Élections européennes : le Maroc s’interroge sur ses futures relations avec Bruxelles

La progression de l’extrême droite dans le Vieux Continent interpelle les partenaires stratégiques de l’UE. Bien au-delà du dossier migratoire, c’est le sort des accords sur la pêche et l’agriculture qui préoccupe Rabat.

Face à la diminution des stocks de poissons en Méditerranée, les pêcheurs marocains en difficulté espèrent se tourner vers l’aquaculture pour assurer leur avenir. Et redoutent une remise en cause des accords avec l’Europe sur le sujet. © FADEL SENNA/AFP

Face à la diminution des stocks de poissons en Méditerranée, les pêcheurs marocains en difficulté espèrent se tourner vers l’aquaculture pour assurer leur avenir. Et redoutent une remise en cause des accords avec l’Europe sur le sujet. © FADEL SENNA/AFP

Publié le 12 juin 2024 Lecture : 4 minutes.

Toute la presse en fait ses gros titres : l’extrême droite sort gagnante des élections au Parlement européen qui ont eu lieu du 6 au 9 juin dans les 27 pays de l’Union. Sur 720 sièges, le groupe Identité et Démocratie, qui rassemble des partis dits « nationalistes », s’en est adjugé 58. En comptant les élus du groupe des Conservateurs et Réformistes (73 députés), l’extrême droite totalise désormais 131 eurodéputés.

Certes, le Parti populaire européen (PPE), soit la droite classique, conserve la majorité (184 sièges), devant les sociodémocrates (139). Mais le récent scrutin pourrait avoir une influence dans plusieurs domaines qui dépassent largement les frontières du continent.

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Vue du côté sud de la Méditerranée, la recomposition du Parlement de Strasbourg pourrait avoir un impact sur divers aspects de la politique internationale de l’UE, y compris ses relations avec ses partenaires extérieurs, au premier rang desquels le Maroc. Son économie, fortement intégrée au marché européen, et sa coopération en matière de sécurité et de migration pourraient être affectées par les nouvelles priorités du Parlement récemment élu.

« Ça ne va pas peser considérablement sur le fonctionnement en tant que tel », estime Zakaria Abouddahab, professeur à l’Université Mohammed V de Rabat. Et pour cause, « les eurodéputés, quelle que soit leur couleur, doivent se fier aux chartes fondatrices, aux traités sur le fonctionnement de l’UE, au droit fondamental primaire, au droit dérivé, et à la pratique subséquente », justifie ce spécialiste en droit public et en sciences politiques.

Pour le chercheur associé à l’Institut royal des études stratégiques, rien n’est garanti a priori. L’aspect conjoncturel pèse dans l’équation Maroc-UE et la question se porte désormais sur les jeux des alliances intraeuropéennes. Sous cet angle, le royaume « s’attend à ce qu’il y ait une meilleure compréhension de ses attentes, et en même temps à une lucidité par rapport aux décisions potentielles à prendre », énonce Abouddahab.

Le professeur-chercheur estime néanmoins que, du point de vue du Maroc, c’est la décision de la Cour de justice de l’UE (CJUE, sur la légalité des accords conclus entre Rabat et Bruxelles sur la pêche et l’agriculture) qui conditionne avant toute chose les prochaines décisions du Parlement. Un procès ouvert le 23 octobre 2023. « Si la cour adopte ces accords, je pense que les groupes parlementaires les valideront à leur tour en tant que tels », prévoit l’expert. Autrement, les alliances formées au sein de l’hémicycle seront à même de dessiner les contours d’un nouveau partenariat Rabat-Bruxelles.

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Souci de bon voisinage Nord-Sud

Professeur de sciences politiques à l’université Hassan II de Mohammedia, Najib Mouhtadi souligne lui aussi que ces élections ne devraient pas remettre en question l’essentiel des relations entre Rabat et Bruxelles, d’autant que celles-ci ne sont pas au beau fixe. Pour le Maroc, « il faut dire que l’accord d’association avec l’UE est globalement en faveur de l’Europe et s’inscrit dans la continuité de l’échange inégal des rapports Nord-Sud », souligne le politologue, qui entrevoyait des signes de rétraction bien avant le scrutin. « Un travail de sape qui vient surtout des milieux socialisants et populistes », commente-t-il.

Par contraste avec les relations que le Maroc a tissées en Afrique ces dernières années, « un bras de fer s’était installé au Parlement européen – caisse de résonance des groupes d’intérêts économiques », signale Najib Mouhtadi. « Il n’empêche que les instances dirigeantes de l’UE gardent constamment en vue l’importance de rapports équilibrés avec les pays sud-méditerranéens, dont le Maroc. »

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En définitive, le chef du département Droit public et Sciences politiques de la Faculté de droit de Mohammedia rappelle l’existence de gros intérêts qui font que la sagesse finit toujours par l’emporter. Du reste, « la nouvelle géopolitique du monde donne plus de discernement aux nouveaux eurodéputés, plus particulièrement quand il s’agit des rapports avec les pays africains ».

L’accord de pêche Maroc-UE est intimement lié à la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental. Dans ce dossier, Najib Mouhtadi considère qu’en Europe, « les élus feignent d’ignorer qu’il existe au Maroc un ras-le-bol populaire à l’égard du renouvellement même de cet accord pour diverses raisons, dont le sentiment que s’exerce dans ce cadre un chantage inadmissible ». Il en veut pour preuve le fait que la société civile marocaine plaide notamment pour la redéfinition des choix économiques et de coopération de Rabat.

Sur le plan domestique, « les armateurs nationaux se sentent eux-mêmes à l’étroit et ne rechignent pas à l’idée d’exploiter seuls ces richesses halieutiques, d’autant que le Maroc a également des accords de pêche avec la Russie et le Japon », indique le politologue.

Si la CJUE prononçait une sentence en défaveur du Maroc, « c’est l’Espagne qui pâtirait de cet état de fait, car sa flotte est majoritaire dans les eaux marocaines », anticipe notre interlocuteur qui, dans ce cas de figure, n’exclut pas une entente bilatérale entre Rabat et Madrid.

L’accord agricole dans « un package difficile à remettre à plat »

Constamment contrarié dans ses exportations agricoles et, depuis peu, dans celles de certains produits industriels comme les voitures, le Maroc « ne souffrirait pas outre mesure » d’une remise en question de son accord agricole avec l’UE, juge Mouhtadi, pour qui Rabat a pris soin de diversifier ses partenaires économiques et commerciaux ainsi que ses marchés extérieurs.

En tout état de cause, le professeur est convaincu que l’Europe n’a pas toute latitude pour réviser cet accord ou en limiter la territorialité. « Il fait partie d’un package difficile à remettre à plat », insiste le politologue. Il en va d’un rapport séculaire. « Si les eurodéputés fraîchement élus réagissent parfois sous le coup de l’actualité, leurs gouvernements ont des registres qui plongent dans les relations avec le royaume au moins depuis le XVIIe siècle, et savent de quoi il retourne », observe Najib Mouhtadi.

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