Quand l’école de la République fait oeuvre d’intégration

Confrontés aux barrières de la langue, quatre adolescents venus de l’étranger parviennent à s’intégrer dans les écoles françaises grâce aux classes UPE2A. Aurélie Castex, autrice et illustratrice, nous entraîne dans les coulisses de ces lieux d’intégration.

Aurélie Castex © Julien Carot

Aurélie Castex © Julien Carot

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Publié le 20 septembre 2024 Lecture : 5 minutes.

Hosni vient de Tunisie. Il a vécu une première année d’école sans parler un mot de français, mais personne ne s’en est rendu compte. « Je ne parlais pas du tout le français. […] En classe, je ne parlais pas. J’étais caché au fond. Quand on m’interrogeait, je mettais mon cahier comme ça pour ne pas me montrer. » Prisha est indienne : « Au départ, je ne voulais pas aller à l’école. J’avais de mauvais souvenirs de l’école en Inde. On avait vraiment des profs méchants qui frappaient… c’est pour ça que je ne voulais pas y aller. […] Aujourd’hui, si je râle, ça veut dire que je suis devenue française : un peu râleuse, un peu flemmarde ! » Afo et son frère Abdou, tous deux Ivoiriens, n’ont pas immédiatement fréquenté l’école quand ils sont arrivés en France. « C’est l’assistante sociale qui nous a dit qu’il fallait aller à l’école et que c’était gratuit. Nous, on croyait qu’à l’école, en France, on te choisit que si tu es fort mentalement, se souvient Afo. À Abidjan, l’école c’était différent. On était 70 par classe. Les tables étaient collées aux bancs. On avait des uniformes kaki. Quand tu ne trouves pas une réponse, tu te faisais chicoter », poursuit Abdou.

Grâce au dispositif UPE2A (Unités pédagogiques pour les élèves allophones arrivants), destiné à aider les enfants nouvellement arrivés en France ou ceux dont le niveau de langue est insuffisant, ces quatre adolescents, issus de cultures diverses et tous passés par la classe de Sophie, ont réussi à s’intégrer dans les écoles françaises : Prisha a obtenu son brevet avec mention et a été admise dans le lycée de son choix à Paris. Abdou vise une place dans une section générale d’un lycée. Afo a bien débuté au collège, malgré les difficultés rencontrées chez elle, où l’espace familial est limité. Hosni a intégré le collège de son choix après avoir fait lui-même les démarches d’inscription en français. Leur réussite, cependant, comme celle d’autres élèves passés par la classe UP2EA de Sophie, est le fruit d’un combat.

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Une classe multiculturelle

À travers Les Nouveaux venus (paru aux éditions du Faubourg), Aurélie Castex, autrice et illustratrice, a voulu ouvrir pour le grand public la porte de ces classes à part. En s’immisçant elle-même dans un environnement qu’elle qualifie de « très fermé », elle a cherché à en documenter la réalité. « Il est difficile d’y pénétrer, et on n’a souvent qu’une vague idée de ce qui s’y passe », explique cette diplômée de l’École nationale supérieure des arts décoratifs de Paris.

« J’avais envie de montrer l’intérieur d’une école et d’une classe multiculturelle. » C’est d’abord sa position de parent d’élève qui lui a permis de découvrir progressivement l’intérieur de l’école. Puis elle a décidé de s’y immerger pleinement, se fondant dans le décor pour laisser les enfants venir à elle de manière naturelle. Au bout du compte, la dessinatrice passe une année entière à observer une classe du 19ème arrondissement de Paris. Semaine après semaine, elle dessine et prend des notes avec « l’idée d’être la plus discrète possible » pour retranscrire fidèlement la réalité, tout en respectant l’intimité des enfants. « Tout ce qui a été écrit dans le livre, ce sont des paroles d’enfants ou des récits de Sophie, l’enseignante, mais rien n’est inventé. On parle vraiment de quelque chose de réel. »

La couverture du livre Les Nouveaux venus

La couverture du livre Les Nouveaux venus

« Je ne leur ai pas posé de question, poursuit-elle. Je voulais être comme l’enseignante, qui ne s’immisce pas dans leur vie privée. » Consciente de la fragilité des situations que ces enfants vivent, elle a choisi une approche d’observation plutôt que d’interrogation directe. « On comprend leur histoire à de petits détails de leurs réactions. Ce sont eux qui disent des choses sur comment ils sont venus, sur l’endroit d’où ils viennent. Mais on ne le leur demande pas. » Cette méthode lui a permis de gagner la confiance des enfants, même si la communication restait parfois limitée par la barrière de la langue. « Ils adoraient me voir, parce que je faisais des dessins dans la classe. Ils regardaient et disaient : ‘Ah, moi, ça, c’est moi !’ »

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L’engagement et le courage des enseignants

Comment cette dessinatrice en est-elle venue à s’intéresser à cette réalité peu explorée en France ? En parcourant le quartier cosmopolite du 19ème arrondissement de Paris, où elle vit et travaille. « Je me suis aperçue que les enseignants, malgré leurs moyens limités, faisaient preuve d’un courage et d’un engagement remarquables auprès des enfants. »

« Je suis dessinatrice avant tout, donc je m’exprime beaucoup par le dessin-écriture », explique la co-auteure, avec Élise Gruau, de Terre ferme (une bande dessinée documentaire parue en 2021 chez Marabulle qui relate l’histoire de ses voisins éleveurs laitiers en Normandie). Un genre qui lui permet de combiner son amour du dessin et une narration basée sur des faits réels. De plus, le dessin joue également un rôle essentiel dans la communication avec les enfants, notamment ceux qui maîtrisent mal le français. « Même si certains ne comprenaient pas immédiatement ce que je faisais, dès qu’ils voyaient les carnets illustrés, un échange se créait. » Aurélie Castex s’est servie de son art comme d’un pont entre les cultures.

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Le froid de la France

La création de la BD a exigé un travail de composition minutieux afin de rassembler les différentes histoires en un récit cohérent. « Il a fallu trouver un fil conducteur pour que tout s’articule. » Elle explique notamment ce processus en évoquant une transition entre un chapitre et un dialogue avec Abdou, un adolescent qui lui avait confié son expérience de l’hiver en France. « J’ai fait le lien entre le moment où je les ai vus découvrir la neige, ce qui était magique pour certains, et l’entretien où Abdou m’a raconté qu’à son arrivée, il avait ressenti un froid qu’il n’avait jamais connu. » Ce genre de transition permet à la bande dessinée de refléter la complexité des expériences vécues par les enfants, tout en maintenant une cohérence narrative.

Planche tirée des Nouveaux Venus © Aurélie Castex

Planche tirée des Nouveaux Venus © Aurélie Castex

L’école publique en danger

Si cette immersion sur le terrain lui a permis d’être témoin du travail et de l’investissement sans faille des enseignants qu’elle a rencontrés, Aurélie Castex a également pu percevoir les limites de ce que peut apporter une école en manque de moyens à des élèves qui se trouvent dans des situations sociales ou familiales très compliquées. « Dans l’école où j’ai travaillé, pas de psychologue, car non remplacée. Et pendant toute l’année scolaire, une infirmière scolaire pour 1 500 enfants en élémentaire et 1 000 enfants en maternelle, une médecin scolaire qui travaille simultanément sur 20 écoles, des enseignants non remplacés, des agents d’entretien en sous-effectif… »

Partant de ce triste constat, l’auteure tire la sonnette d’alarme sur les dangers qui guettent l’école publique française et montre l’importance de garantir l’accès à l’éducation pour tous les enfants. « Pour moi, il faut absolument que tout le monde ait accès à l’école, d’où qu’il vienne et quelle que soit sa situation », soutient la dessinatrice.

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