Les appels internationaux à la loupe

Téléphoner de l’étranger vers le continent revient souvent très cher. Le marché reste opaque, compte de nombreux acteurs et génère d’énormes revenus. Décryptage.

La mise en place d’un tarif minimum de terminaison au Ghana profite à Lebara Mobile. © Vincent Fournier/J.A.

La mise en place d’un tarif minimum de terminaison au Ghana profite à Lebara Mobile. © Vincent Fournier/J.A.

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Publié le 19 novembre 2010 Lecture : 5 minutes.

Télécoms : la course à la 3G
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Télécoms : la course à la 3G

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Qui ne s’est pas plaint du coût prohibitif pour joindre une connaissance ou sa famille, depuis l’Europe ou les États-Unis ? Surtout si l’appel est passé depuis son portable. Un terreau fertile qui a permis aux boutiques de cartes prépayées bon marché aux noms exotiques – Peuple d’Afrique, Nelson Mandela, Paradis… – de fleurir dans les capitales occidentales. Derrière ce business, une foule de sociétés, comme Lycatel, Central Telecom, ou encore Unlimited Telecom.

Mais là encore, même si le prix reste compétitif – 0,28 euro la minute en moyenne, contre 5 fois plus (1,38 euro) chez un opérateur français comme SFR –, la désillusion est souvent de mise. L’acheteur en a rarement pour la quantité indiquée sur la carte, les coûts annexes étant tout bonnement cachés : compter 0,71 euro rien que pour se connecter, et quelle que soit la durée de l’appel. Encore plus étonnant : il revient moins cher de téléphoner de Dakar à Paris que l’inverse. Et utiliser MTN au Nigeria pour appeler les États-Unis revient à 0,19 euro la minute.

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Celui qui cherche à comprendre d’où proviennent ces surcoûts risque fort de se perdre en suivant la route empruntée par la minute d’appel. Un abonné parisien d’Orange (France Télécom) qui désire joindre Abidjan va solliciter au minimum trois sociétés : son opérateur, qui lui-même va passer par un transporteur intermédiaire (carrier to carrier). Ce dernier achemine l’appel vers l’opérateur du destinataire.

Économies d’échelle

À chaque étape, des euros s’envolent : Orange achète le service aux carriers, qui vont payer un tarif d’interconnexion à l’opérateur local. Ainsi, les opérateurs occidentaux blâment-ils les coûts démesurés des terminaisons… pourtant, ce tarif ne dépasse pas, même dans les pays où il est le plus élevé, 0,21 euro. Un argument d’autant plus douteux quand l’opérateur basé à Londres ou Paris est présent à travers différentes sociétés du début à la fin de l’acheminement de la communication. Selon Claire Paponneau, vice-présidente pour l’Afrique et le Moyen-Orient à France Télécom, « techniquement, les coûts ne sont pas plus élevés », mais les charges fixes – salaires, logistique, réseau de vendeurs, etc. – expliquent ce hiatus.

Alors, comment ces sociétés de cartes prépayées peuvent-elles proposer des tarifs plus bas que les opérateurs classiques ? D’abord en achetant les minutes en gros : économies d’échelle aidant, elles arrivent, moyennant de petites marges, à revendre au détail la minute à un prix compétitif. Mais si Belgacom, Tata ou France Télécom acheminent de manière « légale » des millions d’appels vers le continent, les prix élevés pratiqués aux interconnexions stimulent un autre marché, celui des routes grises.

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Concrètement, des millions d’appels sont transportés par internet – moins cher mais de qualité moindre – avant d’être redistribués par de petits opérateurs possédant jusqu’à 100 cartes SIM disposées en batterie (des Simbox) et connectées à un ordinateur. Le destinataire reçoit ainsi un appel en apparence local (le nom d’un opérateur national apparaît sur son téléphone), mais au bout du fil, l’interlocuteur est à New York, Paris ou Londres…

Beaucoup de sociétés, derrière les cartes prépayées bon marché, utilisent ces routes grises. Les interconnexions coûteuses évitées, la minute est de fait moins chère. Zakir Hussain, directeur de Veosolutions, un grossiste basé au Canada, admet acheter des minutes a des Simbox. « Oui, nous en avons acheté. Parce que si nous n’en achetons pas, quelqu’un d’autre le fera. » Hussain explique que les minutes ne sont pas proposées uniquement par des petits entrepreneurs en faible quantité, mais aussi directement par des opérateurs africains, souvent épaulés par des personnes influentes à l’intérieur du pays. Et le phénomène s’est répandu à vitesse grand V en Afrique, notamment parce que les États tardent à mettre en place des législations adaptées.

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Détection difficile

Par ailleurs, les grands opérateurs se disent eux-mêmes parfois impuissants. « Nous ne pouvons pas contrôler tout le trafic que nous transmettons, donc dans certains cas nous ne pouvons pas savoir s’ils sont 100 % clean », explique Richard Rollet, directeur des services à valeur ajoutée et des interconnexions pour l’opérateur suédois Millicom, qui inclut des opérations au Ghana, au Sénégal, au Tanzanie et au Rwanda. Claire Paponneau est d’accord avec lui. Les deux compagnies disent essayer de supprimer les lignes Simbox : France Télécom couperait ainsi 30 lignes par jour dans un pays ouest-africain, quand Millicom estime en couper 50 par jour au Ghana.

C’est là qu’interviennent de nouveaux acteurs, des prestataires de services qui proposent de superviser les appels en provenance de l’étranger et de détecter les lignes frauduleuses. Ces compagnies, déjà implantées dans plusieurs pays du continent, promettent aux gouvernements africains d’arrêter les fraudes et de booster leurs revenus en fixant un prix plancher sur les appels internationaux, comptabilisés grâce à la mise en place d’un système de surveillance chez le régulateur national et chez chaque opérateur local. Les revenus générés devant être partagés entre l’État, le prestataire et, éventuellement, l’opérateur.

L’une de ces sociétés a fait récemment parler d’elle au Sénégal. Basé en Afrique du Sud, Global Voice Group (GVG) s’est retrouvé aux prises avec l’opérateur Sonatel (filiale d’Orange), qui voyait d’un mauvais œil l’arrivée d’un nouvel acteur susceptible de venir bousculer des règles établies. Faute d’accord, l’affaire reste bloquée.

Effets GVG

GVG n’en est pas à son coup d’essai. Depuis mars, la compagnie est implantée au Ghana, où le gouvernement a augmenté suivant ses recommandations le prix minimum des appels entrants. Premier effet : l’État affirme avoir déjà récupéré près de 10 millions d’euros de revenus, tout en identifiant les lignes frauduleuses utilisées par des opérateurs locaux. À l’autre bout du fil, la note s’est en revanche alourdie.

Une compagnie low cost, Lebara Mobile, a même doublé le prix de ses appels depuis la Grande-Bretagne vers le Ghana : 0,28 euro, contre 0,13 la minute fin 2009. Comme GVG, une autre société, basée aux îles Vierges britanniques, Vocalpad, essaie de négocier un contrat d’exclusivité avec Madagascar. Mais un opérateur international présent à Antananarivo tenterait de convaincre le président Andry Rajoelina de ne pas signer.

En attendant, l’Afrique demeure l’une des destinations les plus chères. Sur 38 pays où les tarifs d’interconnexion sont au-dessus des recommandations de la Commission fédérale des communications américaine (FCC), 17 sont en Afrique. Selon la FCC, le prix varie entre 0,13 et 0,16 euro, contre une moyenne de 0,04 euro ailleurs. En Europe, une loi de mai 2009 fixe le taux à l’intérieur de l’Union européenne entre 0,015 et 0,03 euro par minute d’ici à 2012.

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