Laurent-Désiré Kabila, sur les pas de Mobutu

Quel aura été le destin de Laurent-Désiré Kabila, abattu par un soldat de sa garde il y a tout juste dix ans ? Auréolé d’un passé lumumbiste, marxisant, le « Mzee » s’est révélé, une fois au pouvoir, moins proche du père de l’indépendance que de celui qu’il remplaçait : le maréchal Mobutu Sese Seko. Revivez le parcours du combattant Kabila à travers un article de Jean-Dominique Geslin, paru dans Jeune Afrique l’Intelligent n° 2089, daté du 23 au 29 janvier 2001.

A la tête des ADFL, Laurent-Désiré Kabila sait qu’il est en route vers le pouvoir. © D.R.

A la tête des ADFL, Laurent-Désiré Kabila sait qu’il est en route vers le pouvoir. © D.R.

Publié le 16 janvier 2011 Lecture : 7 minutes.

Les coïncidences de l’Histoire sont parfois cruelles. En disparaissant tout juste quarante ans (à quelques heures près) après Patrice Lumumba, Laurent-Désiré Kabila (LDK) sera demeuré, jusqu’au bout – et bien involontairement -, marqué par l’imagerie révolutionnaire du Congo. Mais, au-delà de ce hasard du calendrier, l’empreinte laissée par LDK sur la nation congolaise reste très difficilement comparable à l’héritage politique légué par le père de l’Indépendance.

Pourtant, lorsque le 17 mai 1997 ce sexagénaire rondouillard remplace le maréchal Mobutu à la tête du Zaïre, l’immense espoir que suscite son accession au pouvoir suprême n’est pas sans rappeler la ferveur du début des années soixante. Ancien maquisard marxisant, le Mzee, tout auréolé de son passé lumumbiste, est alors présenté comme l’irréductible opposant du maréchal. Cet adversaire de la première heure est aussitôt hissé au rang de leader progressiste, de messie du panafricanisme dont s’emparent aussitôt les populations du continent. En déboulonnant l’homme à la toque de léopard, LDK brise un symbole d’oppression et acquiert par là même une aura qui dépasse largement les frontières de son pays.

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Mais en fait de victoire, Kabila bénéficie surtout d’un formidable concours de circonstances. Coopté par l’Ougandais Yoweri Museveni et le Rwandais Paul Kagamé pour prendre la tête d’une rébellion qui ne doit son existence qu’au bon vouloir de ses puissants parrains, il sait qu’en prenant le contrôle de l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL), il s’ouvre une voie royale vers le pouvoir.

Épuration zélée

Passé l’euphorie du 17 mai, le nouveau pouvoir kinois va très vite dévoiler son vrai visage. Le 28 mai 1997, LDK s’octroie les pleins pouvoirs. Dès lors, il n’aura de cesse que de concentrer peu à peu entre ses mains la quasi-totalité des attributions politiques et militaires.

Fossoyeur du mobutisme, il va peu à peu reprendre à son compte les méthodes qui ont fait la sinistre réputation du précédent régime. Très vite, les activités des partis politiques sont interdites. La Cour d’ordre militaire, nouvelle juridiction d’exception, prend rapidement le pas sur un système judiciaire déliquescent.

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Simultanément, l’Office des biens mal acquis, chargé de traquer les crimes économiques commis sous l’ancien régime, entame une épuration particulièrement zélée. Quelques mois plus tard, l’Association de défense des droits de l’homme (Azadho) est dissoute. Le chef de file de l’opposition, Étienne Tshisekedi, est relégué dans son village du Kasal, alors que d’autres, comme Joseph Olenghankoy ou Arthur Z’Ahidi Ngoma, croupissent dans les geôles katangaises de Buluwo. La répression est telle que certains commencent à regretter la IIe République: « Au moins, sous Mobutu, le multipartisme était autorisé, déclare Étienne Tshisekedi, le leader de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS). Kabila s’est révélé pire dans bien des domaines. »

Maoïste et trafiquant d’or

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Sur le front diplomatique, les relations avec les Occidentaux s’enveniment. À partir de 1998, les Nations unies enquêtent sur le massacre de 200 000 réfugiés hutus qui auraient été exterminés durant la marche de l’AFDL sur Kinshasa, Visiblement agacé par ces investigations, le pouvoir va d’abord nier en bloc. Puis, Kinshasa reconnaît avoir été informé de ces crimes après coup et en impute la responsabilité à l’Armée patriotique rwandaise. Les relations, entre le Mzee et ceux qui l’ont fait roi vont alors gravement se détériorer, jusqu’à ce qu’éclate la guerre, le 2 août 1998, sous couvert d’une rébellion antikabiliste soutenue par le Rwanda et l’Ouganda. Un retournement de situation qui va alors permettre à Kinshasa de « tout justifier. » La situation de crise suscitée par la guerre dans l’est du pays a servi d’alibi à toutes les mesures d’exceptions et à toutes les violations du droit, estime un diplomate en poste en Afrique centrale. Mais comment pouvait-on attendre d’un ex-maquisard devenu trafiquant d’or qu’il sache gérer un pays de cinquante millions d’habitants ? Comment s’imaginer qu’un homme qui tient à la fois du maquignon auvergnat et du terroriste tiers-mondiste devienne un homme d’Etat du jour au lendemain ? »

Le parcours de Kabila est pour le moins original. Apparu dans le sillage des militants de l’Indépendance, cet éternel rebelle hante la vie politique congolaise depuis le début des années soixante. Originaire du Nord-Katanga, ce Luba, né à Moba le 27 novembre 1939, s’illustre tout d’abord au sein des milices nationalistes Balubakat. En 1963, il rejoint les leaders lumumbistes qui créent le Comité national de libération (CNL). Il va alors participer à plusieurs actions militaires. On le retrouve en mai 1965 en Tanzanie d’où il dirige la zone opérationnelle du Kivu et du Katanga. A ses côtés, Ernesto Che Guevara fera une apparition dont il tirera un bilan désabusé, mettant en cause la maturité révolutionnaire d’une rébellion minée par l’alcoolisme.

Après sa défaite dans le camp des lumumbistes, Kabila va fonder son propre mouvement, le Parti de la révolution populaire (PRP), Sa branche militaire s’établit dans la région de Fizi, au Sud-Kivu, et mise sur une guerre populaire prolongée, « à la chinoise », enracinée en milieu rural. Soutenu par le président tanzanien Julius Nyerere, ce maquis, baptisé « Zone rouge », persistera pendant près de vingt ans. Demeuré très mystérieux, ce phalanstère maoïste voue à son chef un culte de la personnalité sans bornes. 

À la tête d’un maquis perdu en brousse, Kabila voyage beaucoup… et en profite pour étoffer son carnet d’adresses. D’Alger au Caire en passant par Tripoli, il tente de convaincre les chefs d’État progressistes de soutenir la révolution congolaise. L’Algérie, le Soudan et la Libye lui font bon accueil. Dans les années quatre-vingt, il rencontre également Yasser Arafat au Liban, puis Saddam Hussein à Bagdad. Mais la foi dans la révolution vacille, et le chef se reconvertit dans l’import-export entre la Tanzanie et l’Ouganda. Jusqu’à un certain matin d’octobre 1996, où l’on viendra le chercher pour tenter un nouveau coup contre le régime finissant du maréchal malade.

3 août 1964. Laurent-Désiré Kabila et les autres dirigeants du gouvernement insurectionnel du Kivu, présidé par Gaston Soumaliot (2e à dr.)

© Sipa Press

Le dinosaure est arrivé trop tard

En souvenir de ces années de dogmatisme révolutionnaire, le Mzee tentera d’inoculer quelques-unes de ses convictions aux Kinois dubitatifs. L’institution, en avril 1999, des Comités de pouvoir populaire (CPP), inspirés des modèles cubains et libyens, et tous les attributs du socialisme tropical le plus intransigeant laisseront ses concitoyens indifférents. Toutefois, le maître de Kinshasa a su user de son credo « progressiste » comme signe de ralliement à sa cause. Et si l’offensive rwando-ougandaise n’a pas eu raison de lui, c’est bien à ses frères de lutte qu’il doit son salut. À commencer par le Zimbabwéen Robert Mugabe, qui dépense plusieurs dizaines de millions de dollars par mois pour le soutenir militairement. Le MPLA angolais lui est également favorable. Idem pour la Libye. Plus lointaines, la Chine, Cuba et même la Corée du Nord n’ont pas manqué de déceler chez lui certaines qualités anti-impérialistes de plus en plus rares chez les dirigeants africains. Mais le dinosaure est arrivé trop tard. Dix ans après la fin de la guerre froide, le régime Kabila a cédé à un autoritarisme d’un autre âge. La balkanisation du pays aidant, la paranoïa du complot a atteint son paroxysme, pour le plus grand profit des officines de sécurité : Demiap (Détection militaire des activités antipatrie), GSSP (Groupe spécial de sécurité présidentielle), ANR (Agence nationale de renseignement), PIR (Police d’intervention rapide)…

Accusé de crime contre l’humanité

Pour mener son action politique, le Mzee s’est replié sur son clan et sur les fidèles de la première heure. Nombre de ses collaborateurs ressemblent plus à des aventuriers qu’à des politiciens chevronnés. Parmi les « phalangistes », son cousin Gaëtan Kakudji au ministère de l’Intérieur, son ami Pierre-Victor Mpoyo, chargé du Pétrole et des relations avec l’Angola, et son confident Abdoulaye Yerodia, psychanalyste accusé par la justice belge de crime contre l’humanité, l’ont accompagné durant toutes ces années. La famille katangaise a également tenu une place majeure dans sa galaxie : la nomination de son fils, Joseph, comme chef d’état-major de l’armée de terre en est la preuve. Et sa désignation pour assurer l’intérim du chef de l’État accentue encore le caractère monarchique imposé par LDK à son régime.

Enfin, en marge de ces différents cercles du pouvoir, quelques personnalités autonomes se sont agrégées au fil du temps et des rencontres. C’est notamment le cas de l’insaisissable Dominique Sakombi. Ministre de l’Information de Mobutu, il occupe cette même fonction au sein du gouvernement congolais. Conseiller en communication du Mzee, il a, tout comme pour son prédécesseur, encouragé un certain culte de la personnalité. Ainsi, dès l’accession de Kabila au pouvoir, Kinshasa a été jalonné d’immenses effigies du nouveau maître du Congo agrémentées du mot d’ordre: « Mzee L.-D. Kabila, voici l’homme qu’il fallait ! » En choisissant de conjuguer leur slogan à l’imparfait, les thuriféraires du régime se doutaient-ils de la « brièveté» du règne qui s’ouvrait ?

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