Côte d’Ivoire : comment des affrontements à Abidjan ont pris une tournure politique

Le 25 juillet, une nouvelle opération de déguerpissement, cette fois à Adjamé Village, s’est soldée par des échauffourées entre les habitants et les agents du district autonome d’Abidjan, appuyés par les forces de l’ordre. L’opposition s’est emparée de l’affaire.

Publié le 30 juillet 2024 Lecture : 4 minutes.

Démolitions de maisons à la pelleteuse, tirs de gaz lacrymogènes, affrontements dans les rues… Dans la matinée du 25 juillet, le quartier d’Adjamé Village, le village ébrié traditionnel de la commune d’Adjamé, à Abidjan, semblait un champ de bataille. Depuis le 21 juillet, les autorités ivoiriennes procèdent à des opérations de « déguerpissement ».

La zone se trouve en effet sur le tracé d’une future voie, longue de 1 km, qui passera par l’avenue Reboul, l’artère principale d’Adjamé Village.

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Les riverains sont d’autant plus furieux que le déguerpissement, expliquent-ils, s’est fait sans sommation. « Les ouvriers sont arrivés à 6 heures du matin, ils ont envahi le village de Caterpillar et ont commencé à démolir sans crier gare », déplore un habitant. « Pourquoi détruire un village pour une simple route ? s’interroge Jacques N’Koumo, porte-parole du chef d’Adjamé. Nous n’étions pas prévenus, nous savions juste qu’il était prévu de débarrasser les rues obstruées par les commerces installés anarchiquement en bord de route, ou de dégager les voies pour les agrandir. Mais là, ils sont venus détruire des habitations ! Ce n’est pas normal. »

Face aux agents du district autonome d’Abidjan, soutenus par les forces de l’ordre, les habitants en colère ont tenté d’empêcher l’opération en dressant des barricades, en jetant des pierres et en incendiant une pelleteuse. Les échauffourées ont fait deux morts et plusieurs blessés, selon un bilan de la chefferie d’Adjamé Village confirmé par le directeur de l’Ageroute, la société d’État qui dépend du ministère de l’Équipement et de l’entretien routier, et qui est chargée du projet d’élargissement de l’avenue Reboul.

Une délégation du PDCI

À un an de l’élection présidentielle, ces événements n’ont pas tardé à prendre un tour politique. Les précédentes opérations, gérées par Ibrahim Cissé Bacongo, gouverneur du district autonome d’Abidjan et poids lourd du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP, au pouvoir) étaient déjà décriées, mais jamais les plaintes n’avaient pris une telle ampleur.

En l’absence de son président, Tidjane Thiam, actuellement en France où il assiste aux Jeux olympiques, le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) a envoyé une délégation auprès de la chefferie d’Adjamé Village « pour exprimer son soutien moral et fournir une aide concrète afin de soigner les personnes blessées lors de ces opérations ». Noël Akossi Bendjo, coordonnateur général des activités du parti de feu Henri Konan Bédié et lui-même issu de l’ethnie atchan, en a fait partie.

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De son côté, le Parti des peuples africains-Côte d’Ivoire (PPA-CI), de Laurent Gbagbo, a, dans un communiqué, « dénoncé et condamné l’utilisation illégale de loubards dans cette opération de déguerpissement ». Plusieurs vidéos diffusées sur les réseaux sociaux ont en effet montré des hommes en civil armés, parfois encagoulés, affrontant les riverains aux côtés des agents du district. Le PPA-CI a donc invité le gouvernement « à veiller à ce que le respect de la dignité humaine soit toujours au centre de toute action de gouvernance, surtout lorsque l’on prétend agir pour le bien-être de la population ». Le parti a également annoncé l’envoi d’une mission auprès de la chefferie d’Adjamé Village.

Les 4 milliards de francs CFA de la discorde

Les événements ont provoqué une autre polémique. Quelques heures après les affrontements, des documents portant l’en-tête de l’Ageroute ont été relayés sur les réseaux sociaux. Ils prouveraient que la chefferie d’Adjamé Village aurait été dédommagée à hauteur de 4,327 milliards de F CFA, et que l’opération de déguerpissement aurait été préalablement approuvée. Ce que nient les intéressés. « Nous n’avons rien reçu du ministère, affirme Jacques N’Koumo. Nous étions toujours en négociation, car le plan initial ne prévoyait pas une route passant par le village ».

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De son côté, Fabrice Coulibaly, le directeur général de l’Ageroute, a confirmé le 28 juillet, sur la Nouvelle chaîne ivoirienne (NCI), que « la chefferie d’Adjamé Village n’a[vait] pas reçu d’argent, car cette somme se trouve sur un compte séquestre ». Il a toutefois rappelé qu’un protocole d’accord avait été signé en 2020 et qu’il ne s’agissait pas d’un « déguerpissement », mais plutôt d’ « une expropriation pour cause d’utilité publique ». Il a enfin précisé que la somme prévue pour indemniser les propriétaires lésés était disponible, et que les victimes devaient se manifester.

Dans le document, il est par ailleurs stipulé que « les engagements et les obligations d’Adjamé Village sont transmis d’office de génération en génération en cas de changement de chefferie, jusqu’à la réalisation totale de chacune des dispositions. » Mais si Chérubin Nangui, le chef d’Adjamé Village, admet que des négociations ont bien eu lieu depuis 2016 dans le cadre du Projet du transport urbain d’Abidjan (PTUA) et qu’elles ont abouti à la signature d’un protocole d’accord quatre ans plus tard avec son prédécesseur, la chefferie ne reconnaît pas la légitimité dudit protocole. « Nous continuions les négociations avec les représentants du Premier ministre [Robert Beugré Mambé], mais ils ont détruit le village sans attendre qu’elles aient abouti », a regretté Jean-Marc Kakou, un cadre d’Adjamé Village.

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