Israël-Liban : demain la guerre ?

La guerre d’Israël contre le Hamas va-t-elle se poursuivre par un conflit ouvert avec le Hezbollah libanais ? Les affrontements actuels semblent le laisser penser, mais les parties en présence – et leurs soutiens étrangers – ont a priori trop à perdre pour laisser la situation déraper.

Région de la Haute Galilée, dans le nord d’Israël, le 4 juillet 2024. © Photo Jalaa MAREY / AFP

Région de la Haute Galilée, dans le nord d’Israël, le 4 juillet 2024. © Photo Jalaa MAREY / AFP

ProfilAuteur_LaurentDeSaintPerier

Publié le 9 juillet 2024 Lecture : 8 minutes.

Les 3 et 4 juillet, une pluie de feu s’est abattue sur le Nord d’Israël. En représailles à l’assassinat, dans une frappe israélienne, du chef de sa division drones Muhammad Nimah Nasser, le Hezbollah libanais a tiré plus de 200 roquettes et drones sur des cibles essentiellement militaires en Galilée. La plupart des projectiles ont été interceptés par le Dôme de fer, mais l’attaque a été l’une des plus massives menées par la milice libanaise chiite depuis qu’elle a lié son destin à celui des Palestiniens de Gaza, soumis à la guerre totale que l’armée israélienne mène contre le Hamas suite aux massacres terroristes du 7 octobre 2023.

Depuis cette date, la milice libanaise a tiré des centaines de roquettes sur le Nord d’Israël, qui réplique par des bombardements intensifs sur des localités du Liban Sud, le « terrain de jeu » du Hezbollah dans son interminable partie d’échec avec l’État hébreu. Assiste-t-on à l’emballement tant redouté ? À l’escalade vers l’embrasement qui conduirait à la conflagration générale de la poudrière moyen-orientale augurée sans cesse ?

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L’extension de la guerre au Liban sera “l’étincelle qui mettra le feu aux poudres (…). C’est potentiellement apocalyptique”, s’alarmait dès le 26 juin Martin Griffiths, le chef de la mission humanitaire de l’ONU. Le même jour, le ministre israélien de la Défense Yoav Gallant menaçait, depuis Washington, de ramener le pays du Cèdre “à l’Âge de pierre”, faisant écho à ses collègues gouvernementaux qui manient à l’encontre du mouvement chiite libanais la rhétorique déployée depuis octobre contre le Hamas. À l’image du ministre des Affaires étrangères Israël Katz, déclarant le 18 juin, que “dans une guerre totale, le Hezbollah sera détruit et le Liban sera touché durement”, ou le ministre de la Sécurité nationale Itamar Ben Gvir, répétant, le 4 juin : “La tâche des Forces israéliennes de défense (FID) est maintenant de détruire le Hezbollah”.

Imprécations auxquelles Hassan Nasrallah, l’insaisissable et tout-puissant chef du Hezbollah, a répondu en termes non moins belliqueux, promettant à Israël une guerre “sans retenue, sans règles et sans limites”, faisant luire les armes de ses 100 000 hommes prêts au combat, évoquant des incursions armées sur le territoire israélien et des frappes sur Chypre, accusée de servir de base arrière aux bombardements de Tsahal. Faisant ce jour-là la démonstration de ses capacités de renseignements, il présentait des images de drones de surveillance prises à Haïfa, loin de la frontière nord. Message reçu avec appréhension par les renseignements israéliens.

Enfin, aussi “modéré” son nouveau président soit-il, la République islamique d’Iran qui parraine prudemment le Hamas, et est la génitrice du Hezbollah, a prévenu par la voix d’un conseiller du tout-puissant Guide suprême qu’une offensive de grande ampleur contre la milice libanaise entraînerait Téhéran à la soutenir “par tous les moyens”, ajoutant toutefois que “l’expansion de la guerre ne serait dans l’intérêt de personne”, rapportait le Financial Times le 2 juillet.

Ni Israël ni le Hezbollah n’ont intérêt à la guerre

Mais pour le spectateur régulier de la scène proche-orientale, ces promesses de destruction mutuelle ont toutes les accents du psychodrame habituel où les postures de matamores visent surtout à intimider l’ennemi et à rallier les publics. À Paris, le politologue et directeur du Centre arabe de recherches et d’études politiques (CAREP) Salam Kawakibi ne se montre guère convaincu : « Une telle guerre n’aura pas lieu. Le Hezbollah dispose d’une force de frappe bien supérieure à celle du Hamas, avec des stocks considérables de missiles et une expérience de la guerre acquise pendant des années en Syrie, mais aussi en Irak et au Yémen. Lorsqu’on voit le Hamas continuer de résister après neuf mois de combats très intenses, on imagine mal l’armée israélienne déjà éprouvée et à court de munitions aller se frotter dans la foulée à cet ennemi autrement plus dangereux. »

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« Par ailleurs, poursuit le chercheur, le parrain américain d’Israël s’oppose à l’ouverture d’un second conflit où il serait inévitablement entraîné et qui pourrait s’étendre à toute la région. Le Hezbollah, de son côté, ne sert que ses intérêts, malgré ses démonstrations pro-palestiniennes qui lui permettent surtout de réhabiliter son image écornée dans l’opinion arabe. Ayant aujourd’hui le quasi contrôle du Liban, il n’est pas du tout dans son intérêt de mettre cette position de force en jeu dans une guerre de grande ampleur. Enfin, l’Iran comme la Syrie n’en veulent pas non plus car l’Occident suivrait Israël sur ce nouveau front, ce qui pourrait signer la fin du régime de Damas. Américains et Iraniens sont d’ailleurs – officieusement – en négociations directes pour empêcher l’escalade. »

Le Hezbollah, aussi, sait négocier. En octobre 2022, le mouvement politique, militaire et religieux qui tient l’État libanais en son pouvoir a ainsi donné, non sans appétit, son feu vert à Beyrouth pour conclure avec le gouvernement israélien très nationaliste, un accord de partage du gaz offshore frontalier. Le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, qui s’est gardé de mener des attaques d’ampleur tout en manifestant sa solidarité avec le Hamas par des salves sporadiques, ne souhaite que l’aboutissement des négociations pour un cessez-le-feu entre le Hamas et Israël. Le 5 juillet, l’agence Reuters citait un représentant du Hezbollah déclarant que le mouvement mettrait fin à ses attaques dès qu’un cessez-le-feu serait agréé à Gaza, alors qu’un accord accepté par le Hamas était sur le point d’être trouvé. C’était avant que le Premier ministre israélien ne durcisse à nouveau le ton et ses conditions.

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Directeur du Centre Issam Fares d’études politiques de l’Université américaine de Beyrouth, Joseph Bahout chiffre la probabilité d’une guerre totale entre Israël et le Hezbollah à trois sur dix. « On assiste sur ce front à une sorte de duel à fleurets mouchetés, avec quelques pointes de tension qui restent sous le seuil du dérapage total, explique-t-il. Mais un coup de trop, comme le bombardement d’une école en Israël ou celui d’habitations dans la banlieue sud de Beyrouth provoquant un massacre de civils, pourrait déclencher la bascule. La question qui se pose alors est celle de la capacité des États-Unis à retenir Israël. Des analystes font aussi l’hypothèse que le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou aura besoin, pour se maintenir au pouvoir et échapper à une multitudes de poursuites, de faire perdurer le conflit en se tournant vers le Hezbollah quand il aura réglé, à son sens, la situation à Gaza. Mais il ne survivrait pas politiquement à une catastrophe au Liban et il sait que le Hezbollah de 2024 n’est plus celui de 2006, qui avait déjà tenu l’armée israélienne en échec. »

Anéantir le Hezbollah, créer une zone tampon ou négocier ?

En juillet 2006, en représailles à l’enlèvement de soldats israéliens par la milice libanaise, le Likoud, déjà au pouvoir à Tel Aviv, avait lancé l’armée dans une guerre totale de 33 jours qui avait été un fléau destructeur pour le Liban autant qu’un camouflet pour Israël. Le conflit avait alors été réglé par des négociations sous l’égide de l’ONU, conclues par l’adoption de la résolution 1701. L’accord prévoit, entre autres, le retrait du Hezbollah d’une trentaine de kilomètres au nord de la frontière ainsi que la cessation totale des hostilités et l’extension de l’autorité du gouvernement libanais sur l’ensemble du territoire. Les deux parties avaient accepté la résolution mais ne l’ont pas tout à fait respectée : Le Hezbollah n’a jamais retiré ses combattants de la zone frontalière et Israël a continué à survoler régulièrement le Liban, violant ainsi  son espace aérien souverain.

L’enjeu pour les autorités israéliennes est d’éliminer la menace dans la zone frontalière à long terme, afin de permettre aux habitants de revenir vivre dans une zone sécurisée. À Jérusalem, les faucons les plus zélés estiment qu’aujourd’hui la configuration est la bonne pour, non pas repousser la menace mais l’affaiblir le plus possible, sinon la détruire, dans une guerre totale. Des stratèges plus réalistes préconisent de créer l’indispensable zone tampon par des bombardements massifs qui forceraient le Hezbollah à se retirer des trente kilomètres et l’empêcheraient d’y revenir. La solution diplomatique est celle que l’émissaire américain Amos Hochstein ne cesse de promouvoir depuis le début de la crise à Gaza, proposant, pour empêcher toute escalade, que le Hezbollah se retire à une dizaine de kilomètres de la frontière. Ce que le mouvement libanais refuse.

Entre une guerre potentiellement catastrophique pour les deux pays, des bombardements apocalyptiques mais localisés aux résultats incertains et le blocage diplomatique, aucune voie ne semble propre à résoudre durablement le problème de sécurité d’Israël dans cette zone. À Beyrouth, on retient son souffle en tentant de vivre aussi normalement que possible, témoigne Joseph Bahout : « Le Liban vit en ce moment une espèce de Drôle de guerre comme la France en 1940, avec un vrai conflit très localisé à la frontière sud qui a entraîné côté libanais d’énormes dégâts estimés à 1,5-2 milliards de dollars, et a déplacé de 60 à 80 000 personnes de part et d’autres de la frontière. Dans le reste du pays, la population est partagée, comme elle en a trop l’habitude depuis des décennies, entre l’angoisse et l’insouciance, le flot des rumeurs et l’incertitude de ce qu’il se passe réellement. »

La population libanaise, poursuit l’universitaire, « s’est aussi partagée elle-même sur ses vieilles lignes de fractures communautaires alors que l’opinion générale, au début du conflit qui a éclaté le 7 octobre, soutenait massivement les Palestiniens. Beaucoup se désolidarisent aujourd’hui face aux menaces d’une guerre totale “qui n’est pas la nôtre”, à l’image du chrétien et partenaire politique du Hezbollah Gebran Bassil qui a déclaré refuser de se faire commander par Yahya Sinouar [le chef militaire du Hamas] depuis le fond de son tunnel à Gaza. Dans une autre dynamique, la rue sunnite, hier très hostile au Hezbollah chiite engagé auprès d’Assad, clame aujourd’hui sa solidarité avec la résistance à Israël qu’il incarne. La pire chose pour le Liban, déjà sans direction politique ni État, à l’économie sinistrée, serait qu’une guerre totale d’Israël contre le Hezbollah pousse certaines factions libanaises à tenter de se dresser contre le Hezbollah, qui sera tenté à son tour de les écraser. Un scénario glauque dont nous sommes, heureusement, encore loin.”

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