Ertugrul Günay : « Erdogan a établi un pouvoir personnel »

Excédé par la gestion des affaires de corruption par Recep Tayyip Erdogan, il fait partie de ceux qui ont claqué la porte du gouvernement. Entretien avec Ertugrul Günay, ministre de la Culture et du Tourisme entre août 2007 et janvier 2013.

Ertugrul Günay. © DR

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Publié le 8 janvier 2014 Lecture : 3 minutes.

Sa démission de l’AKP, le 27 décembre, a fait grand bruit en Turquie. Parce qu’il est un responsable politique d’envergure et un homme libre, qui ne s’est jamais départi de son franc-parler. Ministre de la Culture et du Tourisme de Recep Tayyip Erdogan entre août 2007 et janvier 2013, Ertugrul Günay, 65 ans, avait demandé à ce que toute la lumière soit faite dans les affaires de corruption qui éclaboussent aujourd’hui l’AKP (islamo-conservateur, au pouvoir). Or non seulement le Premier ministre Erdogan s’acharne à étouffer les enquêtes par tous les moyens, mais ce sont les membres de l’AKP qui avaient osé demander plus de transparence qui se sont retrouvés convoqués devant la commission de discipline du Parti ! Intolérable, pour Ertugrul Günay, qui a claqué la porte (et avec lui plusieurs députés et un autre ancien ministre).

Günay avait quitté le CHP (centre gauche) il y a sept ans pour rallier l’AKP, qu’il pensait le mieux à même de réformer le pays. Lors de ses années au gouvernement, il s’est plusieurs fois retrouvé en désaccord avec Erdogan, dont il désapprouvait les projets urbanistiques géants, souvent peu respectueux du patrimoine historique et de l’environnement. Ces prises de position lui avaient déjà valu de faire les frais d’un remaniement ministériel il y a un an.

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En juin 2013, Günay avait marqué à nouveau sa différence en dénonçant la violence avec laquelle ce mouvement contestataire de Gezi était réprimé. Pour Jeune Afrique, il livre son analyse de la situation délicate que traverse aujourd’hui le pays.

Jeune Afrique : Recep Tayyip Erdogan rêve depuis longtemps de se présenter à la première élection présidentielle au suffrage universel direct, en août. Les scandales de corruption, qui ont éclaté le 17 décembre, vont-ils le contraindre à y renoncer ?

Ertugrul Günay : Lors des municipales du 30 mars, l’AKP pourrait connaître un recul significatif, car l’opinion commence à critiquer les tentatives du pouvoir d’entraver ces enquêtes. En agissant ainsi, le gouvernement envoie un signal brouillé. Aux yeux des citadins et des démocrates, l’image de l’AKP a été ternie par les événements de Gezi. Et aujourd’hui, ces scandales de corruption disqualifient le parti auprès de la classe moyenne. Un tel déclin électoral forcera le Premier ministre Erdogan à revoir ses projets à la baisse.

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Erdogan procède à des purges massives dans la justice et la police, et crie au complot de la confrérie Gülen, avec qui il avait pactisé pour arriver au pouvoir et museler l’armée. Ces accusations sont-elles fondées ?

On sait depuis quelque temps déjà qu’un conflit oppose la confrérie Gülen au Premier ministre Erdogan. Les alliances qui liaient démocrates et conservateurs au sein de l’AKP, et même celles qui liaient les conservateurs [la confrérie et l’AKP] entre eux sont rompues. Ce ne sont pourtant ni les exigences des démocrates [pour plus de démocratie], ni celles d’un prétendu "État dans l’État" [la confrérie Gülen] qui font qu’on en est arrivé là, mais uniquement les tentatives de M. Erdogan d’établir un pouvoir personnel. Il ne respecte pas la séparation des pouvoirs, qui est un principe de base de la démocratie. Comme l’a dit l’ancien ministre de l’Intérieur, Idris Naim Sahin, qui a démissionné de l’AKP fin décembre [alors qu’il était un ami de longue date d’Erdogan], "une oligarchie s’est formée à l’intérieur du Parti".

Le pays a besoin d’un nouveau mouvement politique.

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Songez-vous à fonder votre propre parti ? Et si oui, sur la base de quel programme ?

En critiquant la direction de l’AKP, et en particulier M. Erdogan, lors du mouvement de Gezi comme aujourd’hui, je n’ai obéi à aucun calcul ou arrière-pensée politiques. J’ai critiqué l’attitude du gouvernement pendant les événements de Gezi en raison de ma propre conception de la démocratie, et je continue à le critiquer à propos de l’actuel scandale de corruption en raison de mon respect de la loi. J’ai déjà eu des différends avec le Premier ministre quand j’étais son ministre [de la Culture]. J’ai en particulier émis des objections à la destruction du patrimoine architectural d’Istanbul, ce dont les médias se sont fait l’écho à l’époque.

Aujourd’hui, la Turquie traverse une période difficile et douloureuse. Le pays a besoin d’un nouveau mouvement politique, pacifique, davantage axé sur la solidarité, soucieux bien sûr de développement économique, mais plus respectueux de l’Histoire et de l’environnement. Cette période douloureuse va-t-elle déboucher sur la naissance d’un tel mouvement ? L’avenir le dira.

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Propos recueillis par Joséphine Dedet
 

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