Mathieu Pellerin : « Il y a une recrudescence des cas de ‘justice’ populaire à Madagascar »
Jeudi 3 octobre tôt dans la matinée, trois hommes, soupçonnés d’avoir tué et mutilé un enfant de 8 ans, ont été brûlés par la population sur la plage d’Ambatoloaka, la principale station balnéaire malgache de Nosy Be. Alors que les circonstances précises de leur mort ne sont pas établies, Mathieu Pellerin, chercheur à l’Institut français des relations internationales (Ifri) et spécialiste de Madagascar, décrypte ce dramatique fait divers pour Jeune Afrique.
Mis à jour à 16h30
JEUNE AFRIQUE : Quelle est l’origine des lynchages de jeudi ?
Mathieu Pellerin : Il n’y a pas d’élément déclencheur précis et avéré. Il est, aujourd’hui, impossible de se prononcer sur la véracité des accusations de trafics d’organes proférées à l’encontre des trois personnes lynchées. Mais une conjonction de facteurs peut expliquer l’événement.
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Il y a sûrement eu une assimilation de la population entre le trafic d’organes, qui est un épiphénomène à Madagascar, et la pédophilie. Le fait que ces lynchages aient eu lieu à Nosy Be n’est pas une surprise. La ville est connue pour être le fief des réseaux de pédophiles et de tourisme sexuel. Les touristes français et occidentaux sont associés à ces pratiques par la population. Ils y ont une très mauvaise réputation.
Ensuite, on constate une hausse de la criminalité sur toute l’île notamment à l’encontre des Occidentaux. En août, trois touristes ont été agressés à Nosy Bé. Et au début de l’année, une religieuse française de 82 ans avait été étranglée dans le nord-ouest du pays.
Enfin, ces lynchages se produisent dans un contexte de recrudescence, depuis 2010, des cas de justice populaire, où les bandits – par exemple des "dahalo" [voleurs de bétail, NDLR] – sont lynchés par une population armée qui les récupère à leur sortie des commissariats ou avant leur arrestation.
Qu’est-ce qui explique cela ?
Les événements de jeudi sont l’expression de la colère du peuple contre le système judiciaire et les forces de sécurité. La population ne leur fait plus confiance. La justice est de plus en plus corrompue. Le Premier ministre s’en était même publiquement inquiété. Les grèves des tribunaux qui ont eu lieu en 2011 et 2012 n’ont rien arrangé.
Il y également une banalisation de la violence à Madagascar, comme le montre la foule impressionnante qui s’est massée pour assister aux lynchages. C’est inquiétant.
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Propos recueillis par Vincent Duhem
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