Chine : un milliardaire au Parti communiste

Liang Wengen, l’homme le plus riche du pays, a été nommé le 29 septembre membre suppléant du Comité central du Parti communiste. Comme un symbole des temps nouveaux.

Le patron du groupe Sany, dont la fortune est estimée à 11 milliards de dollars. © AFP

Le patron du groupe Sany, dont la fortune est estimée à 11 milliards de dollars. © AFP

Publié le 17 octobre 2011 Lecture : 4 minutes.

L’homme le plus riche de Chine entrant au Comité central du Parti communiste chinois (PCC) ? Il n’y a pas si longtemps, la nouvelle aurait paru invraisemblable. Voire totalement absurde. Le 29 septembre, elle est pourtant devenue réalité : Liang Wengen (55 ans) a bel et bien été coopté comme membre suppléant de cette instance, véritable Saint des Saints de la politique chinoise. Une sorte de révolution à l’envers.

Liang préside le groupe Sany, qui emploie 50 000 salariés et fabrique des machines-outils dans le Hunan. Sa fortune est estimée à 11 milliards de dollars (8,2 milliards d’euros). Il incarne à merveille le grand écart permanent entre le dogme de la dictature du prolétariat et la toute-puissance de la nouvelle économie chinoise.

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Les quelque 200 membres permanents du Comité central se réunissent quatre fois l’an pour discuter et approuver les principales mesures législatives. Ils sont élus tous les cinq ans, avec leurs 150 suppléants, par les délégués du parti. C’est parmi eux que sera désignée, dans un an, la nouvelle direction du pays : les neuf membres permanents du Politburo. « Liang a déjà postulé à trois reprises, en vain, à un siège au Comité central, explique le journaliste Chang Wen, du China Herald. La dernière fois, il a très clairement été écarté parce que son groupe a été jugé trop puissant. Mais les choses changent. Le Politburo est résolu à faire davantage de place au secteur privé. 

600 milliardaires rouges

Il est dirigeant d’entreprise, privée bien sûr, ou promoteur immobilier, approche de la quarantaine et habite Pékin ou une grande ville de l’est de la Chine. Tel est le portrait-robot du « milliardaire rouge » dressé par le magazine Hurun, qui, à l’instar de Forbes, son confrère américain, établit chaque année le palmarès des hommes et des femmes les plus riches du pays.

La République populaire compte pas moins de 960 000 millionnaires en dollars – soit 1 Chinois sur 1 400 ! Et 271 milliardaires. Au moins officiellement. Car Ruper Hoogewerf, l’éditeur de Hurun, estime que le nombre de ces derniers avoisine en réalité les 600. Preuve que, au pays de Mao Zedong, la fortune reste un sujet partiellement tabou.

Main dans la main

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C’est l’ancien président Jiang Zemin qui, en 2001, avait donné le signal de l’ouverture en demandant que les entrepreneurs privés puissent adhérer au PCC. Liang a pour sa part pris sa carte en 2004. Mais sa cooptation, aussi importante soit-elle, reste une exception. « Il y a encore assez peu de membres du parti qui travaillent dans le secteur privé, note Tang Wenfang, auteur d’un ouvrage sur les changements politiques en Chine. Le besoin se fait sentir de corriger ce déséquilibre en recrutant dans le monde de l’entreprise. Les millionnaires chinois ont aujourd’hui un indéniable pouvoir économique. Ne pas les intégrer serait prendre le risque de les laisser en marge de la vie politique, voire de les inciter à adopter une ligne indépendante. » Mieux vaut donc leur offrir un strapontin.

Pour Rupert Hoogewerf, éditeur du magazine Hurun, qui, depuis dix ans, recense et classe les grandes fortunes chinoises, l’arrivée de Liang est donc avant tout symbolique : « La Chine est le pays au monde qui compte le plus grand nombre de millionnaires (voir encadré). Ils payent des impôts, créent des emplois et travaillent main dans la main avec les autorités. C’est une relation symbiotique. L’État et les millionnaires ont besoin l’un de l’autre. L’élection de Liang au Comité central est un signal positif adressé au secteur privé. »

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Patriotisme

Mais attention, il y a les bons et les mauvais élèves. Seuls ceux qui, à l’instar de Liang, ont donné un demi-million de dollars aux victimes du tremblement de terre dans le Sichuan, en 2008, ou su faire vibrer le patriotisme chinois en proposant leur aide après le tsunami au Japon ont droit aux récompenses. « Sur bien des dossiers, les intérêts de Sany et du gouvernement sont intimement liés », confirme le journaliste Chang Wen. Les autres, en revanche, s’exposent à des sanctions exemplaires. On ne compte plus les riches entrepreneurs épinglés pour corruption ou fraude fiscale. Certains sont en prison et risquent la peine de mort.

« Pour éviter que des lobbies trop puissants ne se forment à l’extérieur du PCC et ne s’opposent à la ligne officielle, la direction ouvre ses rangs à différentes factions, afin que les débats aient lieu à l’intérieur du Comité central, assure Tang Wenfang. C’est ainsi qu’il faut comprendre l’arrivée de Liang. Cela permet d’améliorer la démocratie à l’intérieur du parti. »

Ironie de ce capitalisme à la chinoise, le gouvernement a récemment interdit les publicités trop ostentatoires pour les produits de luxe. Liang Wengen, qui jusqu’ici exhibait sans complexe ses neuf limousines Maybach et son hélicoptère privé, va devoir apprendre à faire profil bas. C’est sans doute le prix à payer pour accéder au Palais du peuple.

« Enrichissez-vous ! » avait lancé Deng Xiaoping à ses compatriotes, en 1977. Aujourd’hui, ses successeurs pourraient reprendre ce mot d’ordre, en l’infléchissant un peu : « Enrichissez-vous, mais ne le montrez pas trop et, surtout, faites-en profiter le parti. »

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