Edem Kodjo, un homme indigné

Résolument optimiste, l’ancien secrétaire général de l’Organisation de l’unité africaine publie une lettre ouverte dans laquelle il invite le continent à sortir de sa léthargie pour tirer profit de ses atouts. Extraits.

Edem Kodjo, l’ex-Premier ministre togolais. © Camille Millerand pour J.A.

Edem Kodjo, l’ex-Premier ministre togolais. © Camille Millerand pour J.A.

ProfilAuteur_TshitengeLubabu

Publié le 30 octobre 2010 Lecture : 4 minutes.

Le cinquantième anniversaire de l’indépendance de dix-sept pays africains est l’occasion propice à la sortie de toutes sortes de produits destinés à accompagner l’événement : livres, disques, documentaires… Edem Kodjo, ancien secrétaire général de l’Organisation de l’unité africaine (OUA), ancien Premier ministre togolais, a tenu à apporter sa contribution par le biais d’un livre, Lettre ouverte à l’Afrique cinquantenaire. Fort de son expérience politique, puisant dans son pan­africanisme, il passe en revue tous les maux supposés ou réels dont souffre l’Afrique depuis 1960.

Résolument afro-optimiste, le Togolais dénonce ce qu’il considère comme une sorte de fatalité dans laquelle se complaisent certains Africains, dirigeants ou pas, et qui se traduit par un manque de confiance et d’initiatives. Cette espèce de léthargie a de graves conséquences sur la bonne marche du continent, qui n’arrive pas, à en croire Edem Kodjo, à tirer profit des atouts dont il dispose plus que certains autres. Et il cite l’exemple de quelques pays dont les dirigeants, à force de volonté politique, ont réussi à changer le visage.

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L’auteur n’est pas de ceux qui pensent qu’en cinquante ans l’Afrique n’a pas progressé. Au contraire, il reconnaît ses avancées, tout en soulignant qu’elles auraient dû être beaucoup plus importantes.

Reprenant à son compte le slogan de campagne de l’actuel président américain Barack Obama (« Yes, we can »), Edem Kodjo estime que l’heure est venue pour l’Afrique de décoller. Parmi les pistes qui devraient conduire à son envol, il cite l’unité du continent, maintes fois chantée mais jamais réalisée.

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Oui, « l’heure de nous-mêmes a sonné ». Nous devons avoir une claire vision du but que nous poursuivons, développer nos peuples par nos peuples (et c’est cela le vrai développement), renforcer la capacité de l’Afrique dans le monde et affirmer l’Africain, sa spécificité, son originalité partout dans l’univers. Nous devons rassembler tous nos moyens, notre intelligence, notre volonté, notre adresse pour l’accomplissement de ce noble dessein. Adieu, les combinaisons des autres, les rafistolages des autres. Halte aux manipulations dont nous sommes victimes parce que nous y prêtons le flanc. Nous devrons assumer ! Chaque fois qu’un conseil extérieur nous conduit à mal faire, nous sommes coupables et nous devons assumer. Chaque fois qu’une manipulation nous pousse à la faute, nous sommes coupables, nous devons assumer. Chaque fois que nous opérons un choix qui se révèle peu conforme aux intérêts supérieurs de la Mère-Afrique, nous sommes coupables, nous devons assumer. L’heure qui a sonné est aussi celle de la parfaite revendication de nos actes et de leurs effets par nous-mêmes. Nous sommes responsables parce que nous sommes capables.

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Fini les atermoiements, les hésitations, les compromissions que nous étalons à la face du monde pour pouvoir ensuite mieux accuser le monde. Fini les soumissions secrètes, les stipulations pour autrui volontairement consenties puis, plus tard, dénoncées. Fini les déshonneurs. Toutes sortes de perversions que l’on prétend expliquer par la main étrangère… et qui confinent à la trahison. Nous sommes majeurs ; jubilaires, vous êtes majeurs ! Le continent est majeur et il doit se déprendre éperdument des volontés étrangères, des pressions étrangères, des immixtions, des concepts imposés de l’extérieur. L’Histoire nous a certes maltraités, malmenés, nous le savons, nous devons toujours y penser sans en devenir victimes. La traite négrière, le crime de l’esclavage, les abus de l’impérialisme, les méfaits du colonialisme sont des réalités incontournables qu’aucun homme intelligent ne saurait nier. Je récuse tout bilan, bon ou mauvais, je vis avec, je n’oublie rien, mieux, je dénonce tous ces travers, mais je regarde vers l’avenir.

L’heure de nous-mêmes a sonné, cela implique de ne pas tout expliquer par notre histoire, mais de travailler d’arrache-pied pour nous propulser vers l’avenir et, si nécessaire, dire « Assez ! » à la face de ceux qui, ouvertement ou sournoisement, veulent nous maintenir en l’état et contenir notre élan.

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Je sais que je ne vivrai pas assez longtemps pour te voir, Mère-Afrique, moins éclatée, moins pulvérisée, moins désunie ; je sais que les blocs qui se partagent ton aire en communautés régionales entendent se structurer de plus en plus, affirmer leur cohérence, construire leur unité avant d’envisager un ensemble véritablement continental. Je sais que les « jubilaires » aussi en sont convaincus, eux qui n’envisagent la mystique unitaire qu’à travers l’Organisation de l’union africaine, fréquentée comme une école austère qu’on a hâte de quitter pour se lancer à la quête d’une autonomie propre, d’une construction étatique propre et d’une identité propre. Comment garder le silence, fermer les yeux, se boucher les oreilles face à cette inclination mortelle, à ce fourvoiement désastreux, à cette dérive inacceptable ? Dussé-je me répéter, ânonner, divaguer, radoter, je me tiendrai toujours debout, le drapeau à la main, l’olifant à la bouche pour claironner ce que mille et mille fois j’ai déjà proclamé : L’AFRIQUE DOIT S’UNIR.

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