Golfe de Guinée : comment les assureurs contrent la menace pirate

Détournements, kidnappings, demandes de rançon… De l’océan Indien au golfe de Guinée, les agressions se multiplient. Face à cette situation, des polices d’assurance spéciales se développent.

Au large des côtes somaliennes, des pirates sont arrêtés par la marine portugaise. © AFP

Au large des côtes somaliennes, des pirates sont arrêtés par la marine portugaise. © AFP

Publié le 7 août 2013 Lecture : 4 minutes.

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Transport maritime : ports à prendre

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Le 4 mars, l’Armada Tuah 22 disparaît au large des côtes nigérianes. Arraisonné par des pirates, le navire de maintenance reprend contact avec son armateur le lendemain, après que des flibustiers des temps modernes eurent kidnappé trois membres d’équipage afin de réclamer une rançon. Un fait divers devenu presque routinier : de l’océan Indien au golfe de Guinée, les navires sont confrontés à une recrudescence de ces attaques depuis une dizaine d’années. Des menaces auxquelles les assureurs ont su s’adapter. « Il y a cinq ans, les actes de piraterie étaient garantis dans l’assurance risque de guerre, explique Michael Sharp, souscripteur chez Beazley. Face à la multiplication des attaques, nous avons développé un contrat d’assurance adapté à ce type de risque. »

En 2008, un nouveau produit a fait son apparition à la Lloyd’s de Londres, première bourse mondiale d’assurance : le kidnap and ransom (K&R), c’est-à-dire l’assurance antipirate. Si les assureurs préfèrent rester discrets sur le sujet, de nombreux acteurs anglo-saxons, ainsi que leurs filiales françaises depuis peu, proposent désormais cette police. Cette dernière couvre le remboursement de la rançon, les frais et honoraires du consultant chargé de négocier avec les ravisseurs, les frais annexes liés, le rapatriement, la perte de résultat net ainsi que celle de l’exploitation de l’entreprise, etc. 

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Businessmen

Si les sinistres se chiffrent généralement en millions d’euros, « le montant moyen des rançons est en constante augmentation, remarque Jean de Lavergnolle, souscripteur chez Garex, spécialiste de l’assurance risques de guerre maritime. Le butin moyen est passé de moins de 1 million de dollars en 2007 à plus de 7 millions en 2012 [environ 5,3 millions d’euros] ». Le coût global d’une détention est même estimé à 13,5 millions de dollars. « Les pirates passent souvent pour des bandits ignorants, mais en réalité ce sont des investisseurs organisés. Ils se considèrent même comme des businessmen », poursuit-il. Et le prix de la police est fixé au cas par cas.

« S’assurer contre la piraterie peut coûter entre 0,03 % et 0,1 % de la valeur totale du navire », détaille Hubert Chazelle, courtier spécialisé en assurance transport chez Cap Marine Assurances et Réassurances. En fait, le montant dépend de facteurs précis réévalués régulièrement, tels que le niveau de risque des zones traversées, le franc-bord du navire (distance verticale entre la ligne de flottaison et le pont principal), la vitesse du bateau (l’indice 100 correspondant à 12 noeuds), et de la présence ou non de gardes armés à bord. « Par exemple, pour un gros porte-conteneurs rapide avec des hommes à bord, le K&R pourrait ne coûter que 1 500 dollars la traversée, indique-t-il. À l’inverse, la police peut atteindre plus de 100 000 dollars dans certains cas extrêmes. » Des dépenses que relativise Michael Sharp : « L’assurance K&R n’est pas chère par rapport aux risques que nous couvrons ! » Aujourd’hui, alors qu’« il est impossible de savoir combien pèse le marché », selon un spécialiste, « plus de 50 % des navires transitant par le golfe d’Aden seraient protégés », estime le souscripteur.

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Corridor

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Selon le dernier rapport du Bureau maritime international (BMI), les attaques au large des côtes de la Somalie ont diminué « de manière significative » au cours du premier semestre de 2013. Embarquement de gardes armés, négociations entre les chefs pirates et le nouveau gouvernement somalien, mise en place d’un corridor de protection… « Nous constatons un ralentissement du phénomène dans l’océan Indien », confirme-t-on du côté du transporteur maritime français CMA CGM. À l’inverse, dans le golfe de Guinée, les actes de piraterie sont en hausse, avec 31 incidents dans la région, dont 22 ont eu lieu au large des côtes du Nigeria. CMA CGM indique qu’à la mi-juillet « le nombre d’attaques y est déjà plus important que sur toute l’année 2012 ».

Le BMI estime le coût des marchandises volées en 2012 dans le golfe de Guinée entre 34 millions et 101 millions de dollars. « L’industrie du transport maritime avait sous-estimé les risques dans le golfe d’Aden, rappelle Michael Sharp. Il ne faudrait pas que l’histoire se répète dans le golfe de Guinée. » Selon lui, à peine 5 % des navires transitant dans cette zone sont assurés contre ce type de menace. L’assureur Beazley a donc lancé un produit spécifique en décembre 2012. Les assurances antipirates ont de beaux jours devant elles.

L’Afrique de l’Ouest contre-attaque

Face à la croissance exponentielle des actesde piraterie, les pays d’Afrique centrale et d’Afrique de l’Ouest ont signé un accord le 25 juin.

Objectif: créer un organe régional chargé de lutter contre la piraterie dans le golfe de Guinée et d’établir un code de conduite commun. En attendant, les pays s’équipent. Le Sénégal vient d’acquérir une vedette rapide de 33 m construite en France pour étoffer son arsenal antipiraterie. La Côte d’Ivoire aurait passé une commande de 32 vedettes pour la surveillance de ses côtes. Le Togo a commandé deux unités de ce type, livrables en mars et juillet 2014. B.T.

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