Elhadji Baba Haïdara : « Il faut craindre qu’Aqmi transforme le Nord-Mali en un nouvel Afghanistan »

Le député de Tombouctou, Elhadji Baba Haïdara, réagit à la déclaration d’indépendance de l’Azawad prononcée vendredi par les rebelles touaregs du MNLA, dirigé par Mohamed Ag Najim. Mais qui contrôle réellement le Nord-Mali ? Pour Haïdara, qui est aussi président de la cellule de crise sur le Nord au sein de l’Assemblée nationale, la « Ville au 333 saints » est désormais dirigée par les islamistes du groupe Ansar dine d’Iyad Ag Ghali, qui s’apprêterait à dévoiler une constitution basée sur la charia dans les prochains jours. Interview.

Proche d’Aqmi, l’islamiste Iyad Ag Ghali du groupe Ansar dine veut instaurer la charia au Mali. © AFP/Capture Youtube

Proche d’Aqmi, l’islamiste Iyad Ag Ghali du groupe Ansar dine veut instaurer la charia au Mali. © AFP/Capture Youtube

Publié le 6 avril 2012 Lecture : 3 minutes.

Jeune Afrique : Que pensez-vous de l’indépendance de l’Azawad [proclamée ce vendredi 6 avril par le MNLA, NDLR] ?

Elhadji Baba Haïdara (en photo ci-dessous) : On ne nous colonisera pas. Pourquoi l’indépendance ? J’étais mandaté par l’Assemblée nationale du Mali avec 15 autres députés tous originaires du Nord pour aller discuter depuis le mois de novembre 2011 à Zakake avec les membres du MNLA. Je leur ai dit ceci : vous demandez l’indépendance de l’Azawad, au nom de qui ? Quelles sont les limites de l’Azawad ? Comment pouvez-vous demander l’indépendance d’une zone sans être mandatés par sa population ? S’il y a quelqu’un qui doit demander quelque chose au nom de cette population, ce sont les personnes élues par la population à l’Assemblée nationale. Les Touaregs ne constituent pas 10% de la population du Nord-Mali. C’est l’ethnie la plus minoritaire. On ne peut pas proclamer d’indépendance dans ces conditions.

J’ai dit ceci aux membres du MNLA : vous demandez l’indépendance de l’Azawad, au nom de qui ? Comment pouvez-vous demander l’indépendance d’une zone sans être mandaté par sa population ?

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La ville de Tombouctou est entre les mains des rebelles touaregs depuis le 1er avril. Comment ressentez-vous cette situation ?

Aujourd’hui Tombouctou est entre les mains du groupe Ansar dine d’Iyad Ag Ghali, et c’est regrettable. Nous ne voulons pas ça. Au 16e siècle, un érudit de la ville du nom de Ahmed Baba a dit au roi du Maroc, venu envahir Tombouctou, que le Prophète avait interdit d’aller conquérir un pays déjà islamisé.

Pourquoi veulent-ils [les combattants d’Ansar dine, NDLR] nous islamiser ? Même le Coran interdit ça. J’ai l’impression d’être dans un cauchemar, Tombouctou est une ville aux 333 saints, une ville islamique depuis le 12e siècle… Et maintenant, les islamistes veulent nous apprendre à prier ! En fait, Tombouctou est victime de son nom et de sa célébrité : pour les rebelles, c’est un symbole qu’il faut prendre pour être vu. Je ne suis pas d’accord avec la charia à Tombouctou. Pour nous c’est de l’extrémisme.

Tombouctou est une ville islamique depuis le 12e siècle… Et maintenant les islamistes veulent nous apprendre à prier ! Je ne suis pas d’accord avec la charia à Tombouctou. Pour nous c’est de l’extrémisme.

Quelles sont les consignes des nouvelles autorités ?

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Les éléments d’Ansar dine sont dans une phase de séduction. Ils distribuent des céréales à la population, ils disent aux gens qu’ils veulent leur bien et ils maintiennent l’ordre dans la ville. Ils commencent à ramener le matériel pillé…  Et disent qu’ils dévoileront leur constitution basée sur la charia dans les prochains jours.

Est-ce que des dirigeants d’Aqmi sont venus à Tombouctou, aux côtés d’Iyad Ag Ghali ?

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Le seul leader d’un groupe islamiste dont je suis informé de la présence à Tombouctou, c’est Iyad Ag Ghali. Le reste, c’est de la rumeur diffusée par les médias. Mais il faut craindre la transformation du Nord-Mali par Aqmi en un nouvel Afghanistan, avec des groupes comme Ansar dine, Boko Haram... À Tombouctou, il y a des combattants tchadiens, somaliens, libyens… On les a reconnus à leurs langages.

Les chrétiens de Tombouctou ont quitté la ville. Ont-ils été menacés ?

Je pense, oui. Ils ont senti une menace pour leur sécurité et ils ont quitté la ville. Ils ont intérêt à fuir, car les islamistes disent même aux musulmans qu’ils ne savent pas comment prier. Ne parlons pas de ce qu’ils diraient aux chrétiens.

Y a-t-il eu des pillages et des viols à Tombouctou ?

Ce qui est sûr, c’est qu’il y a eu des pillages comme à Gao. Conséquence : il n’y a plus d’administration, plus d’école, plus d’échanges, plus de banques. L’hôpital et la pharmacie populaire de la ville ont été pillés. Mais il n’y a pas de preuves de viols.

Pouvez-vous nous dire s’il y a des tensions entre Ansar dine et le MNLA ?

Pour moi, ce sont tous des étrangers à Tombouctou, et pour nous, ils sont pareils. Qu’il y ait des tensions entre eux ou pas, ce n’est pas notre problème.

Est-ce que Ansar dine empêche les populations de quitter Tombouctou ?

Non, les combattants fouillent  les gens avant de les laisser sortir de la ville. Ils ont indiqué aux imams que c’était pour empêcher les armes de sortir.

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Propos recueillis à Bamako par Baba Ahmed

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