Chine : voyage en pleine « Maostalgie » à l’heure des 90 ans du PCC

Après 30 ans de croissance, la Chine, profondément clivée entre riches et pauvres, connaît aujourd’hui de violents mouvements sociaux dans tous le pays. Un terreau qui a favorisé l’émergence d’une nostalgie maoïste fondée sur un rejet du capitalisme. Désormais encouragée par le régime qui célèbre en grande pompe le 90e anniversaire du Parti communiste chinois, le 1er juillet, cette « Maostalgie » nationale pourrait bien annoncer les prémices d’un raidissement du régime visant à étouffer toute dissidence.

L’anniversaire des 90 ans du Parti communiste chinois est célébré le 1er juillet 2011. © Reuters

L’anniversaire des 90 ans du Parti communiste chinois est célébré le 1er juillet 2011. © Reuters

Publié le 28 juin 2011 Lecture : 4 minutes.

Depuis plusieurs mois, la télévision résonne de programmes d’un autre âge. Des officiers de l’armée populaire en uniforme défilent sur les écrans dans des épopées révolutionnaires aux doux noms de L’étoile rouge brille pour que je combatte ou Notre vie est plus tendre que du miel. Lancée sur les antennes de la télévision de la ville-province de Chongqing, à l’initiative de Bo Xilai, patron local du Parti communiste chinois (PCC) – et prétendant à de hautes fonctions au sein du bureau politique ou du gouvernement l’an prochain –, cette vague rouge est désormais relayée à travers tout le pays par la Télévision centrale de Chine (CCTV).

Le 1er juillet, le pays célébre en effet en grande pompe le 90e anniversaire de la création du Parti, dont le premier congrès s’est tenu en 1921 dans la concession française de Shanghai. Un anniversaire comme les aime Pékin, qui veut marquer l’événement du sceau de la puissance retrouvée du Dragon chinois. Des chants communistes, des spectacles épiques vantant la démocratie populaire, sans oublier une vague de répression sans précédent depuis le massacre de Tiananmen, en 1989, tel est donc le programme des festivités. Objectifs : faire taire la dissidence et flatter la puissance du Parti.

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Désordres sociaux et manifestations

Pourtant, cette fois, il s’agit moins de gonfler ses muscles que d’engager une purge interne. En octobre 2012, la Chine changera de président et de gouvernement. Et, à un peu plus d’un an de la transition politique annoncée au sommet de l’État, le Parti est à un carrefour. Tiraillé entre le retour aux valeurs communistes d’antan et une nouvelle embardée capitaliste.

Après trente ans de croissance ininterrompue, le pays fait en effet face à une crise existentielle. La course à l’argent engagée depuis le fameux slogan « Enrichissez-vous » lancé par le président Deng Xiaoping a fait naître une Chine à deux vitesses. Entre les villes riches de l’Est, comme Pékin, Shanghai et Shenzhen, et celles de l’Ouest, le fossé est profond et risque d’aboutir à des désordres sociaux et à des manifestations, qui sont la hantise du gouvernement chinois.

Reflet de ce déséquilibre, depuis quelques semaines, ces manifestations se multiplient dans le pays. Des usines du Guangdong aux plaines de Mongolie-Intérieure, elles prennent parfois un tour violent et inquiètent les autorités. Mi-juin, des milliers de policiers et de blindés ont dû être dépêchés d’urgence à Xintang, dans le sud-est du pays, pour mater une révolte de travailleurs migrants. Ces soutiens de la croissance chinoise vivent de plus en plus mal la hausse du coût de la vie. L’écart se creuse entre la Chine des riches et la Chine des pauvres.

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Emergence des "néomaoïstes"

Pour beaucoup, ces écrans rouges de la télévision chinoise sont donc le symbole d’une victoire des nostalgiques et le signe d’un retour au maoïsme. « Le pays est en train de passer de l’ère de l’ouverture et des réformes à celui d’un retour aux traditions socialistes fondées sur l’égalité », explique le professeur de sciences politiques, Pan Wei, de l’Université de Pékin.

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« Avec le développement et la multiplication des problèmes économiques et sociaux, de plus en plus de gens s’opposent aux réformes », ajoute Hu Xingdou, professeur d’économie à l’Institut technologique de Pékin. D’où un courant d’admiration grandissant envers Mao, courant nostalgique de l’époque du culte de la personnalité et des héros qui, selon Hu Xingdou, va à l’encontre des valeurs modernes : « Ce qui est dangereux dans ce mouvement, c’est qu’il soutient la dictature et le fascisme. Les “néomaoïstes”, comme je les appelle, ne tolèrent aucune divergence de point de vue. Ils rejoignent un courant nationaliste très conservateur pour lequel la Chine est une nation supérieure. Avec eux, le pays risque fort de retourner à l’époque de Mao… »

Nostalgie et amnésie

Mao Zedong est mort il y a trente-cinq ans, et son fantôme continue de hanter la République populaire. De véritables hagiographies y sont publiées régulièrement et une armée de dévots continue de protéger sa mémoire. Le Grand Timonier a ses gardiens du temple, tels le site ­wyzxsx.com (en Chinois) et la librairie Utopia, à une encablure de la prestigieuse université Beida de Pékin.

« Notre librairie est devenue un front antilibéral », explique son fondateur Fan Jinggang, qui a accroché plusieurs portraits du père de la République populaire sur les murs de son bureau. Le patron de cette librairie rouge est l’un des principaux animateurs de la nostalgie maoïste. Sur le forum de son site, on peut lire des commentaires d’internautes à faire rougir le Grand Timonier : « Le communisme est la meilleure chose qui nous soit arrivée. Il faut tout faire pour le sauver. » Ou encore : « Mao a fait sortir la Chine de la pauvreté. Il lui a donné un statut international. Aujourd’hui, il faut protéger son héritage. »

Bien entendu, pas de référence aux purges de la Révolution culturelle ou aux droits de l’homme. Pour autant, Fan Jinggang assure que son forum ne connaît aucune censure et n’est pas téléguidé par le gouvernement. Dans un pays auquel on reprochait il y a peu d’avoir versé dans le capitalisme à tous crins, ce retour du maoïsme peut surprendre. Mais la crise et ses bataillons de chômeurs inquiètent les jeunes comme le gouvernement. Pour eux, cette « Maostalgie » est d’abord le signe d’un rejet du capitalisme sauvage.

C’est aussi sur ce terrain d’un retour aux valeurs de la république que le très populaire Bo Xilai a lancé sa « campagne rouge » à Chongqing. En 2009, celui que l’on surnomme l’Étoile rouge avait célébré le 60e anniversaire de la République populaire en envoyant à ses millions d’administrés des SMS reprenant des citations du Petit Livre rouge. Pour le 90e anniversaire du PCC, il met en ligne sur internet trente-six tubes révolutionnaires et oblige les journaux locaux à en publier les paroles. « Certains disent que la “culture rouge” incarne un virage à gauche, expliquait-il récemment. En fait, il s’agit juste de servir le peuple. C’est pour cela que le Parti communiste a été créé. »

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