Patronat algérien : un fauteuil pour quatre à la FCE

Le 17 novembre, le Forum des chefs d’entreprises (FCE) doit désigner un nouveau président. Quatre candidats s’opposent : le président sortant, Réda Hamiani, un de ses vice-présidents, Nassim Kerdjoudj et les PDG Hassen Khelifati et Mohamed Baïri. Renouvellement des générations et place de l’entreprise privée en Algérie sont au cœur d’un débat agité.

De gauche à droite, Mohamed Baïri, Hassen Khelifati, Réda Hamiani et Nassim Kerdjoudj. © Glez pour Jeune Afrique

De gauche à droite, Mohamed Baïri, Hassen Khelifati, Réda Hamiani et Nassim Kerdjoudj. © Glez pour Jeune Afrique

Publié le 16 novembre 2011 Lecture : 5 minutes.

À chacun son Printemps – ou son automne – arabe. En ce mois de novembre, c’est au tour du patronat algérien d’être agité par un fort vent de contestation et de démocratie. La principale organisation patronale, le Forum des chefs d’entreprises (FCE), doit se choisir un nouveau président le 17 novembre. Pour la première fois dans l’histoire du jeune syndicat patronal – il a vu le jour en 2000 –, quatre candidats se disputent ce mandat de deux ans renouvelable, un poste stratégique dans l’économie algérienne. En lice : les deux postulants au « changement », Hassen Khelifati, PDG d’Alliance Assurances, et Mohamed Baïri, PDG d’Ival (distribution automobile) ; et les dirigeants en place, Réda Hamiani, l’actuel président du FCE en quête d’un troisième mandat, et l’un de ses vice-présidents, Nassim Kerdjoudj, PDG de Net Skills.

Atmosphère tendue

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« Cette possibilité de choix est la preuve du développement démocratique du FCE » se réjouit Brahim Benabdeslem, directeur général de MDI Business School. « C’est l’expression d’un réel besoin de changement », complète Slim Othmani, président du conseil d’administration de NCA Rouiba (jus de fruits). En 2009, il avait été le premier à défier Hamiani et, aujourd’hui, il soutient Khelifati… qui l’avait lui-même supporté en 2009. « Il parle le langage des chefs d’entreprise. De plus, il travaille en équipe, porte les projets et les assume », explique Slim Othmani.

L’atmosphère est très tendue entre les compétiteurs. Khelifati et Baïri reprochent principalement à Hamiani la perte d’influence du FCE, d’être enfermé dans une tour d’ivoire et de négliger les entrepreneurs hors d’Alger, d’utiliser l’organisation patronale pour sa propre promotion, d’être trop proche des autorités et de ne jamais prendre les devants avec des initiatives ou des propositions lors de négociations avec le gouvernement et les syndicats. Un immobilisme que réfute Hamiani : « En quelques années, le FCE a acquis une place de leader en tant qu’association patronale indépendante. Il a gagné en notoriété et en crédibilité grâce à ses prises de position souvent courageuses et à contre-courant des orientations gouvernementales. »

À la manière d’hommes politiques en campagne, les candidats enchaînent meetings et tournées. Baïri a présenté sa candidature lors d’une manifestation organisée à l’hôtel Hilton d’Alger le 16 octobre. De même, Khelifati aura parcouru plus de 10 000 km à travers le pays avant de réunir ses partisans à l’hôtel Sheraton d’Alger, le 13 novembre, pour dévoiler son programme enrichi du bilan de sa tournée. « Il faut aller parler aux chefs d’entreprise dans leur milieu pour sentir leurs besoins », justifie-t-il.

Guerre de génération

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Cette bagarre relève aussi d’une guerre de générations. « Des voix s’élèvent parmi les entrepreneurs pour demander du sang neuf. Il faut qu’une nouvelle génération de patrons succède à celle de l’indépendance », note Brahim Benabdeslem. Et c’est justement un trio de « quadras » qui tente de pousser vers la sortie l’inamovible Hamiani. Le vote qui doit départager les candidats accuse déjà un retard de six mois : il se déroulera – s’il n’est pas reporté à la dernière minute – lors de l’assemblée générale de l’institution, le 17 novembre. « L’assemblée s’annonce houleuse et le scrutin sera serré », prédit Slim Othmani.

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Sur le plan idéologique, l’épaisseur d’une feuille de cigarette sépare les quatre patrons : avec quelques nuances, ils se battent tous pour renforcer le secteur privé. À la carte de la stabilité jouée par Hamiani, Kerdjoudj ajoute notamment celle du renforcement des relations entre sociétés et universités : « Je compte demander à chaque chef d’entreprise membre du FCE d’animer, deux journées durant l’année, des débats dans une université de leur région pour créer des passerelles entre le patronat et le monde universitaire. »

De son côté, le patron d’Alliance Assurances veut dynamiser la capacité de réflexion du FCE. « Il faut s’organiser en filière pour aller négocier avec des propositions auprès du gouvernement et des syndicats. Les entreprises publiques et privées doivent aussi travailler ensemble pour relever le défi de la diversification de l’économie et créer des emplois, gage de paix sociale. Car l’avenir du pays n’est pas dans les hydrocarbures, mais dans les entreprises », assène Khelifati.

Baïri milite quant à lui pour élargir la base de l’organisation patronale : « Il sera nécessaire de délocaliser vers l’intérieur du pays les sessions de délibération du Forum. Les managers doivent pouvoir bénéficier de notre appui et de notre assistance au sein même de leur environnement. »

Une tâche ardue

Quelle que soit l’identité du futur président, sa tâche ne s’annonce pas simple. Rendre plus audible la voix des patrons, accroître la place du secteur privé ou lutter contre le chômage des jeunes seront d’importants chantiers à mener, même si le contexte économique est plutôt favorable. « Globalement, les performances économiques de l’Algérie restent solides, avec une croissance hors secteur des hydrocarbures attendue à 5 % en 2011 et à 2,5 % en intégrant cette activité », note Joël Toujas-Bernaté, chargé de l’Algérie au Fonds monétaire international (FMI). Une croissance identique est prévue pour 2012.

Pour l’expert, qui prépare un rapport sur l’économie algérienne pour janvier prochain, la croissance est tirée par « un plan d’investissement public très intensif ». Celui-ci poursuit la mise à niveau du pays en matière d’infrastructures routières, de transport, d’eau… Pour financer ces projets, le pays profite toujours d’une solide santé financière. Les réserves extérieures sont comprises entre 125 et 130 milliards d’euros. Ce qui couvre trois années d’exportations. « Ces réserves financières, si on y ajoute l’épargne budgétaire, qui équivaut à 40 % du PIB, apportent aux autorités une bonne visibilité pour mener leur politique budgétaire. En 2011, grâce à la hausse du prix du pétrole, elles ont bénéficié d’une marge de manœuvre qui leur a permis de répondre aux nombreuses demandes sociales », relève Joël Toujas-Bernaté. Le gouvernement a par exemple multiplié les mesures en faveur du logement social et pour lutter contre le chômage des jeunes. « L’emploi des jeunes, avec un taux de chômage de 20 % à 21 %, est le défi le plus important du gouvernement », insiste-t-il. « C’est l’urgence absolue, confirme Réda Hamiani. Mais aujourd’hui, notre démographie livre chaque année 300 000 jeunes sur le marché du travail, pour une capacité de création de 150 000 emplois. »

Mais attention aux dérapages, prévient le FMI. Au 1er janvier, le smic augmentera de 20 %, alors que les salaires des fonctionnaires ont déjà crû en moyenne entre 40 % et 60 % cette année. Résultat ? De 2 % en 2010, le déficit budgétaire de l’État pourrait atteindre 4 % à 5 % en 2011. « S’il y avait un retournement du prix du pétrole à la baisse et un ralentissement marqué de l’économie mondiale, cela pourrait poser des questions sur les équilibres budgétaires. Nous recommandons aux autorités de prendre des mesures de consolidation à moyen et long termes et de contenir la masse salariale », indique Joël Toujas-Bernaté.

En parallèle, Alger doit contribuer à améliorer le climat des affaires, alors que le pays a chuté de cinq places dans le rapport « Doing Business » 2012 (148e sur 183 pays). « L’un des défis à moyen terme de l’Algérie sera de basculer vers un modèle de croissance qui ne sera plus basé sur la dépense publique, mais sur un secteur privé dynamique et créateur d’emplois », lance Joël Toujas-Bernaté. Dans ce but, les patrons du FCE sauront-ils se ressouder autour de leur président après son élection ? 

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Par Jean-Michel Meyer, avec Ahmed Bey, à Alger

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