Immortels tirailleurs

Autodidacte remarqué par Willy Ronis pour son travail sur les civilisations lacustres du Bénin, Philippe Guionie se consacre aux derniers soldats africains de la Seconde Guerre mondiale.

Publié le 8 décembre 2008 Lecture : 3 minutes.

Lentement, dans une indifférence générale troublée de temps à autre par un sursaut de conscience, les derniers tirailleurs glissent vers la mort. D’ici à quatre ou cinq ans, il ne restera d’eux que des os nourrissant ces terres d’Afrique que traversent les fleuves Sénégal, Congo et Niger.

Avant qu’ils ne retournent à la poussière, le photographe français Philippe Guionie1 a entrepris une course effrénée contre le temps. Son travail, « Le Tirailleur et les trois fleuves »2, qui rend hommage aux anciens combattants des deux conflits mondiaux, a été salué par le prix Roger-Pic 2008. Mais la quête entamée par Philippe Guionie il y a maintenant ­quatorze ans ne s’arrête pas là. « Les tirailleurs sont nos contemporains ! » martèle-t-il avec conviction, comme si le leitmotiv pouvait ralentir la fuite des années.

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Au début des années 1990, Philippe Guionie n’était pas photographe. Il était historien, spécialiste de l’Afrique francophone. « À l’époque, raconte-t-il, j’étais porté par une dynamique universitaire. Je voulais remonter à la source, travailler sur les documents. J’avais un rapport très livresque à l’histoire… Puis il y a eu, en 1998, la mort du dernier tirailleur sénégalais ayant participé à la Première Guerre mondiale. Cela a été l’élément déclencheur. » Abdoulaye N’Diaye est décédé à l’âge de 104 ans, un 10 novembre, alors qu’il allait recevoir la Légion d’honneur…

Grand silence

En Afrique, Philippe Guionie n’a pas rencontré ce personnage abstrait appelé « tirailleur » que le dictionnaire définit ainsi  : « Fantassin recruté autrefois parmi les autochtones des anciens territoires français d’outre-mer. » Il a en revanche rencontré des hommes aux histoires différentes, parlé de leurs faits d’armes et de leur quotidien, discuté avec leur femme et leurs enfants, leur veuve parfois. Recueillir leurs témoignages avant le grand silence est devenu une urgence. « Je revendique une démarche documentaire et sociale, répète Guionie. Je ne suis pas en position ­d’accusateur. Je veux restituer la complexité de leur vie et tracer une sorte de carnet de route mémoriel. Je me demande toujours qui est l’homme derrière le soldat. »

L’itinéraire de Philippe Guionie passe par plus de vingt pays, visités au rythme de trois ou quatre voyages par an. Armé d’appareils Rolleiflex datant des années 1950 et 1960, le photographe se rend dans les Maisons du combattant que l’on trouve un peu partout en Afrique de l’Ouest. C’est généralement là qu’il noue le contact avec des tirailleurs.

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S’ensuivent de longs entretiens au cours desquels il prend le temps de les écouter. Sur tous les sujets. La guerre, bien sûr, mais pas seulement. En essayant de « rester à la hauteur de la dignité de ces hommes », Guionie les questionne sur leurs souvenirs de jeunesse, les paysages qu’ils ont traversés, leur rapport à la terre, leurs doutes, leurs amours. Le quotidien et l’actualité ne sont pas bannis : « Avec eux, je parle aussi des visas et de l’immigration ! » Les paroles recueillies dans ces précieux moments d’intimité ne mourront pas.

Philippe Guionie photographie – les hommes, les lieux, les documents – et enregistre – les voix, les ambiances, les chants. Le livre qu’il a publié en 2006, Anciens Combattants africains, était ainsi accompagné d’un CD permettant d’entendre certains d’entre eux.

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Inexorablement, les tirailleurs s’effacent dans la vieillesse. Convaincu qu’il leur survivra, Philippe Guionie a déjà un projet d’hommage. Il rêve d’organiser, d’ici à quatre ou cinq ans, une grande exposition dans un musée parisien (la Maison européenne de la photo, le Jeu de paume…) et de publier un « ouvrage photographique et sonore avec alternance de portraits, de détails et de paysages, dans lequel une dizaine d’écrivains africains poseront leur regard sur la figure emblématique du tirailleur. »

En attente de nouveaux témoi­gnages, « le Blanc qui revient toujours » (le surnom de Guionie en langue fon) compte aussi sélectionner et présenter des photographes africains ayant travaillé sur le même sujet. Comme, par exemple, le Sénégalais Oumar Ly.

Même s’il se tourne aujourd’hui aussi vers les diasporas noires d’Amérique du Sud pour un projet intitulé Africa-America, Philippe Guionie continuera longtemps d’accompagner la mémoire des tirailleurs. Bien après la fin du compte à rebours.

1. www.philippe-guionie.com

2. « Le Tirailleur et les trois fleuves », exposition de Philippe Guionie, jusqu’au 15 janvier à La Scam, 5, rue Vélasquez, à Paris.

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