Vivre à Marrakech et voter Bardella

Au Maroc, la performance inattendue de l’extrême droite française dans quelques villes du royaume lors des élections européennes laisse perplexe l’écrivain marocain Fouad Laroui.

Devant le consulat de France à Marrakech. © FADEL SENNA/AFP

Devant le consulat de France à Marrakech. © FADEL SENNA/AFP

Fouad Laroui © DR

Publié le 13 juin 2024 Lecture : 3 minutes.

Quand les Français votent, ça ne regarde qu’eux, en principe. N’ayant pas la nationalité française, je me suis toujours interdit de porter en public le moindre jugement, positif ou négatif, sur les résultats des élections législatives, présidentielles ou européennes qui se déroulent dans l’Hexagone – ne parlons même pas de celles qui concernent les cantons ou les prud’hommes­: ce serait proprement surréaliste, à vrai dire, qu’un citoyen de Rabat, de Dakar ou de Bamako ait un avis là-dessus.

Cracher dans la soupe

Pour autant, ce devoir de réserve ne tient plus quand il s’agit du vote des Français de l’étranger. Tout citoyen marocain a quand même le droit de s’étonner et de s’interroger quand il constate que 23 % des Français qui habitent à Agadir et ont voté dimanche dernier ont mis dans l’urne le bulletin du Front… pardon, du Rassemblement national. Et ils étaient 16 % à faire ce choix à Marrakech.

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Qu’on plébiscite le RN à Vierzon ou à Vesoul, ça ne me regarde pas. Mais à Agadir ? Mais à Marrakech? Agadir, mes parents l’ont quittée quelques mois avant ma naissance, mon frère et ma sœur y avaient vu le jour, c’est quasiment chez moi. Marrakech, c’est encore plus « chez moi »: j’y habite. On comprendra que les 23 % et les 16 % me restent en travers de la gorge depuis dimanche…

C’est comme si un hôte que j’aurais accueilli chez moi, qui aurait avalé mon potage, mangé mon pain et caressé mon chat, s’avisait ensuite de roter puis de partir dans un long dégagement xénophobe – ce qui s’appelle cracher dans la soupe…

« Demain, on rase gratis »

On m’objectera qu’on peut voter pour le RN pour de bonnes raisons, sans être xénophobe –par exemple pour ses idées dans le domaine économique. La bonne blague… Il se trouve que j’ai lu attentivement le programme de ce parti et que je suis économiste.

Dans ce domaine, il n’y a rien de sérieux, sinon des déclinaisons diverses de l’increvable « demain, on rase gratis ». Les prêts de 100 000 euros à taux zéro, la baisse de la TVA à 5,5 % pour les carburants, l’électricité, le gaz et le fioul domestique ainsi que d’autres mesures populistes, tout ça entraînerait une explosion des déficits, on irait allègrement au-delà des 100 milliards d’euros, avec une nouvelle dégradation de la note souveraine de la France, une hausse des taux… Un terrifiant cercle vicieux, donc. Quant à revenir à la retraite à soixante ans sans expliquer comment on la financera, ça relève de la pensée magique ou de l’esbroufe – après tout, si on fait abstraction de la nécessité de la financer, pourquoi pas la retraite à trente ans ?

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Le programme économique du RN, soyons sérieux, ce n’est qu’une feuille de vigne cachant l’éternelle obsession des Le Pen : la détestation de l’Autre, surtout quand il n’a pas le teint clair et qu’il est un peu trop musulman. Même son rejet de l’Union européenne n’a d’autre raison que la prétention de s’attaquer à la question de l’immigration sans la censure de Bruxelles. Il n’y a que ça qui les intéresse.

« Faire suer le burnous »

Et c’est pourquoi j’aimerais bien me colleter un de ces résidents de Marrakech qui ont voté pour la famille Le Pen et ses faux-nez afin qu’il m’explique comment on peut vivre parmi les étrangers tout en envoyant à Bruxelles – en attendant Matignon… – ceux qui fondent leur carrière sur le rejet de l’étranger. Il y a là quelque chose qui m’échappe.

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À moins que ces gens-là ne soient nostalgiques du Protectorat et des colonies, de la belle époque où l’on « faisait suer le burnous » ? Eh bien, ils se fourrent le doigt dans l’œil: ce n’est pas en ruinant la France par une politique économique démentielle qu’on ressuscitera sa splendeur d’Empire colonial…

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