Emmerson Mnangagwa tend la main à la Russie… et joue avec le feu

La tension est montée d’un cran entre le Zimbabwe et la Zambie depuis qu’Emmerson Mnangagwa a brandi la carte russe contre la protection américaine dont jouit, selon lui, Lusaka.

Rencontre entre le président russe, Vladimir Poutine, et son homologue zimbabwéen, Emmerson Mnangagwa, en marge du 27e Forum économique international de Saint-Pétersbourg, le 6 juin 2024. © Vladimir Smirnov/SPUTNIK/SIPA

Rencontre entre le président russe, Vladimir Poutine, et son homologue zimbabwéen, Emmerson Mnangagwa, en marge du 27e Forum économique international de Saint-Pétersbourg, le 6 juin 2024. © Vladimir Smirnov/SPUTNIK/SIPA

Publié le 20 juin 2024 Lecture : 4 minutes.

Est-ce un effet de cet isolement, qu’il a confessé en marge du Forum économique international de Saint-Pétersbourg le 5 juin ? Lors d’une rencontre avec le président russe Vladimir Poutine, le Zimbabwéen Emmerson Mnangagwa a admis se sentir « seul » face aux relations cordiales que le Malawi et la Zambie entretiennent avec les États-Unis. Et de poursuivre en accusant ces deux pays d’autoriser Washington à installer des bases militaires qui menaceront la sécurité de la région. Une confidence pour le moins imprudente, tant elle est susceptible d’aggraver les relations entre les trois pays.

« Signe de faiblesse »

La Zambie a nié à plusieurs reprises l’existence d’une base militaire américaine sur son sol, tout en reconnaissant une coopération avec les États-Unis. En 2023, le commandement américain pour l’Afrique (Africom) a lui aussi fait état de cette coopération entre Lusaka et Washington. Le Malawi a également des liens avec l’armée américaine.

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Emmerson Mnangagwa s’est engagé sur un chemin périlleux. Rechercher publiquement un soutien militaire auprès de la Russie pour contrebalancer l’influence des États-Unis dans la région pourrait accroître les tensions entre les différentes parties, explique l’analyste politique Daffield Chidochemoyo Sandengu. « Exprimer ses sentiments de solitude et de vulnérabilité à un dirigeant étranger peut être perçu comme un signe de faiblesse, et peut enhardir ses adversaires. Par ailleurs, accepter le soutien militaire de la Russie peut entraîner une perte de souveraineté du Zimbabwe. »

Les États-Unis n’ont pas de bases au Malawi et en Zambie, affirme lui aussi Wonderful Mkhutche, politologue basé au Malawi. « Mnangagwa a fait preuve d’imprudence en tendant la main à la Russie sur la base d’éléments non factuels », selon lui.

Le porte-parole du président zimbabwéen, George Charamba, a publié un message sur X indiquant que les deux chefs d’État pensaient que la réunion était privée, alors qu’une vidéo officielle de la rencontre montre un certain nombre de personnes dans la pièce et que le gouvernement russe a diffusé la transcription de la discussion.

« Une gaffe diplomatique »

Pour Michael Jana, maître de conférences au département d’études politiques de l’université de Witwatersrand, à Johannesburg, il n’est pas étonnant que le sujet ait été abordé entre les deux hommes. « Dans les relations internationales, il est normal que des alliés soulèvent ce genre de questions. Ce qui est surprenant ici, c’est que l’échange entre Mnangagwa et Poutine soit rendu public, d’autant que le Zimbabwe, la Zambie et le Malawi sont des alliés au sein de la Communauté de développement de l’Afrique australe [SADC], explique l’universitaire. Je ne sais pas si le président Mnangagwa savait que cet échange serait rendu public. Je considère tout cet épisode comme une gaffe diplomatique. »

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Par le passé, le Zimbabwe et la Zambie ont entretenu des relations cordiales, notamment sous la présidence de Kenneth Kaunda, qui a accueilli des mouvements de libération pendant la lutte contre les colons britanniques.

Les relations se sont détériorées en 2021 lorsque le leader de l’opposition zambienne, Hakainde Hichilema, allié du leader de l’opposition zimbabwéenne Nelson Chamisa, a remporté les élections générales contre le président sortant Edgar Lungu, allié de Mnangagwa. La situation s’est encore aggravée en 2023 lorsque les observateurs électoraux de la SADC, dirigés par l’ancien vice-président zambien Nevers Mumba, ont déclaré que les élections du 23 août au Zimbabwe n’avaient pas respecté les normes régionales. Cette décision rare de l’organisme régional a suscité la colère de Mnangagwa et de son parti, la Zanu-PF.

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Selon l’analyste politique Daffield Chidochemoyo Sandengu, la présidence d’Hakainde Hichilema a représenté un tournant dans la politique étrangère zambienne. « Le changement de direction en Zambie a contribué à une réévaluation des relations avec le Zimbabwe. Les récents commentaires de Mnangagwa sur le financement du secteur de la sécurité zambienne par les États-Unis ont encore tendu les relations. »

Les élites de la Zanu-PF qualifient Hichilema de marionnette occidentale, une attaque à laquelle le président zambien n’a jamais répondu. Les médias zimbabwéens ont rapporté que l’ambassade de Zambie à Harare avait pris contact avec le gouvernement de Mnangagwa au sujet des dernières frictions diplomatiques.

Recherche aide désespérément

Selon Chimwemwe Tsitsi, politologue basé à Blantyre, cette situation est liée au fait que certains États africains recherchent désespérément de l’aide pour financer leur développement. « À ma connaissance, le Malawi fait partie des États non alignés et observe la neutralité lorsqu’il s’agit de conflits interétatiques. L’année dernière, des représentants de son gouvernement se sont également rendus en Russie pour solliciter son soutien en vue de l’établissement d’une centrale nucléaire afin d’augmenter sa production d’électricité », ajoute-t-il.

Victor Chipofya, analyste politique basé au Malawi, estime que l’Afrique doit dépasser la géopolitique de l’Ouest et de l’Est. « Nous devons réfléchir à la meilleure façon d’avancer par nous-mêmes. Le Zimbabwe ne doit pas se sentir seul. Nous devons commencer à nous demander pourquoi nous avons la SADC. »

« Sommes-nous en train de donner raison à Julius Malema [leader sud-africain des Combattants pour la liberté économique] qui a déclaré que la SADC n’était qu’un club pour les élites ? Ou sommes-nous en train de dire que c’est ainsi que nous allons aller de l’avant, en tant que bloc, et pour parvenir à nos fins ? Voilà quelques-unes des questions que nous devons nous poser », poursuit l’analyste.

Les tensions entre la Zambie et le Zimbabwe risquent encore de s’aggraver en août, lors du sommet de la SADC qui se tiendra à Harare. Emmerson Mnangagwa en prendra la présidence, et les observateurs pensent qu’il va mobiliser les États membres pour isoler Hakainde Hichilema. Y parviendra-t-il ? . « Même s’il voulait le faire, les autres membres ne lui en laisseront pas la possibilité », veut croire Ronald Chipaike, expert zimbabwéen en relations internationales.

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