandat présidentiel. Ce grand écart dans la fortune de Lungu, qui a coïncidé avec le moment où l’économie zambienne a commencé à vaciller, a mis en colère de nombreux citoyens qui l’ont accusé d’avoir accumulé sa richesse de manière frauduleuse. Lors des élections générales de 2021, il a refusé de déclarer ses biens. Selon la Constitution zambienne, il ne peut être poursuivi pour les crimes qu’il aurait pu commettre au cours de son mandat.

Les enfants et l’épouse de Lungu « n’ont pas besoin d’avocats sophistiqués pour prouver leur source de richesse », assure Wynter Kabimba, ancien secrétaire général du PF. « Même moi, si vous me demandez comment j’ai acheté ma maison sur Independence Avenue, je vous montrerai tous les papiers, c’est aussi simple que cela », a-t-il expliqué à The Africa Report.

Austérité et élections anticipées

Après avoir pris le pouvoir en 2021, Hakainde Hichilema a imposé des mesures d’austérité strictes pour rétablir une certaine orthodoxie économique, l’une de ses principales promesses électorales. Ces mesures ont triplé les prix de l’énergie, ce qui a déclenché les difficultés économiques actuelles, dues en grande partie au retard pris dans la restructuration de la dette. Edgar Lungu, qui a mis l’économie zambienne à genoux, est devenu le plus grand critique de l’incapacité de Hichilema à sauver les Zambiens des douleurs « économiques atroces ».

Bien qu’il soit lié à plusieurs affaires de corruption, Lungu bénéficie toujours d’une immunité de poursuites, qui ne peut être levée qu’avec l’approbation des deux tiers des membres du Parlement. Or, l’UPND ne contrôle le Parlement zambien qu’avec une majorité de 50,9 %. Cela n’a pas empêché Hichilema de déclarer aux journalistes, à Lusaka, le 5 mai, que Lungu pourrait être arrêté par la police s’il transgressait la loi. « Vous ne pouvez pas utiliser votre statut d’ancien président pour enfreindre la loi… vous n’êtes pas couvert par l’immunité. Ceux qui demandent que l’immunité [de Lungu] soit supprimée, ce n’est pas un problème – laissez-lui son immunité, mais s’il continue à enfreindre la loi, il sera bientôt arrêté, c’est simple », a déclaré Hichilema.

Pendant que l’aggravation des conditions économiques suscite le mécontentement de la population, en particulier dans la région de Lusaka et dans la province de Copperbelt, Hichilema doit aussi faire face à la désapprobation de l’Église catholique et de la plupart des partis politiques affiliés aux régions clés des provinces de l’Est et du Nord. Lungu a profité des tribunes de l’Église et d’autres rassemblements pour redorer son blason politique, ce qui, semble-t-il, continue d’inquiéter Hichilema. Selon le ministre du Commerce, Chipoka Mulenga, l’appel de Lungu à des élections anticipées en Zambie le 21 mai, un jour après que la RDC voisine a annoncé qu’elle avait déjoué un coup d’État militaire, « ne peut être pris à la légère ».

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