Adieu Cesaria Evora, par Ismaël Lo

Cesaria Evora, « la diva aux pieds nus » est décédée le 17 décembre 2011, à l’âge de 70 ans. Au Cap-Vert, des milliers de personnes ont assisté à son enterrement, trois jours plus tard. Le musicien sénégalais Ismaël Lo lui rend ici un hommage personnel (texte paru dans le J.A. n° 2659-2660).  

Cesaria Evora, le 10 octobre 2009 lors d’un concert à Paris. © Thomas Coex/AFP/Archives

Cesaria Evora, le 10 octobre 2009 lors d’un concert à Paris. © Thomas Coex/AFP/Archives

Publié le 2 janvier 2012 Lecture : 3 minutes.

Cesaria Evora, la première fois que je l’ai rencontrée, c’était il y a une douzaine d’années, au cours d’un festival, quelque part en Europe. Elle m’a aperçu au loin et m’a fait signe d’approcher. On a discuté quelques minutes, elle m’a encouragé dans mon travail et demandé des nouvelles du pays. Je me souviens avoir été très ému devant ce bout de femme énergique que j’admirais et dont j’écoutais déjà la musique grâce à mon voisin, M. Lopes, un inconditionnel originaire du Cap-Vert. Cette brève rencontre m’avait donné envie de travailler avec elle. Et avant même que je n’en formule l’idée, c’est elle qui me contacte, par l’intermédiaire de son manager, José da Silva. C’est comme ça que nous avons sorti Africa Nossa, en 2006.

Par la suite, on aurait dit que nos destins étaient liés. Nous nous retrouvions partout, sur toutes les scènes du monde : Paris, Londres, Johannesburg, Lanzarote (Espagne)… Avec, à chaque fois, le même plaisir. Cesaria me faisait rire, elle ne pouvait s’empêcher de me taquiner et, entre nous, la langue n’était pas un obstacle : nos deux pays, le Sénégal et le Cap-Vert, sont frères, et José parlait bien wolof, la langue la plus répandue au Sénégal, il pouvait traduire. Je me souviens d’une fois où nous nous sommes vus à Mindelo, sur l’île de São Vicente, où elle est née. Je lui avais rendu visite après un concert et, comme d’habitude, elle m’avait accueilli avec ses taquineries : « Comment tu vas, Ismaël ? Et ta femme, comment elle va ? Tu sais, un musicien ne doit être marié qu’à sa musique ! »

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Sagesse et tristesse

Cesaria Evora, c’était une femme d’une grande sagesse, de cette sagesse forgée dans la tristesse. Inutile de revenir sur sa vie difficile, ses déboires professionnels avant de connaître la célébrité à 50 ans. Elle arrivait à cacher tout cela derrière sa jovialité et son sens de l’humour. Mais la mélancolie était là, elle se lisait dans ses yeux. Dans sa musique, dans ses textes, elle livrait tout. Je n’aime pas que l’on dise qu’elle faisait de la musique pour Occidentaux… Cesaria se livrait à son public, à ses fans, il n’y avait qu’à la voir sur scène, aussi bien en Afrique qu’en Europe ou en Amérique.

D’une certaine façon, elle a donné une leçon à tous ceux qui en sont encore à faire le distinguo entre les musiques. Elle a montré au monde entier que la musique africaine est la mère de toutes les autres, et qu’elle séduit au-delà des frontières et des cultures. Elle a fait connaître au monde le Cap-Vert, ce petit bout d’Afrique perdu dans l’Atlantique. Grâce à elle, des milliers de personnes ont entendu parler de son archipel, des centaines d’entre elles ont fait le déplacement pour découvrir ce pays magnifique… Mais Cesaria, l’ambassadrice infatigable, ne s’en est jamais vantée. Honorée d’avoir un timbre à son effigie, elle n’en a jamais fait étalage. Tout ce qui comptait, pour elle, c’était de chanter.

Aujourd’hui, « la diva aux pieds nus » n’est plus, mais elle aura ouvert la voie à une nouvelle génération d’artistes cap-verdiens, comme Mayra Andrade et Lura, qui porteront haut le flambeau de la morna et du cabo.

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Tu resteras gravée dans nos mémoires et ta musique nous servira d’héritage à jamais. Adieu Cesaria, repose en paix et que la terre te soit légère.

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