Affaire Firmin Mahé : l’ombre du général Poncet plane sur le procès des militaires français

L’ivoirien Firmin Mahé, assassiné en 2005 par des militaires de la force Licorne, était-il un coupeur de route ? L’ex-colonel Éric Burgaud en est persuadé. Mais s’il a enfin reconnu, lors du troisième jour de son procès à Paris, jeudi 29 novembre, avoir donné l’ordre explicite de le tuer, il a également à nouveau affirmé avoir traduit un ordre implicite de son supérieur, le général Poncet. Qui a lui été blanchi par la justice française.

Le colonel Éric Burgaud (D) et son avocat Alexis Gublin, le 27 novembre 2012 à Paris. © Kenzo Tribouillard/AFP

Le colonel Éric Burgaud (D) et son avocat Alexis Gublin, le 27 novembre 2012 à Paris. © Kenzo Tribouillard/AFP

Publié le 30 novembre 2012 Lecture : 3 minutes.

Lorsqu’il avance à la barre et qu’il prend la parole, l’ancien colonel Éric Burgaud, 50 ans, a déjà en tête son discours. Qu’importe la question du président de la cour d’assise de Paris, ce 29 novembre, il tient d’abord à faire passer un message fort. Grand, maigre, dans un costume civil sombre, il déclare, la voix sûre et grave : « Je n’ai pas toujours fait preuve de dignité dans cette affaire. » Silence de plomb dans la cour.

Cette affaire, c’est celle du meurtre de Firmin Mahé, le 13 mai 2005. Cet ivoirien que les militaires français considéraient comme un dangereux « coupeur de route », responsable des pires exactions possibles (vol, viols, massacres, etc…) et terrorisant les populations. Tout comme ses trois anciens subordonnés – Guy Raugel, Johannès Schnier et Lianrifou Ben Youssouf – l’ex-colonel est accusé d’assassinat et jugé depuis trois jours devant la cour d’assises de Paris. Il risque 30 ans de réclusion criminelle.

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"Lâche, indigne"

Le général Poncet ne risque rien et a été assez habile pour ne pas être avec nous aujourd’hui… Mais l’indignité est aujourd’hui dans son camp.

Éric Burgaud, ancien colonel de l’armée française

« J’avais deux petits garçons, reprend-il. Et oui, je n’ai pas tout dit, j’avais peur d’aller en prison et que toute ma famille parte avec tout ça. » Évoquant ses coaccusés, il ajoute : « Aujourd’hui, ils ont l’homme et l’officier qui assume ses responsabilités, qui assume avoir donné un ordre illégal et qui assume avoir été lâche, indigne. » C’est la première fois, malgré cinq auditions face au juge d’instruction et sept années écoulées que l’ancien Colonel Burgaud fait de telles déclarations. Aujourd’hui, il tient à le dire, il « assume ».

Mais cet ordre illégal, quel est sa nature précise ? Celui de tuer Firmin Mahé ou du moins de « ne pas le ramener vivant » à Man, il devait être transféré, après avoir été blessé par un tir à la jambe et arrêté le jour même par des militaires français. L’ex-colonel, certes, assume avoir transmis cet ordre « illégal » à ses subordonnées mais affirme surtout l’avoir lui-même reçu de son supérieur hiérarchique, le général Henri Poncet, commandant à l’époque de la force Licorne qui avait été déployée en Côte d’Ivoire, en soutient des troupes de l’ONU.

Les proches de Firmin Mahé sans visa ?

Les proches de Firmin Mahé, qui devaient être entendus le 28 novembre sont, quant à eux, toujours bloqués à Abidjan. Selon leur avocat camerounais, Me Ndoumou, ils auraient désormais leur passeport biométrique, mais n’auraient toujours pas de visa. « On leur demande à chacun 40 000 F CFA (60 euros) pour une assurance. Alors que ces familles sont démunies…» avance-t-il. Il ajoute leur avoir conseillé de faire un « sit-in » au Consulat Général de France à Abidjan, afin d’obtenir leur visa. H.N.

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Poncet lui aurait dit : « Vous remontez Firmin sur Man (nord-ouest du pays) et vous roulez doucement. » Burgaud comprend alors qu’il faut que le prisonnier blessé arrive mort. « Parce que rouler doucement, ce n’est pas ce qu’il faut faire dans de pareilles circonstances. D’autant que Man, c’est loin… » explique-t-il. Tout en admettant : « L’ordre explicite n’a jamais été donné, c’était implicite », dit-il.

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"La moins pire des solutions"

Peu importe, il transmet l’ordre à l’adjudant Guy Raugel, qui l’exécutera finalement en étouffant Mahé avec un sac poubelle et du ruban adhésif. « La journée du 13 mai 2005 c’est un combat de valeurs qui a nécessité des choix. Supprimer Mahé était la moins pire des solutions. Le pire eut été de ne rien faire. Ce que faisait Mahé n’était pas acceptable », ajoute le colonel Burgaud.

Photo non datée de Firmin Mahé avec son fils dans un lieu non déterminé en Côte d’Ivoire.

© AFP/Archives

Le général Poncet, qui a été mis en examen pour complicité d’homicide au début de l’instruction a contesté cette version. Et a bénéficié d’un non lieu définitif en 2010. Il est attendu comme témoin au procès, le 4 décembre prochain, tout comme Michèle Alliot-Marie, ministre de la Défense à l’époque des faits. À la fin de son interrogatoire – qui a duré près de quatre heures -, Burgaud déclare à propos du général Poncet : « C’était un grand chef. C’était. Il ne dira sûrement pas qu’il a donné l’ordre. Il ne risque rien et a été assez habile pour ne pas être avec nous aujourd’hui… Mais l’indignité est aujourd’hui dans son camp.»

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Par Haby Niakaté (@ HabyN)

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