Livre : les liens charnels de Libar M. Fofana
Dans « L’Étrange Rêve d’une femme inachevée », l’écrivain guinéen Libar M. Fofana raconte l’impossible quête d’indépendance de deux sœurs siamoises. Dans la continuité de ses précédents romans, il sonde la force émancipatrice de l’esprit lorsque le corps est enchaîné.
C’est l’histoire de deux jeunes sœurs jumelles, dans la Guinée des années 1970. L’une, Hawa, douce et belle, ne rêve que d’amour, croît en Allah et en la fatalité. L’autre, Ramatoulaye, révoltée et pleine d’esprit, s’imagine un avenir politique, ne cesse de blasphémer et se veut seule maîtresse de son destin. Problème : Hawa et Ramatoulaye sont siamoises. La première est presque « normale » : c’est elle qui détient l’unique paire de jambes du couple. La seconde a vu son petit tronc rabougri greffé par le sort sur le corps de sa sœur, d’où son surnom de « Toumbou » (« asticot »).
Dans ce conte cruel et facétieux, l’écrivain guinéen Libar M. Fofana (né à Conakry en 1959 et établi en France depuis 1984) raconte la quête d’identité, d’indépendance et, au final, de liberté, de deux êtres liés autant par des sentiments d’amour-haine sororaux que par une « chaîne de chairs entrecroisées, de nerfs enchevêtrés, de sangs mêlés, d’émotions et d’hormones partagées ». L’auteur s’interroge : comment, malgré tous les obstacles – physiques et moraux –, parvenir à « se réinventer pour renaître en quelque chose d’achevé » ? La réponse, on s’en doute, oscille entre l’amour et la mort.
Du corps à l’ouvrage
Avec cet Étrange Rêve d’une femme inachevée, Libar M. Fofana poursuit sur la lancée de ses précédents romans dans la mise en scène de personnages physiquement diminués ou contraints, le tout sur fond de liens de parenté. Dans Le Fils de l’arbre (2004), le héros devait s’occuper de son frère handicapé ; dans N’Köro (2005), une épouse jugée stérile accouchait finalement prématurément ; dans Le Cri des feuilles qui meurent (2007), une adolescente victime de la lèpre était réduite en esclavage par un rebouteux ; dans Le Diable dévot (2010), enfin, un imam se voyait proposer par un octogénaire un billet d’avion pour La Mecque en échange de sa fille de 13 ans…
L’état de notre corps (la condition physique) détermine-t-il notre place dans le monde (la condition sociale) et, plus largement, notre destinée ? Et quelle est la force émancipatrice de l’esprit – et de l’imagination ? Telles sont les questions que semble poser, une fois de plus, Libar M. Fofana.
Il faut dire que l’entrée en écriture de l’auteur est elle-même liée à ces problématiques. C’est en effet à la suite de la perte d’une partie de son audition lors d’un concert, en 1993, qu’il commence à coucher ses réflexions sur papier. Dans un premier temps, à l’hôpital, il s’agit pour lui de communiquer par écrit avec le personnel, alors qu’il est emmuré dans un monde de silence. Puis, après sa convalescence, il continue d’écrire, d’abord des textes courts, ensuite des nouvelles… jusqu’à la parution de son premier roman, en 2004.
Autre élément clé dans la biographie de l’écrivain : son père a été enfermé et torturé au tristement célèbre camp Boiro, où étaient détenus les prisonniers politiques du régime de Sékou Touré, de 1958 à 1984. Encore une fois, c’est le corps que l’on soumet, que l’on séquestre. Comme pour Ramatoulaye alias « Toumbou », emprisonnée dans la chair de sa sœur, l’échappatoire se situe alors du côté du rêve et, plus encore, du refus de toute résignation.
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L’Étrange Rêve d’une femme inachevée, de Libar M. Fofana, Gallimard, Coll. Continents noirs, 208 pages, 17,50 euros
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