Cameroun : Alamine Ousmane Mey, un banquier aux Finances

Depuis son arrivée au ministère des Finances du Cameroun,  l’ancien banquier Alamine Ousmane Mey a imposé sa méthode… et une gestion qui ne veut rien laisser au hasard.

Le ministre est un ancien banquier du privé. © Molly Riley/AP SIPA

Le ministre est un ancien banquier du privé. © Molly Riley/AP SIPA

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Publié le 2 octobre 2013 Lecture : 6 minutes.

Grand motif de satisfaction pour Alamine Ousmane Mey : les recettes fiscales et douanières du Cameroun se sont élevées à 894 milliards de F CFA (plus de 1,36 milliard d’euros) au premier semestre de l’exercice budgétaire en cours. Soit un taux de réalisation de 48,27 %, a-t-il constaté le 29 juillet en clôturant les rencontres au cours desquelles les ministres camerounais ont défendu leurs programmes pour 2014. Une information loin d’être anecdotique, après les rumeurs qui ont couru sur les difficultés du ministre des Finances à mettre en oeuvre le premier budget-programme du pays, une procédure de gestion qui définit les priorités, ainsi que le plan des recettes et dépenses de l’État pour les années à venir.

Grincements de dents

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Parmi les obstacles rencontrés dans la mise en place de cet outil : le délai d’adaptation d’une application informatique. Un problème résolu début mars, mais la production des bons d’engagements et de commandes a pris du retard. Tout comme la formation des contrôleurs financiers (maillons essentiels dans l’exécution du budget), qui ne s’est achevée que mi-avril. Cela a provoqué des grincements de dents, notamment chez les opérateurs économiques travaillant pour l’État, pourtant habitués aux délais des commandes publiques. À tel point qu’un prestataire de services a instruit un procès en incompétence contre le ministre.

Sa plus grande innovation : un budget-programme qui planifie les recettes et les dépenses

Malgré ces contretemps, le budget-programme est vu comme l’un des plus grands changements engagés par Alamine Ousmane Mey au sein du stratégique ministère des Finances, dont il a pris la tête le 9 décembre 2011. Pour faire valoir son idée, le ministre avait d’abord convaincu Philémon Yang, le Premier ministre, de tenir deux séminaires début 2013. Le but était de redéfinir l’outil de gestion de l’action gouvernementale, articulée autour de trois points : la méthodologie d’élaboration des feuilles de route ministérielles pour l’exercice 2013 ; l’optimisation des procédures de passation des marchés publics ; le contrôle de la trésorerie et la régulation budgétaire.

Une façon de familiariser les autres départements ministériels aux principes du budget-programme, tout en dédramatisant ses objectifs de rigueur. Comme l’explique un cadre du ministère : « Cette initiative a permis au Cameroun de réussir la transition entre une gestion axée sur les moyens et une gestion axée sur les résultats, et de devenir ainsi le premier pays d’Afrique subsaharienne francophone à basculer totalement dans un système de budgétisation programmée. »

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Les milieux d’affaires l’apprécient

Cameroun Bio Alamine MeyDans les milieux d’affaires, les ambitions et la méthode du grand argentier semblent appréciées. « Le lancement du budget-programme est réussi », fait remarquer Christian Pout, le directeur général du mouvement patronal Entreprises du Cameroun (E.cam), avant d’ajouter que l’ex-banquier « a su rester lui-même en dépit du poids de la charge ministérielle, dans un secteur plus que sensible et un contexte exigeant ». Un autre patron souligne, lui, le sens du dialogue du polytechnicien : « Il ne ferme pas la porte, il est conscient des difficultés que nous rencontrons avec les fonctionnaires des impôts et de la douane. » Quant à l’économiste Désiré Avom, vice-doyen de l’université de Yaoundé II, il apprécie « ses qualités intellectuelles » et le voit comme « un ministre extrêmement compétent, bon techniquement, et maîtrisant les dossiers ».

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Certains estiment cependant qu’il faut attendre avant d’évaluer le bilan d’Ousmane Mey et qu’il doit encore faire ses preuves. « Il ne peut pas se prévaloir d’actions majeures telles qu’avoir atteint le point d’achèvement de l’Initiative en faveur des pays pauvres très endettés [PPTE], comme l’un de ses prédécesseurs [Polycarpe Abah Abah] en 2006, ou avoir lancé un emprunt obligataire de 200 milliards de F CFA, comme un autre [Essimi Menye, à l’Agriculture désormais] en 2010 », reconnaît Roger Tsafack Nanfosso, le directeur du Programme de formation en gestion de la politique économique de l’université de Yaoundé II. Ce à quoi son confrère, Désiré Avom, répond que « les marges de manoeuvre du ministre des Finances d’un pays en développement qui, de surcroît, participe à une union monétaire, sont extrêmement réduites ».

Assainissement de la microfinance

Il n’empêche, le processus de création de la banque publique des PME s’est accéléré sous l’impulsion d’Ousmane Mey, de même que l’assainissement du secteur de la microfinance. En septembre 2012, les clients de la First Investment for Financial Assistance (Fiffa), qui ne pouvaient toucher leurs salaires à cause d’un trou de 5 milliards de F CFA dans les caisses de l’établissement, sont descendus dans la rue. En réponse, le ministre a enjoint aux dirigeants de la Fiffa de procéder à une recapitalisation, tout en prenant des dispositions pour que ces clients – des fonctionnaires – soient payés. Une réactivité que ces derniers ont bien notée. « La « touche Alamine », c’est la diligence, confirme l’un de ses collaborateurs. Les délais de traitement des dossiers se sont considérablement réduits. » Quant à la Fiffa, elle ne figure pas sur la liste des 34 établissements de microfinance auxquels le ministre a retiré leur agrément, mi-juillet.

Fini la communication tous azimuts, les cordons de la bourse ont été resserrés drastiquement.

En revanche, le point faible du style Alamine semble être la communication. « Le ministère est devenu moins disert, il se fait plus discret », observe Roger Tsafack Nanfosso. Le grand argentier est avare en annonces… Une attitude diamétralement opposée à celle d’Essimi Menye, dont l’omniprésence médiatique agaçait les collègues, mais aussi à celle de « l’ancien Ousmane Mey » : l’homme qu’il était lorsqu’il dirigeait Afriland First Bank répondait toujours aux sollicitations de la presse.

Si l’on ajoute à cette réserve le fait que, côté budget de communication, le ministère des Finances a resserré les cordons de la bourse et cessé d’être le principal annonceur institutionnel – entraînant une baisse des recettes publicitaires qui s’est ressentie dans la trésorerie des journaux privés -, on peut dire qu’être populaire auprès des médias ne fait pas partie des priorités d’Alamine Ousmane Mey.

Le dossier des subventions

En diminuant certaines dépenses publiques, l’ex-banquier s’est évidemment créé des inimitiés, notamment dans certains départements ministériels et parmi les fonctionnaires. Un mois après son entrée en fonction, le 10 janvier 2012, le ministre avait affiché la couleur en signifiant à ses collaborateurs que, désormais, il n’y aurait plus de paiement de per diem lors de séminaires et colloques. « Je le trouve rigide sur ce plan », se plaint un membre du gouvernement, estimant que les dotations allouées à son ministère tardent un peu trop à être disponibles. « C’est normal, c’est le banquier à l’oeuvre, plaide-t-on dans l’entourage d’Ousmane Mey. Il cherche à comprendre le bien-fondé d’une dépense avant de l’autoriser. »

Reste l’épineux dossier des subventions aux carburants, qui coûtent de plus en plus cher à l’État et préoccupent les institutions de Bretton Woods au plus haut point. Elles insistent pour que le gouvernement les supprime ou, à défaut, les réduise sérieusement. « La question mérite débat, car ces subventions devraient nous coûter 400 milliards de F CFA cette année », a reconnu le ministre des Finances lors d’une rencontre avec le Fonds monétaire international en mai. Une question majeure sur laquelle il est très attendu, par les partenaires internationaux comme par les Camerounais. Les uns et les autres n’ayant pas les mêmes attentes, la décision sera forcément douloureuse.

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