Chems-Eddine Hafiz, vice-président CFCM

Cet avocat algérien, vice-président du Conseil français du culte musulman, a ses entrées dans les ministères et se verrait bien à la tête de la Grande Mosquée de Paris.

Me Hafiz a la « conscience tranquille » malgré les critiques. © Jacques Torrégano/Fédéphoto pour J.A.

Me Hafiz a la « conscience tranquille » malgré les critiques. © Jacques Torrégano/Fédéphoto pour J.A.

Publié le 14 février 2011 Lecture : 5 minutes.

Maître Hafiz est heureux. Algérien de naissance, devenu français il y a vingt ans, il sait gré à la France de « [lui] avoir permis de réussir [sa] vie ». À 56 ans, il dispose d’un cabinet sur les Champs-Élysées et compte parmi ses amis le président de la République, Nicolas Sarkozy, à qui il doit l’ordre national du Mérite et la Légion d’honneur. Il est, depuis 2008, le vice-président du Conseil français du culte musulman (CFCM) et porte la voix algérienne de la Grande Mosquée de Paris (GMP) en cette institution. Si l’actuel recteur, Dalil Boubakeur, adoubait sa candidature, Chems-Eddine Hafiz se verrait bien lui succéder. Il espère que ces gages de réussite feront de lui « un référent » auprès de ses compatriotes et coreligionnaires.

Rien ne prédestinait pourtant cet avocat d’affaires à s’éprendre de la cause des musulmans de France. Né à Alger en 1954, son enfance est marquée par des tragédies : son frère est tué dans le maquis, l’aînée de ses sœurs est torturée. Après la guerre, ses parents l’encouragent à étudier. Hafiz fait son droit et prête serment à Alger, en 1986, après deux ans de service militaire et cinq ans de service civil au sein du secrétariat d’État au commerce extérieur. En 1989, il quitte l’Algérie, « contraint par des raisons familiales ».

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Avec son épouse et ses trois enfants, il choisit la France, « patrie des droits de l’homme ». Il compte sur l’existence d’une convention franco-­algérienne pour s’inscrire au barreau de Paris. L’Ordre des avocats lui oppose un refus obstiné. C’est la cour d’appel qui ordonnera son inscription. Conclusion : « La France a deux visages. » En 1995, il obtient sa réintégration dans la nationalité française. Lorsque Nicolas Sarkozy le fait chevalier de l’ordre national du Mérite, il évoque son frère mort pour l’indépendance : « S’il avait été en vie, mon frère serait à mes côtés. Il aurait compris le cheminement intellectuel qui fait que je suis à la fois algérien et français. »

L’Algérie, Me Hafiz ne l’a jamais vraiment quittée. La clientèle de son cabinet reste principalement algérienne. L’ambassade lui confie des dossiers. En 1999, lorsque Dalil Boubakeur lui propose d’être avocat de la Grande Mosquée, bastion algérien de l’islam en France et rouage indispensable des relations diplomatiques entre Paris et Alger, Hafiz endosse le rôle politique d’un représentant de l’Algérie. Il accède peu après à la vice-présidence de l’association propriétaire de la mosquée.

« Hafiz est devenu une sorte de ministre de l’Intérieur de la Grande Mosquée, c’est un jacobin partisan d’un “islam administré” », résume Vincent Geisser, sociologue spécialiste de l’islam. Le CFCM est alors en gestation et les hiérarques de la mosquée craignent de voir leur influence disparaître au profit des organisations musulmanes patronnées par d’autres États. Hafiz défend la ligne de la GMP : « Un islam tolérant, adapté aux codes de la République, rompu à la laïcité. » « L’islam algérien est le seul compatible avec la République », martèle Hafiz.

Il se rapproche de Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, au moment où il signe le projet du CFCM, en 2003, et impose Dalil Boubakeur à sa tête. Hafiz prend sa carte à l’UMP par « affection pour Nicolas Sarkozy ». La même année, il est élu à la présidence de l’association qui produit l’émission Islam sur France 2, une tribune convoitée où il est parfois invité. En 2008, il devient vice-président du CFCM dans un contexte tendu puisque la GMP a boycotté les élections de l’institution. « Les positions au sein du CFCM ou de la GMP permettent d’accéder à l’Élysée, à Matignon, à la présidence algérienne et à des gratifications, financières et symboliques », analyse Vincent Geisser. « Enjeux de prestige politique », ces places se négocient dans les coulisses des ambassades, consulats et ministères…

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Familier des autorités françaises et algériennes, Hafiz cultive néanmoins un côté « proche du peuple ». Il veut défendre les musulmans contre une stigmatisation de plus en plus vive qui ferait le jeu d’extrémistes religieux. « J’espère de tout cœur être un exemple et entraîner d’autres gens dans ce combat », assure-t-il. À ce titre, il s’est illustré au cours de deux procès médiatiques, lorsque la Grande Mosquée de Paris a porté plainte contre Michel Houellebecq, puis dans l’affaire des caricatures de Mohammed parues dans Charlie Hebdo. L’écrivain a été relaxé et la Grande Mosquée de Paris a perdu en appel contre l’hebdomadaire satirique, mais « le but de ces procès était surtout pédagogique », estime Hafiz. « Nous avons montré qu’on ne peut pas insulter les musulmans impunément. »

Plus récemment, l’avocat a pris position contre la loi interdisant le port du voile intégral, un texte qui « prend en otage toute la communauté pour condamner un phénomène marginal ». Son pamphlet anti-Zemmour résume une pensée du juste milieu. Sans démentir le risque d’une radicalisation des musulmans, il dénonce l’islamophobie ambiante qu’il associe à un racisme anti-Arabes tout aussi insupportable. Pas une ligne cependant sur la sortie qui a valu cet été à Brice Hortefeux une condamnation pour injure raciale. « La phrase prononcée par le ministre était extrêmement grave, mais il s’est excusé devant le CFCM. Je ne vais pas l’accabler plus que cela », explique Hafiz.

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Pour certains, ce militantisme n’est qu’un gadget. Vincent Geisser estime que c’est une tendance chez certains cadres de l’islam de France qui, « face au durcissement du climat et alors qu’ils prônaient les bonnes relations avec les autorités, sont devenus acteurs d’une realpolitik : pour ne pas se couper de leur base, ils ont pris les devants et se font entendre ». Me Hafiz se soucie peu de ces considérations. « J’ai la conscience tranquille, je me sens investi d’une mission », dit-il. Et de citer le Coran : « Le jour où vous viendrez devant Dieu, il vous posera la question : “Qu’est-ce que vous avez fait ?” Je saurai quoi lui répondre. »

En attendant le verdict divin, il doit se contenter de l’avis de ses pairs, parfois flatteur, rarement désintéressé, et souvent hostile. « Chems-Eddine Hafiz est un homme de convictions et de principes », affirme Djelloul Beghoura, producteur délégué de l’émission Islam. « C’est un acteur de l’islam de France, l’homme est courtois et gentil », avance prudemment Ghaleb Bencheikh, potentiel concurrent à la succession de Dalil Boubakeur.

Sadek Sellam, historien de l’islam, reste méfiant à l’égard d’un homme qu’il soupçonne de déguiser sous le vernis de la religion un rôle diplomatique occulte et des stratégies personnelles. Il n’est pas le moindre de ses contempteurs. Mais rares sont ceux qui acceptent de s’exprimer à son sujet. Me Hafiz n’ignore rien de ces rumeurs, mais s’en accommode sans se départir de son air affable.

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