En Algérie, un jour de vote sans enjeu après une campagne présidentielle verrouillée

Ce samedi 7 septembre, les Algériens sont appelés aux urnes pour élire leur président. Un scrutin sous contrôle et sans grand suspense : depuis le 21 mars et la décision d’Abdelmadjid Tebboune d’avancer la date de l’élection, la seule issue semble être la reconduction du chef de l’État sortant.

Candidat à sa propre succession, Abdelmadjid Tebboune est l’immense favori du scrutin présidentiel de ce samedi 7 septembre. © AFP

Candidat à sa propre succession, Abdelmadjid Tebboune est l’immense favori du scrutin présidentiel de ce samedi 7 septembre. © AFP

FARID-ALILAT_2024

Publié le 7 septembre 2024 Lecture : 6 minutes.

L’issue de l’élection présidentielle qui se tient ce samedi 7 septembre ne se joue pas dans le secret des isoloirs ni dans les urnes. Son sort a été scellé le 21 mars dernier lorsque, contre toute attente, le président Abdelmadjid Tebboune a annoncé la tenue d’une élection anticipée pour ce mois de septembre, alors que le vote devait se dérouler en décembre à l’issue de son premier mandat.

Les explications que le chef de l’État avait avancées pour justifier ce choix n’avaient convaincu personne. La décision obéissait, plaidait-il, à des considérations purement techniques.  » Les Algériens n’ont pas l’habitude de voter en décembre, disait-il. En septembre, après les vacances d’été, ils y seront mieux préparés. Et tout le monde sera rentré chez soi.  »

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Ces arguments, qui évacuent des motifs politiques, ont laissé perplexe l’opinion publique. Ceux qui connaissent et suivent de près les arcanes du pouvoir algérien et les rapports entre la présidence et l’institution militaire ont vite compris qu’en avançant la date du scrutin, le président sortant s’est surtout assuré d’obtenir un second mandat. Depuis, rien n’est venu contredire cette certitude que les jeux étaient faits. La précampagne, ainsi que la campagne électorale qui s’est achevée le 4 septembre, ont fini de convaincre jusqu’aux plus sceptiques.

Élu le 12 décembre 2019 au terme d’un scrutin massivement boycotté, Abdelmadjid Tebboune a d’ailleurs assuré le service minimum durant cette campagne électorale, se contentant de quatre meetings – à Constantine, Djanet, Oran et Alger – dans des salles où l’assistance a été triée sur le volet et ramenée de plusieurs régions du pays. Au cours de ses sorties, le candidat a déroulé les mêmes éléments de langages, asséné les mêmes engagements et promesses qu’il avait énoncés depuis une année. Avant son arrivée au pouvoir, argue-t-il, le pays était au bord du gouffre, l’économie effondrée, l’image du pays écornée, sa diplomatie éteinte et les Algériens désespérés…

Le mythe de l’« Algérie nouvelle »

Tout cela à cause de la « Issaba », la bande mafieuse qui avait régné sur le pays durant vingt ans et dont Tebboune était pourtant l’un des maillons. À l’en croire, c’est cependant bien grâce au président sortant que l’ »Algérie nouvelle » s’est redressée. La Issaba est décapitée, ses membres sont derrière les barreaux, les milliards que ces oligarques, généraux et ministres ont volés et détournés au cours de ces deux décennies ont été récupérés par l’État.

Sous la présidence de Tebboune, continue-t-il à expliquer, et ses nombreux soutiens avec lui, l’économie s’est redressée, les réserves de change se sont reconstituées à hauteur d’environ 70 milliards de dollars (63 milliards d’euros), le chômage est au plus bas, l’Algérie est devenue une puissance écoutée et respectée et les Algériens ont retrouvé espoir et confiance. Dans ces conditions, il n’y a pas de raison de changer une équipe qui gagne, répètent ses soutiens.

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À l’image de son prédécesseur, Abdelaziz Bouteflika, qui avait brigué un quatrième mandat en 2014 malgré son impotence, le candidat sortant a en effet largement délégué aux partis et aux personnalités qui ont choisi de le soutenir le soin d’animer sa campagne électorale. Le fait que sa candidature soit soutenue par toutes les forces et entités qui constituent le système politique algérien (armée, Parlement, confréries religieuses, famille révolutionnaire, syndicats, patronat) ne laisse aucun doute sur sa réélection dès ce soir.

L’illusion du pluralisme

Dans un pays verrouillé et cadenassé, rares sont les voix qui peuvent contester, critiquer ou émettre des doutes sur le bilan de ce premier mandat ou même exprimer des réserves sur les engagements pris pour le second. Et c’est là que réside l’une des singularités de cette présidentielle et de cette campagne électorale qui n’ont suscité aucun intérêt auprès des citoyens : l’absence de toute critique du candidat Abdelmadjid Tebboune, de son bilan, de son programme.

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Ses deux challengers, le chef du parti islamiste, Abdelaali Hassani Cherif, et le leader du Front des forces socialistes (FFS), Youcef Aouchiche, ont sillonné le pays, tenu des meetings, rencontré des citoyens, déroulé leurs programmes sans jamais mentionner le bilan de leur principal adversaire, ni contester ses réalisations, ni critiquer ses engagements. Les deux challengers ont fait comme si Abdelmadjid Tebboune était un candidat comme les autres et non un chef d’État en exercice se présentant à sa propre succession.

Bien sûr, tout le monde aura compris que les deux candidats – qui n’ont pas ménagé leurs efforts – auront été avant tout des cautions pour donner l’illusion d’une présidentielle ouverte et à suspense, alors que l’issue du vote était connue dès le 21 mars. Le fait qu’un candidat, Abdelaali Hassani Cherif, soit issu du courant islamiste et l’autre, Youcef Aouchiche, appartienne à la mouvance moderniste et démocrate sert aussi à donner l’illusion d’un paysage politique pluraliste, vivant et animé.

La presse étrangère mise à l’écart

L’autre singularité de cette présidentielle est qu’elle s’est déroulée sans la présence de la presse étrangère. Presque tous les médias internationaux qui avaient pour habitude de dépêcher en Algérie des envoyés spéciaux pour couvrir des événements aussi importants qu’un scrutin présidentiel ont suivi celui-ci à distance. Les autorités algériennes n’ont pas accordé d’accréditations aux médias (journaux, télés et radios) en dépit des demandes qui ont été formulées, y compris par Jeune Afrique. En juillet dernier, l’ambassade d’Algérie en France avait invité les médias à déposer des demandes d’accréditation pour cette présidentielle sans qu’il ait de suite. Le retrait de l’ambassadeur algérien en France le 30 juillet, à la suite d’une grave crise avec Paris, n’a pas arrangé les choses.

Cette campagne électorale s’est aussi déroulée dans un huis clos médiatique interne, où la critique aura été absente. C’est la première fois depuis l’élection présidentielle de novembre 1995, remportée par le général Zeroual, que la presse étrangère est tenue à distance. Même dans les pires années de terrorisme, des accréditations ont toujours été accordées aux journalistes internationaux pour leur permettre de travailler sur le terrain.

Pourquoi tenir les médias étrangers éloignés ? Les autorités ne souhaitent pas que les envoyés spéciaux racontent d’autres réalités de l’Algérie, accordent la parole aux Algériens, décrivent d’autres facettes de ce pays qui pourraient ne pas correspondre à cette « Algérie nouvelle » chantée par les soutiens du Président. Qu’ils relaient un autre récit que celui qui est officiellement martelé dans les médias publics et privés en Algérie.

La question de l’abstention

Ce verrouillage n’a d’ailleurs pas débuté en 2024. Au cours de tout ce premier mandat, la présidence s’est efforcée de limiter et de contrôler les espaces de libre expression et à domestiquer le paysage médiatique en fermant les rares journaux encore libres et indépendants. L’absence de médias étrangers à cette présidentielle participe de ce verrouillage des espaces pourtant grandement ouverts par le Hirak, qui avait chassé au printemps 2019 l’ancien régime.

Tout compte fait, il n’y a aucun enjeu majeur pour la présidentielle de ce samedi 7 septembre. Même pas le taux de participation. Les autorités savent que les Algériens n’ont pas été emballés par cette élection et qu’ils n’iront pas voter massivement, quand bien même la date a été avancée de trois mois. Mais la participation elle-même n’est pas vraiment un enjeu dès lors que le boycott massif du scrutin de décembre 2019 n’a nullement empêché Abdelmadjid Tebboune d’accomplir son premier mandat et de rempiler, bientôt, pour un deuxième. Un fort taux d’abstention au soir du 7 septembre l’empêcherait-il d’entamer sereinement son deuxième exercice au Palais d’El Mouradia ? Bien sûr que non.

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