Franck Mermier : « La stratégie du chaos de Saleh s’est retournée contre lui »

Un raïs en convalescence en Arabie saoudite, des forces loyalistes emmenées par son fils, une opposition divisée : la situation du Yémen est chaotique. L’analyse de Franck Mermier, chercheur au CNRS.

Ali Abdallah Saleh le 13 mai à Sanaa. © Khaled Abdullah/Reuters

Ali Abdallah Saleh le 13 mai à Sanaa. © Khaled Abdullah/Reuters

ProfilAuteur_LaurentDeSaintPerier

Publié le 25 juillet 2011 Lecture : 4 minutes.

Ali Abdallah Saleh, président du Yémen, devait célébrer le trente-troisième anniversaire de son accession au pouvoir, le 17 juillet, dans sa capitale, Sanaa. Mais le raïs, contesté depuis la mi-janvier, a dû poursuivre sa convalescence en Arabie saoudite après avoir été grièvement blessé, début juin, par une bombe placée dans la mosquée de son palais. Celui-ci est désormais occupé par son fils Ahmed, qui tente avec ses fidèles de réprimer la révolution. Face à eux, des manifestants résolus à faire tomber le régime, appuyés par des unités de l’armée et certains groupes tribaux. Mais l’opposition est loin d’être homogène et de partager les mêmes méthodes. Franck Mermier, chercheur au CNRS et ancien directeur du Centre français d’études yéménites (à Sanaa) de 1991 à 1997, décrypte cette situation complexe.

Quelle est la situation au Yémen ?

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Le pays est très fragmenté, notamment la capitale Sanaa, divisée entre plusieurs factions. Au Sud, les forces du président, commandées par ses deux fils et ses neveux : garde présidentielle, garde républicaine, sûreté générale et une partie de l’armée. De l’autre côté, les troupes du général dissident Ali Mohsen et les forces tribales des deux frères Sadek et Hamid al-Ahmar, qui contrôlent le nord de la capitale. Sadek dirige la confédération tribale des Hached et Hamid est le chef du Rassemblement yéménite pour la réforme, le principal parti d’opposition qui englobe des islamistes radicaux et modérés, ainsi qu’une base tribale.

La ville de Taez est également partagée entre la garde républicaine, favorable au régime, et des milices tribales pro-révolutionnaires. Aden est plus calme pour l’instant, certainement à cause de la concentration de forces militaires fidèles au président qui essaient de contrer l’offensive des radicaux djihadistes dans la province d’Abjan. Chacun est sur le pied de guerre et la situation sécuritaire est très instable, mais elle ne tourne pas encore à l’affrontement généralisé.

Une confrontation générale serait-elle possible ?

Tout est possible, car le pays est suspendu à la décision de Saleh de signer le plan de sortie de crise. Il avait failli le faire le 22 mai, mais s’en est abstenu, contrairement aux partis de l’opposition et à son propre parti, le Congrès populaire général. C’est lui qui a décidé d’aller à la confrontation violente en faisant bombarder les résidences des Al-Ahmar. Il a essayé d’appliquer la stratégie du chaos, mais celle-ci s’est retournée contre lui lorsqu’un attentat l’a frappé à l’intérieur même de son palais.

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Le Conseil de transition ne semble pas faire l’unanimité…

En effet, une partie de l’opposition, la jeunesse notamment, a créé un Conseil national transitoire. Mais ils n’ont pas été suivis par le Forum commun et par une partie de la jeunesse : il y a un éclatement de l’opposition entre des jusqu’au-boutistes qui veulent un changement immédiat de régime et l’opposition plus pragmatique du Forum commun. Les premiers se fondent sur la légitimité de la rue pour établir une sorte de gouvernement transitoire, les seconds tablent sur les pressions américano-saoudiennes sur Saleh pour qu’il signe le plan de sortie de crise et renonce au pouvoir.

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Une partie de l’opposition rejette le plan du Conseil de coopération du Golfe.

L’opposition de la rue le rejette, car elle craint que Saleh s’accroche à la présidence et que ses fils et neveux, qui tiennent l’appareil militaire, conservent la réalité du pouvoir. Ils craignent aussi de se faire confisquer la révolution par le clan Al-Ahmar allié avec le général dissident Ali Mohsen, demi-frère de Saleh, qui a toujours cru qu’il deviendrait président après lui. La crise entre les deux hommes vient du fait que Saleh ait préféré son fils Ahmed pour lui succéder.

Le retour de Saleh est-il possible ?

Je pense que les Saoudiens ne vont pas le laisser partir sans qu’il ait signé un plan de sortie de crise. Le jeu de l’Arabie saoudite est trouble : elle soutient Saleh, mais elle compte aussi des alliés dans l’opposition, notamment les Al-Ahmar et Ali Mohsen. Elle a donc deux fers au feu : le régime et ses opposants, mais des opposants qui étaient, il n’y a pas si longtemps, des piliers du système Saleh.

Quelle est la position des États-Unis ?

Elle doit être proche de celle des Saoudiens. Le Yémen de Saleh est un allié stratégique : ils lui ont donné des dizaines de millions de dollars pour lutter contre Al-Qaïda, ils ont formé Ahmed Saleh et les unités spéciales à la lutte antiterroriste. Ils ont fini par tourner casaque à cause des précédents tunisien et égyptien, mais ils ne sont pas non plus favorables à une rupture totale au Yémen : les Américains verraient d’un très bon œil les anciens partisans du régime prendre le pouvoir.

Qu’en est-il de la menace Al-Qaïda ?

Le président Saleh a essayé de criminaliser son opposition en la prétendant liée à Al-Qaïda. Le phénomène est aussi grossi par les médias. Al-Qaïda ne représente pas grand-chose au Yémen : en termes de violence, ce n’est rien comparé à la guerre contre les Houthis au Nord, à la répression exercée contre les manifestants, aux conflits tribaux…Certes, Al-Qaïda représente une menace, mais sa capacité de manœuvre est assez faible, selon moi. Il ne faut pas non plus oublier d’autres groupes dangereux, comme le mouvement des Partisans de la charia, mais ceux-ci ont des objectifs nationaux.

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Propos recueillis par Laurent de Saint Périer

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