Présidentielle en Algérie : Saida Neghza, la candidate qu’on n’attendait pas

En 2023, la dirigeante de l’une des principales organisations patronales du pays s’était exposée en s’attaquant au comité interministériel accusé d’exercer une répression exagérée sur les entreprises. Discrète depuis lors, elle revient par la grande porte en se déclarant candidate à la présidentielle du 7 septembre.

La présidente de la CGEA et candidate à l’élection présidentielle algérienne, Saida Neghza. © Facebook Saida Neghza

La présidente de la CGEA et candidate à l’élection présidentielle algérienne, Saida Neghza. © Facebook Saida Neghza

Publié le 12 juin 2024 Lecture : 5 minutes.

Le président algérien Abdelmadjid Tebboune. © Billel Bensalem / APP/NurPhoto via AFP.
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Présidentielle en Algérie : qui face à Abdelmadjid Tebboune ?

L’élection algérienne, avancée au 7 septembre, devrait logiquement se solder par une victoire du chef de l’État sortant et de son « Algérie nouvelle ». En dépit de ce faible suspense, les candidats et candidates ne manquent pas, et dénoncent les conditions de la campagne et les restrictions de liberté à l’encontre de l’opposition.

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À la tête de la Confédération générale des entreprises algériennes (CGEA), l’une des plus importantes organisations patronales du pays, Saida Neghza s’était faite discrète depuis sa prise de parole publique sur les problèmes que les chefs d’entreprise algériens rencontraient alors avec un comité ministériel mis en place pour les contrôler. Elle vient pourtant de faire un retour fracassant dans le débat public en annonçant, lundi 10 juin à Alger, sa candidature au scrutin présidentiel du 7 septembre. Ce qui fait d’elle la troisième femme à se lancer dans la course, après Zoubida Assoul, présidente de l’Union pour le changement et le progrès (UCP), et Louisa Hanoune, secrétaire générale du Parti des travailleurs (PT). Et la seule sans étiquette partisane.

La dernière fois que celle qui préside depuis 2006 la CGEA a fait parler d’elle en Algérie, c’était donc en septembre 2023, lorsqu’elle dénonçait, dans une lettre au président Abdelmadjid Tebboune, les obstacles rencontrés par les chefs d’entreprise. Ces derniers se plaignaient, selon elle, « de subir des amendes infligées par un comité formé de cinq ministres sans même avoir le droit d’accéder à leurs dossiers ».

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Contrainte à l’exil

Par cette initiative, la femme d’affaires s’attendait à obtenir un arbitrage du chef de l’État. La réaction exprimée trois jours plus tard dans un article de l’agence officielle Algérie Presse Service (APS) n’a pas été celle espérée. Il lui a été reproché de diffuser massivement sa lettre ouverte sur les réseaux sociaux, bafouant ainsi « les usages d’une correspondance adressée à la présidence de la République ».

L’article de l’agence accusait en outre Saida Neghza d’être « le porte-voix d’intérêts qu’elle est prétendument censée combattre, ceux de l’ordre ancien, d’une issaba dont le sport favori n’était [pas] la pratique du golf mais détourner l’argent du peuple ». Et si l’activité du comité ministériel a bel et bien été gelée, la présidence a depuis préféré d’autres interlocuteurs au sein du patronat.

C’est d’ailleurs Kamel Moula, président du Conseil du renouveau économique algérien (CREA), qui a eu le privilège d’annoncer la levée du contrôle exercé par le comité interministériel, et ce 48 heures après l’audience accordée à El Mouradia à la délégation du CREA, en présence du Premier ministre et plusieurs membres du gouvernement. Quant à Saida Neghza, elle avait alors jugé bon de se mettre à l’abri en quittant le pays. Ses publications sur les réseaux sociaux laissaient supposer qu’elle s’employait exclusivement à renforcer sa stature sur le continent africain et le monde arabe, loin des risques de représailles.

Appui médiatique

Faut-il voir dans son annonce du 10 juin un nouveau retournement de situation en cette période électorale ? Tout semble l’indiquer. À commencer par la forte présence des médias – y compris des chaînes de télévisions étatiques – à sa cérémonie d’annonce de candidature. Pas moins de treize micros de télévision lui cachaient presque la moitié du visage. Par contraste, on se souvient que lorsque, début mars, l’opposante et magistrate Zoubida Assoul officialisait son engagement à postuler pour la magistrature suprême, aucun journaliste n’avait fait le déplacement.

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La démonstration médiatique laisse à penser qu’il existe, en haut lieu, une volonté de booster la candidature de Saida Neghza. Entrée modestement dans les affaires en 1990 avec une entreprise de torréfaction de café, celle-ci a ensuite bâti l’essentiel de sa carrière à l’ombre des sphères du pouvoir. Sans doute pense-t-on aussi que la candidature de plusieurs femmes donnera une dimension différente au prochain scrutin. Jusqu’à présent, seule Louisa Hanoune a brigué la présidence en Algérie, et ce à trois reprises (2004, 2009 et 2014).

Femme d’affaires

Pour la nouvelle candidate, le compte à rebours a déjà commencé. Elle a moins de quarante jours pour recueillir les 600 signatures d’élus ou de 50 000 électeurs obligatoires pour valider son dossier auprès de l’Autorité nationale indépendante des élections. Difficile mais pas impossible pour une femme d’affaires qui ne manque pas de ressources : si elle a commencé modestement avec un petit commerce, elle a très vite enchaîné avec des investissements dans les travaux publics et l’hydraulique, lesquels ont abouti à la création de la SARL Soralcof en 2004. Avec l’acquisition des gisements miniers en 2008, l’entreprise est devenue un groupe divisé en plusieurs filiales, y compris dans le secteur du bâtiment.

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En 2007, elle s’est engagée, en partenariat avec une entreprise espagnole, à réaliser 700 logements à Oran et Ouargla pour la gendarmerie nationale. Problème : juste après l’attribution du marché, les Espagnols se désistent. Sous la pression de la charge, elle est hospitalisée pendant 24 jours. En pleine convalescence, elle reprend le travail et vend ses biens personnels pour assurer la poursuite du chantier. Mais ne s’en sort que grâce à un coup de pouce du Premier ministre de l’époque, Ahmed Ouyahia.

Celle qui avait à peine dix ans quand elle a commencé à travailler dans le restaurant de son père à Constantine, ville où elle a grandi, a été sacrée, en septembre 2022 à Genève, sous le haut patronage de l’ONU, présidente du club des meilleures femmes d’affaires d’Afrique. Comme une image du chemin parcouru. En février 2023, elle est classée parmi les cinquante femmes qui comptent sur le continent.

Franc-parler

Mais c’est surtout à travers ses nombreux bras de fer avec Ali Haddad que les Algériens ont découvert Saida Neghza. À l’époque où le puissant était encore l’un des soutiens indéfectibles d’Abdelaziz Bouteflika, elle ne ratait pas une occasion de polémiquer avec lui. En 2015 notamment, l’homme d’affaires – qui purge actuellement une peine de prison dans le cadre de plusieurs affaires de corruption et passe-droits – avait tenu des propos malheureux, sur le ton de la plaisanterie, lorsque, invitant des contacts chinois à se rendre en Algérie, il avait cru bon d’ajouter « où il y a beaucoup de femmes ». « Je me sens humiliée, ainsi que toutes les femmes », avait réagi Saida Neghza, qui avait appelé le président Bouteflika à intervenir pour mettre fin aux agissements de son adversaire. Non sans interroger au passage Ali Haddad sur l’origine de son immense fortune.

Trois ans plus tard, elle refuse également d’appuyer la cabale – orchestrée par Ali Haddad – contre Abdelmadjid Tebboune, qui coûte à celui-ci son poste de Premier ministre, trois mois seulement après sa nomination. En 2021, devenu président de la République, il ne manque pas de renvoyer l’ascenseur à Saida Neghza en la recevant en grande pompe à la présidence. Officiellement pour lui remettre un rapport détaillé sur certaines régions défavorisées qu’elle avait visitées dans le cadre de sa tournée nationale.

Connue pour son franc-parler, Neghza entretient aussi une certaine proximité avec l’homme d’affaires Issad Rebrab, qu’elle a défendu alors qu’il se trouve en plein tourmente administrative et judiciaire. En visite en avril 2021 à l’usine du groupe privé à Béjaïa, elle déclarait que le groupe Cevital, en créant de la richesse et de l’emploi, « ne travaille pas contre le pays ou contre le président ». Et concluait : « Il faut créer 1 000 Rebrab, et non pas 1 000 Haddad. »

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