USFP : la résurrection

La principale formation de gauche a enfin élu sa nouvelle direction. Ce qui devait être le congrès de l’éclatement â¨et de l’effondrement aura finalement été le congrès du salut.

Publié le 1 décembre 2008 Lecture : 8 minutes.

Au Congrès de l’Union socialiste des forces populaires (USFP), l’événement n’est pas tant ce qui a eu lieu que ce qui ne s’est pas produit. La mort de la principale formation de la gauche était annoncée, attendue, voire souhaitée. Certains cherchaient déjà à en recueillir les dépouilles. Le diagnostic pessimiste quant à l’avenir du parti de Mehdi Ben Barka n’était pas inspiré par l’erreur d’analyse ou la malveillance. L’USFP était vraiment mal en point et semblait incapable de se remettre. Aux législatives de septembre 2007, elle avait dégringolé de la première à la cinquième place. Par la suite, son leader, Mohamed Elyazghi, n’avait d’autre souci que de se maintenir au gouvernement. Il a réussi à obtenir le ministère d’État sans portefeuille, perdant au passage son poste à la tête du parti. Le 8e congrès, réuni à Bouznika en juin dernier, n’a même pas réussi à se mettre d’accord sur le mode de scrutin pour désigner une nouvelle direction et a dû interrompre ses travaux. C’est la seconde phase de ce congrès qui s’est tenue à Skhirat, du 7 au 9 novembre. Pendant ces cinq mois, les socialistes ont eu donc tout le temps de réfléchir.

Pour la désignation du premier secrétaire, la rivalité entre les candidats – à commencer par les favoris, Abdelouahed Radi et Fathallah Oualalou – risquait d’exacerber les dissensions. À la veille du congrès, un vent de démagogie soufflait sur l’USFP. Habib El Malki, plutôt accommodant d’ordinaire, se découvrait des affinités avec le fougueux Driss Lachgar et promettait, s’il était élu, la sortie des socialistes du gouvernement ! La crise du parti risquait ainsi de dégénérer en crise politique.

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Toutes les craintes et prévisions ont été finalement démenties. Skhirat n’est pas éloigné de Bouznika, mais d’un round à l’autre, l’état d’esprit a été sensiblement différent. Ce qui devait être le congrès de l’éclatement et de l’effondrement sera le congrès du salut et de la résurrection. L’abandon du scrutin de liste pour désigner la direction du parti a été décisif. À la satisfaction, en particulier, de Lachgar, qui a la haute main sur l’appareil et qui voyait, non sans raison, un moyen de l’éliminer. Du coup, on est revenu à des modalités plus classiques (scrutin uninominal) et à de meilleurs sentiments entre les concurrents. C’est le collège des congressistes (1 332) qui choisit à bulletin secret le premier secrétaire, puis les membres du Bureau politique (22) et du Conseil national (225).

Scrutin transparent

Les quatre candidats mentionnés (plus deux autres, de moindre envergure) ont exposé tour à tour leur profession de foi. Oualalou, qui a parlé en dernier, a soulevé l’enthousiasme. Rigueur, compétence, sincérité, modestie, aisance… N’en jetez plus. Un congressiste, qui n’est d’ailleurs pas de ses amis, était vraiment bluffé : « N’étaient sa taille et la couleur de sa peau, c’est du Barack Obama ! » On procède ensuite au vote, en glissant les bulletins dans des urnes transparentes. Le contrôle est tel que toute fraude est impossible. L’effet de sa prestation aidant, Oualalou est donné gagnant. Mais c’est Radi qui l’emporte avec seulement 25 points d’avance. Voici les chiffres : Radi 340, Oualalou 315, Lachgar 286, Malki 238. Pour simplifier, la victoire de Radi sur Oualalou est celle des campagnes sur les villes. Elle reflète cette transformation de l’USFP depuis une décennie de parti des militants en parti des notables qu’a analysée la politologue Mounia Bennani-Chraïbi. L’ancien président du Parlement a bénéficié également du vote bloqué du PSD (gauchistes en rupture de ban revenus au bercail). En soutenant un « premier secrétaire de transition », comme Radi se définit lui-même, ce groupe, qui alignait une centaine de congressistes, pensait accroître son influence. Enfin, Elyazghi s’est mobilisé pour Radi. Peut-être parce qu’il le considère plus malléable que son principal concurrent.

À l’annonce des résultats, Lachgar, qui était sûr d’être élu, a réagi avec humeur. Ses partisans ont crié à la manipulation. On se croyait revenu à Bouznika avec des manifestants traitant Radi – suprême injure –  d’« homme du Makhzen » et exigeant le retrait du gouvernement El Fassi. Mais les protestataires se réduisent à une quinzaine d’hurluberlus et l’incident, qui ressemblait à de « l’autoallumage », n’a guère duré.

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Le lendemain, samedi 8, on a frôlé une crise plus sérieuse. À l’origine, une initiative de Oualalou, qui annonce qu’il n’a pas l’intention de se présenter au Bureau politique. Pour lui, c’est la conséquence logique de son échec et une preuve de fair-play. Telle n’est pas l’opinion de ses amis. Pas question de se porter candidats sans leur chef de file. Mohamed Achaari, l’ancien ministre de la Culture, qui apparaît comme l’un des piliers dans la nouvelle configuration socialiste, menace de quitter carrément le congrès si Oualalou ne revient pas sur sa décision. L’intéressé, qui ne s’attendait pas à voir son geste susciter tant de remous, obtempère.

Résultats nuancés

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Élection donc des 22 membres du Bureau politique qui attire plus de 90 candidats. Les résultats, plutôt hétérogènes, nuancés, vont sans doute influer sur l’orientation et le fonctionnement de la nouvelle USFP. D’abord, plusieurs représentants des « notables » ayant soutenu Radi n’ont pas été payés de retour. Absence du PSD, qui a voté en bloc pour le premier secrétaire et perdu en bloc. En revanche, le « noyau dur » socialiste, proche de Oualalou, est mieux représenté. À noter encore le retour en force de Lachgar. Des nouvelles têtes, dont Abdelhamid Jmahri, rédacteur en chef du journal du parti en arabe, ainsi que Ali Bouabid, qui anime la fondation du même nom.

Ainsi, Abdelouahed Radi, le nouveau chef de l’USFP, n’aura pas une équipe à sa main. Mais il n’en a cure. Lui n’est pas un homme de pouvoir mais un homme de conciliation et de compromis : 73 ans, études de psychologie, fils d’un caïd nationaliste, engeance rare sous le protectorat, qui était resté fidèle à Mohammed V lors de sa destitution en 1953 par les autorités coloniales. Autre ascendance prestigieuse : sa mère appartient à la famille royale des Alaoui. Député de tous les Parlements depuis l’indépendance, son itinéraire politique se caractérise par une double allégeance à la monarchie et à la gauche vécue apparemment sans états d’âme. Hassan II l’appréciait et lui avait confié des missions délicates comme le secrétariat général de l’Union arabo-africaine (UAA) conclue en 1984 avec Mouammar Kadhafi.

On ne le sait pas assez, Radi était le mieux placé pour succéder à Abderrah­mane Youssoufi à la tête du parti en 2002. Celui-ci l’avait même adoubé en adressant à lui (et non à Elyazghi) la lettre annonçant son retrait de la vie politique. Mais le destinataire a préféré s’effacer, sans doute pour ne pas contrarier les ambitions de Mohamed Elyazghi. Une autre péripétie complète le profil du personnage. C’était lors de l’éviction brutale du même Elyazghi à la fin de 2007 par le Bureau politique. En tant que premier secrétaire adjoint, Radi était concerné par la même décision, mais lui dédramatise la situation : « Vous nous avez nommés, vous pouvez donc nous évincer. C’est normal. » Fou de rage, Elyazghi quitte la réunion et boycotte désormais le Bureau politique. Radi l’accompagne jusqu’à la porte et revient s’asseoir à sa place. Par la suite, il affiche ses ambitions avec un argument unique : « C’est mon tour ! » Et n’en démord pas jusqu’à la victoire de Skhirat.

« monarchie parlementaire »

Quelles seront les priorités du nouveau leader socialiste ? Elles s’imposent d’elles-mêmes : les élections locales de juin 2009. Les Marocains se sentent davantage concernés par celles-ci que par les législatives. Et les enjeux sont énormes pour les socialistes. Alors qu’ils contrôlaient la plupart des grandes villes en 1976 (Rabat, Casablanca, Fès, Meknès, Oujda, Tétouan…), ils ne dirigent plus aujourd’hui qu’Agadir ! Un second objectif inséparable de la préparation des élections : la réorganisation du parti. De crise en scission, l’USFP a souffert d’une grave hémorragie de militants sous l’ère Elyazghi. Cause principale de ces déperditions qui ne sont pas sans lien avec ses déboires électoraux : l’absence de démocratie interne. Or un événement majeur a eu lieu à Skhirat. Pour la première fois, la gauche, qui célèbre son cinquantenaire l’année prochaine, a organisé de véritables élections pour désigner ses dirigeants. Grâce à quoi le parti de Abderrahim Bouabid pourrait fonctionner avec plus de sérénité et d’efficacité, et il aura plus de chances de récupérer les cohortes de valeureux militants qui s’en étaient éloignés.

Sur le plan proprement politique, que va faire l’USFP ressuscitée ? On a beaucoup parlé de retrait du gouvernement Abbas El Fassi, de dislocation de la Koutla (alliance avec l’Istiqlal et le PPS, Parti du progrès et du socialisme). En fait, il s’agit davantage d’accès de surenchère électorale que de projets réfléchis. On souhaite tout au plus « renégocier » la participation au gouvernement, c’est-à-dire introduire des aménagements, des ajustements au nombre et à la répartition des ministères échus aux socialistes. Il est question aussi de « muscler » le programme du gouvernement pour affronter dans de meilleures conditions les échéances électorales. En ce qui concerne la Koutla, tout le monde admet qu’elle a fait son temps, mais, comme le reconnaît honnêtement Achaari, « nous ne pouvons rien faire tout seuls, surtout en matière de réformes institutionnelles ». À ce sujet, le congrès de Skhirat a renoué avec une notion qui avait suscité des remous dans le passé : « la monarchie parlementaire ». À leur 3e congrès, en 1978, les socialistes avaient plaidé pour « le passage d’une monarchie makhzénienne à une monarchie parlementaire ». Hassan II avait réagi immédiatement et leur journal avait été saisi. Aujourd’hui, en évoquant une telle forme institutionnelle, on prend soin de s’entourer d’un luxe de précautions pour ne pas mécontenter le palais.

Les relations avec Mohammed VI sont d’ailleurs au beau fixe. Au lendemain du congrès de Bouznika, le roi a demandé discrètement à Youssoufi d’intervenir auprès des socialistes pour les inviter à mettre fin à une crise préjudiciable pour tous. Nouveau geste de sollicitude royale après le congrès de Skhirat : Mohammed VI a envoyé une lettre au nouveau premier secrétaire pour le féliciter et s’est adressé par la même occasion « aux militantes et aux militants de l’USFP », dont il a salué « l’engagement citoyen ». Une initiative et des mots qui, sous la monarchie chérifienne, sont chargés de sens.

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