RDC – Philippe Biyoya : « L’accord d’Addis-Abeba devrait renforcer la tendance au dialogue »

Après la signature, le 24 février, à Addis-Abeba, d’un accord de paix par les pays de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs, Philippe Biyoya, professeur de sciences politiques à l’université de Kinshasa, en explique la portée. 

Joseph Kabila signe l’accord de paix, le 24 février à Addis-Abeba. © AFP

Joseph Kabila signe l’accord de paix, le 24 février à Addis-Abeba. © AFP

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Publié le 28 février 2013 Lecture : 5 minutes.

Jeune Afrique : L’accord d’Addis-Abeba, signé sous les auspices du secrétaire général de l’ONU, est-il adapté ou c’est, simplement, un accord de plus ?

Philippe Biyoya : Je n’ai pas de sentiment particulier à ce propos. Mais il faut se retrouver dans un contexte où les pays travaillent ensemble pour un objectif aussi noble et aussi important que la paix régionale. C’est une bonne chose à mon sens.

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Pourquoi certains affirment-ils qu’on exige beaucoup plus de la République démocratique du Congo (RDC) que de ses voisins souvent mis en cause, comme le Rwanda et l’Ouganda ?

Il se pose, en fait, un problème de conflictualité. Nous sommes dans un contexte régional où les crises chez les voisins semblent avoir perdu de l’occurrence par rapport à la crise en RDC. On a l’impression que ce pays est devenu le maillon faible. Il faut donc reconstruire la base de l’architecture à partir de la RDC, qui est le pays le plus important sur les plans géopolitique et géostratégique. S’il sombre, il risque d’engloutir tout le monde. La RDC doit remonter la pente, revenir à un niveau où elle peut assumer ses responsabilités, étant entendu que l’équilibre de la région dépend plus de Kinshasa que des autres. Lorsqu’on aborde la question de l’ingérence des voisins, on aborde le vrai problème. Il y a tellement d’ingérences de leur part qu’on ne sait plus qui dirige la RDC. Si cela ne s’arrête pas, rien ne peut être construit.

Lorsqu’on aborde la question de l’ingérence des voisins, on aborde le vrai problème.

Demander aux pays voisins de la RDC ne pas s’ingérer dans ses affaires, exiger qu’ils n’abritent pas de groupes armés ou des criminels de guerre, n’est-ce pas, comme d’habitude, émettre des vœux pieux ?

Aucun accord n’a jamais créé la paix nulle part. Ce qui compte, c’est la compréhension qu’on a de l’accord. Il s’agit ici d’un ensemble de mesures que l’on veut mettre en œuvre pour éradiquer le mal avec la collaboration de tout le monde. C’est un accord-cadre, général, qui trace un schéma directeur. Pour sa concrétisation, il appelle à une sorte d’intelligence stratégique pour des arrangements. Il y a encore du travail à faire. Les pays doivent s’asseoir et étudier, palier par palier, l’ensemble de la question. Si on s’imagine qu’en l’état actuel, l’accord résout tous les problèmes, on se trompe d’analyse. Il demande aux États habitués à faire de l’ingérence de travailler sur d’autres perspectives, dans l’intérêt de la paix. C’est à cela qu’on jugera le sérieux des engagements pris par les uns et par les autres.

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La partie congolaise souhaite, depuis quelques années, la transformation du du statut de la Monusco en force d’intervention. Or, cela n’est pas clairement indiqué dans l’accord d’Addis-Abeba. Est-ce une lacune ?

Je crois qu’il y a une avancée  quelque part. La Monusco était chargée de stabiliser la RDC à l’intérieur de ses frontières. Mais, aujourd’hui, la rébellion a atteint un niveau tel que certains parlent  de sécession ou de séparation. En 1962-1963, les Nations unies, qui tenaient à l’intégrité du Congo, ont recouru à ce qu’on appelle aujourd’hui l’imposition de la paix, en utilisant la force contre la sécession katangaise. Ce qu’il faut saluer aujourd’hui, c’est la perspective  de constituer une brigade d’intervention qui aura pour mission de combattre toutes les forces négatives, y compris le M23. On peut regretter, dans cet accord, le fait qu’on n’ait pas formellement condamné les rébellions comme principe de pouvoir dans la région, qu’elles soient internes ou instrumentalisées par les pays voisins.  

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Les Congolais doivent assumer ensemble la responsabilité de la gestion du pays.

Justement, que doit faire la RDC maintenant que l’accord a été signé ?

Les Congolais doivent assumer ensemble la responsabilité de la gestion du pays. Si la communauté internationale demande au gouvernement d’entreprendre des réformes jusqu’à la réconciliation, c’est parce qu’on attribue la faiblesse et son rôle mineur dans la région au fait que les Congolais ne constituent pas un bloc uni. On pense que les divisions internes alimentent les rébellions. Il ne faut pas tenter les voisins, ni les pousser à vouloir contrôler une partie des ressources congolaises. Les gens ont besoin d’avoir en face d’eux un Congo interlocuteur. Ce qui n’est plus le cas. Par conséquent, le pays doit se reconstituer. Il doit montrer qu’il a la volonté et les moyens de protéger ses ressources, sans se soustraire de l’obligation de solidarité avec le monde. L’accord d’Addis-Abeba devrait renforcer la tendance au dialogue qui est en train de s’amorcer.

L’État congolais a-t-il les moyens de restaurer la paix, la stabilité, la sécurité et son autorité dans sa partie orientale ? 

La question ne se pose pas en termes de moyens, mais de volonté. La partie du Congo située aux frontières de l’Ouganda, de la Tanzanie et du Rwanda a été « somalisée ». L’État n’y existe plus. Le gouvernement doit s’engager à tout reconstruire, à en reprendre le contrôle. Au lieu de demander un mandat militaire pour la Monusco, pourquoi ne pas solliciter, en plus, son implication dans la consolidation des institutions qui existent ? Dans le Kivu et, de plus en plus, au Katanga, il y a des zones sans aucune administration, militaire ou civile. Pourquoi l’État ne demanderait-il pas à ses partenaires de déployer une armée internationale dans cet espace sous influence politique et économique de l’Ouganda et du Rwanda ? 

Cet accord est-il, par rapport aux précédents, le bon ?

Ce qui peut être nouveau, c’est le niveau de responsabilité. Quel était le niveau de responsabilité de ceux qui en étaient les initiateurs ? Cette fois, c’est le secrétaire général de l’ONU qui engage la responsabilité de sa structure. La Monuc, devenue Monusco, n’a jamais été engagée par l’ONU comme telle. Elle avait été créée à la suite de l’Accord de Lusaka de 1999, piloté par la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC). Dans le cas présent, Ban Ki-moon a pris l’initiative pour que le Conseil de sécurité l’entérine par des résolutions en vue de la création d’une force nouvelle ou de la révision du mandat de la Monusco. Il fera en sorte que cela réussisse. 

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Propos recueillis par Tshitenge Lubabu M.K.         
            

  
 

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